AdA, 1ère journée – Assemblés à Montpellier, les gilets jaunes réinventent leur démocratie

Le Poing Publié le 2 novembre 2019 à 12:45 (mis à jour le 2 novembre 2019 à 14:58)
Succès d’affluence, d’accueil et de logistique, l’édition montpelliéraine de l’Assemblée des assemblées explore de nouvelles méthodes de débats. Louable expérimentation, même insuffisante pour toucher le fond politique du mouvement.

On le cédera un instant au bon vieux symbole. Lorsque, à 13h30 ce vendredi 1er novembre, l’immense soucoupe du musée Agropolis de Montpellier, résonne d’un sempiternel et puissant « On est là ! », on trouve à ce rude chant un goût vivifié à neuf. C’est que le défi paraissait démentiel, voici quelques jours à peine, de rendre fonctionnel, et même franchement accueillant, cet édifice en état de délabrement avancé, sans eau ni électricité, toilettes bouchées et capharnaüm d’une muséographie démantibulée sous la poussière.

Les gilets jaunes étaient donc bel et bien là, alors que les organisateurs de leur quatrième Assemblée des assemblées avaient essuyé tous les refus officiels et autres marques de mépris, dans leur recherche de locaux plus normés. Hormis l’exploit du chantier militant mené à bien, un premier succès est au rendez-vous : quasiment cinq cents participants inscrits, pas beaucoup moins que les affluences précédemment constatées à des moments où les mobilisations visibles des gilets jaunes n’avaient pas encore connu l’actuel reflux.

Deux cents groupes de tout l’Hexagone sont représentés ce week-end à Montpellier, essentiellement d’occupants de ronds-points toujours actifs. Leurs représentants sont dûment mandatés, inscrits à l’avance, et préparés à aborder un listing de questions préalablement établies. Comme il était à craindre et à prévoir, la déception aura été sévère pour certains gilets jaunes très actifs, surtout des locaux venus en voisin, qui se sont heurtés à une porte close – du moins un service de sécurité qui ici aussi, gagnerait à réfléchir à la qualité de ses méthodes relationnelles. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, certains recalés auront eu l’idée de dresser leur propre table de débat free style, devant la porte même de la Soucoupe, à l’extérieur. Pourquoi n’a-t-on pas eu l’idée de prévoir ce type d’alternative, mais dans des espaces intérieurs, au chaud de la rencontre ?

Retour dans l’enceinte régulière. En préambule, les organisateurs montpelliérains exposent la méthode qu’ils proposent aux assemblés. « Il s’agit de respecter la diversité des opinions, des pratiques, des objectifs » qui caractérise ce mouvement. On veut miser sur « la magie de l’intelligence collective dans ce cadre de démocratie appliquée ». On remisera le mythe de l’appel final commun « car, si on veut y parvenir, cet exercice d’écriture collective est si ardu qu’on ne fait que ça ». Notre voisin opine : « De toute façon, il n’y a qu’à s’en tenir à l’Appel de Commercy. Tout y est ».

En lieu de quoi, on se focalisera « sur la remontée de la parole » des participants, tout en offrant à ceux-ci des opportunités de temps de parole considérablement amplifiés, par des travaux éclatés en plusieurs groupes de dix personnes seulement sur un même thème, favorisant un plus grand partage de l’oralité et de l’écoute. Enfin, un système assez compliqué fait que trois de ces dix personnes, deviennent respectivement rédactrice, rapporteuse et observatrice des travaux (chasse à la concentration des pouvoirs d’influence).

On verra ci-après comment tout cela permet en effet un très bon niveau de dialogue. En revanche, pour la seule première journée de ce vendredi (attendons pour voir), on n’aura pas été convaincu que cette méthodologie favorise le dégagement de forts axes politiques. À faire dans la dentelle, on ne fait pas dans la toile de combat. Or, de grandes tendances sont au travail. On les a senties manifestes à travers une sorte de consultation sans débat, vite proposée en plénière, dès l’ouverture des travaux.

Exemple de question préalable, alors sondée : « Votre assemblée accepte-t-elle la diversité des modes d’action, sans les opposer ? ». C’est un oui massif. On suppose que cela dit aussi bien la diversité réaffirmée du mouvement, qu’un refus réitéré de sanctionner certains modes d’action plus radicaux que d’autres. Autre question (en substance) : l’AdA doit-elle continuer de ne reconnaître que le niveau local de l’organisation, sans chercher à fédérer des niveaux départementaux ou régionaux intermédiaires ? Massive à nouveau la réponse qui met toute sa confiance dans le seul niveau le plus local et se méfie de l’hyperbole des délégations de représentation. Encore une autre majorité très nette pour estimer que l’AdA « peut impulser des actions communes avec d’autres mouvements sociaux et écologiques » : la référence aux journées Climat et autre grève générale est ici cousue de fil blanc. On y reviendra.

Suivent les travaux pratiques du micro-travail en mini effectif. Nous choisirons ici un thème hyper plébiscité : Comment retrouver un lien avec la population ? Pas moins de neuf groupes de dix personnes chacun, s’y consacrent. On en choisit un au hasard. Premier tour de table, pour présenter son groupe d’appartenance. On s’étonne – voire s’inquiète – alors. Ces exposés sont interminables, et chacun dresse récit menu de l’épopée de son propre rond-point. N’aurait-on plus d’yeux que pour ces faits qui tendent à se faner ?

Or on se trompe. Après ce labourage en profondeur, s’ouvre la séquence qui répond à la question posée. Et c’est alors tout un crépitement d’idées. Tonique. Il ne faut donc pas négliger le besoin de se redire tout ce qu’on a fait, se l’entendre écouter, d’extraordinaire, mais qui aura été tant et tant dénigré, abîmé, vilipendé, réprimé. De cet acquis il faut reprendre toute la mesure, avant de se tourner à présent au défi de la volonté de durer ; nécessité d’endurer.

Il serait abusif de restituer ici toutes les pistes explorées, alors même que rien n’a été tranché. Dans l’ensemble on perçoit un besoin de recréer « une lisibilité locale, sur des axes clairs », « préférer le concret proche aux effets symboliques spectaculaires ». Concédons cette pique : « Crier Ahouhh, Ahouhh en manifestant permet peut-être de se reconnaître ; mais pas d’ébranler grand-chose ». D’où le désir de penser des combats « en positif, sur ce dont on a envie, et pas seulement en négatif pour dénoncer ce qui nous déplaît », « revenir sur les fondamentaux basiques qui provoquèrent la grande adhésion des débuts », « écouter les gens, les visiter, retourner voir ceux qui nous ont quittés ». Et encore « dresser le récit positif des dimensions formidables de ce mouvement qui a enfin marqué le refus de la résignation ».

Reste l’actualité. Là, pour se résumer, la perspective de la grève générale « à partir du 5 décembre », plutôt que « le 5 décembre » guette à tous les coins de phrase. Et toujours, inlassablement revenant en boucle, la con-ver-gence des luttes et des populations. Des Montpelliérains entendraient ici du rond-point Prés d’Arènes dans le texte, réclamant une motion de l’AdA claire et nette dans ce sens, prêchant la tenue de débats sur les retraites, les missions de soutien aux postiers, hospitaliers ou cheminots en lutte, promettant d’aller manifester dans les quartiers populaires plutôt que devant les terrasses gazées des places proprettes de centre ville.

Ainsi voyait-on se dessiner une amorce de cap politique, quand il fallut tenter d’harmoniser neuf comptes rendus des neuf groupes ayant travaillé deux heures chacun sur la même question. Or là, on entendit plutôt un égrenage d’offres extrêmement disparates, morcelées, laissant bien des participants sur la frustration d’un manque de débat général à leur propos – de fait impossible dans ce cadre. Simple question de méthode. Une journée et demie vont à présent s’ouvrir pour affiner les choses. On n’expérimente jamais sans prendre aucun risque.

GM

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