Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | A Gaza des champs Assoiffés, les Agriculteurs face au Siège
28 août 2025Le 27 Août pendant que les informations annoncent l’attaque de Gaza par les chars israéliens, Abu Amir envoie le récit d’un atelier organisé par l’UJFP avec les agriculteurs de Deir al-Balah qui s’est tenu dans les locaux du P.O.D- Palestinian Development Authority.
Par un matin paisible, Deir al-Balah fut enveloppé d’une lumière tamisée filtrant à travers des nuages chargés du parfum de la terre et de son histoire. Nous, à l’UJFP, en coopération avec les
équipes de POD, avons organisé un atelier dans les locaux de ces derniers. Nous y avons retrouvé un groupe d’agriculteurs dont les visages portaient les marques de la fatigue et du labeur, assis devant nous avec des cœurs alourdis par les soucis, regardant cet atelier comme une petite fenêtre ouverte sur un espoir lointain. La rencontre était riche de chaleur humaine : ici, le paysan ne parle pas le langage des chiffres ni celui des politiques, mais celui de la terre, de l’eau et de la sueur : une langue où se mêlent la douleur du besoin et la fierté de l’appartenance à la terre. Le dialogue commença timidement, puis s’ouvrit comme un torrent libéré, jusqu’à ce que la salle résonne de paroles déferlantes, tel un fleuve longtemps retenu qui jaillit soudain. Les voix s’élevaient, multiples mais unies par une même langue : celle de la terre assoiffée
L’un des agriculteurs nous parla d’une voix tremblante d’une souffrance qui pèse sur ses épaules depuis deux mois, lorsque l’eau fut totalement coupée de leurs terres agricoles. La terre n’avait pas goûté une seule goutte, tandis que les habitants, eux, recevaient de l’eau dans leurs maisons une fois tous les dix jours. Sa voix portait l’amertume de la perte, décrivant la situation comme une mort lente qui rongeait à la fois les cultures et le bétail. Tout cela à cause de la grave pénurie de carburant dont souffre la municipalité de Deir al-Balah, impactant non seulement les agriculteurs mais la vie de tous. Ses yeux brillaient d’un mélange de douleur et de détermination, comme un appel à l’aide qui jaillissait du cœur même de la terre.
Un autre agriculteur prit la parole avec une colère non dénuée de douleur : « Ce qui se passe est une forme de folie », dit-il. Puis il expliqua comment le prix du carburant avait grimpé de manière vertigineuse, atteignant trente-cinq dollars le litre en espèces et soixante dollars par transfert bancaire. Ces chiffres n’étaient pas de simples prix, mais des murs infranchissables pour le modeste cultivateur, désormais incapable d’irriguer sa terre et de sauver ses récoltes de la soif. La discussion prit un ton encore plus sombre lorsqu’un troisième agriculteur expliqua qu’ils dépendent des générateurs électriques pour faire fonctionner les puits. Or, faire tourner un générateur pendant une heure leur coûte trois cents shekels, et cela ne suffit qu’à irriguer un seul dounam pour une seule journée. Ces mots pesaient lourd : ils signifiaient que le coût de l’agriculture allait exploser, se répercutant sur les prix des légumes sur les marchés, lesquels deviendraient inaccessibles pour les citoyens ordinaires déjà accablés par la guerre, le siège et le chômage endémique.
Et les récits ne s’arrêtèrent pas là. Un autre expliqua que la réduction des quantités d’eau utilisées pour l’irrigation — astuce adoptée par certains lors de la saison précédente pour réduire les dépenses — n’avait mené qu’à davantage de désastres. Les cultures, privées d’eau, furent attaquées par les maladies, entraînant une perte totale : à la fois de leur effort et de leur argent. À ce stade, la rencontre se transforma en une sorte de séance de confession collective. Les agriculteurs commencèrent à parler en toute liberté, comme s’ils attendaient ce moment depuis longtemps pour libérer ce qu’ils portaient dans leurs cœurs. Les paroles jaillirent de leurs bouches telles des sources longtemps obstruées. Les récits s’éparpillaient entre carburant, eau et points de passage. Les voix se chevauchaient à tel point qu’il m’était difficile de distinguer un sujet d’un autre. Mais j’ai choisi de garder le silence et d’écouter, car la douleur a besoin d’être dite avec courage pour s’alléger.
Lorsque la discussion retrouva son cours organisé, un agriculteur aborda un point encore plus inquiétant : la pénurie de fournitures agricoles, qui disparaissaient peu à peu du marché. Sa voix était lourde d’inquiétude alors qu’il énumérait ce qui n’était plus disponible : médicaments agricoles, bâches plastiques, semences, plants… tout s’évaporait après deux années de siège et de guerre. Il expliqua clairement que cette grave pénurie mènerait de nombreux agriculteurs à abandonner leurs cultures l’année prochaine, et que le secteur agricole dans son ensemble risquait de s’effondrer si ces produits n’entraient pas par les points de passage. Ces mots ouvraient une nouvelle porte à la peur : le paysan, privé de carburant et d’eau, se retrouvait désormais sans moyens de production, comme si toutes les routes se fermaient devant lui en même temps.
Pourtant, malgré ce torrent de préoccupations, une lueur d’espoir apparut lorsque la discussion se tourna vers les solutions possibles. Les agriculteurs reconnaissaient qu’il serait difficile, voire impossible, d’obtenir les fournitures agricoles en raison du siège et de la fermeture des points de passage. Mais la porte des solutions n’était pas complètement close, surtout concernant le problème de l’eau. C’est alors qu’un nouvel enthousiasme se refléta dans leurs yeux lorsqu’ils évoquèrent l’idée de s’organiser en groupes et d’installer des systèmes de panneaux solaires pour faire fonctionner les puits et pomper l’eau selon les besoins, ainsi que la création de bassins pour collecter et stocker l’eau. Ils proposèrent aussi l’idée d’un système solaire mobile pouvant desservir chaque région à tour de rôle, pour alimenter les puits collectivement. Cette solution paraissait pratique et réalisable si les moyens et le soutien étaient disponibles.
Avec le temps, la rencontre se transforma en une histoire partagée entre nous et les agriculteurs, un mélange de douleur et d’espoir, de désespoir et de détermination. La discussion fut belle, profonde et pleine d’émotions. Nous y avons perçu l’humanité du paysan palestinien, qui, malgré des conditions terribles, ne perd ni sa capacité à réfléchir et inventer des solutions, ni son attachement à la terre. À la fin de l’atelier, nous avons senti que nous n’étions pas de simples auditeurs, mais des partenaires dans leurs soucis et leurs espoirs. Nous avons porté avec eux une part de leurs douleurs, et partagé avec eux une petite flamme d’espérance : qu’un jour la terre, l’eau et les fournitures soient libérées, pour que le paysan puisse cultiver sans crainte, récolter sans entraves, et que l’homme de cette terre vive dignement, comme il le mérite.
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