Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Le plan de paix : une saveur au goût de trahison
22 octobre 2025Un texte d’Abu Amir le 21 Octobre qui résonne tellement juste avec la situation…
Lorsque les historiens écriront les chapitres de l’histoire récente du Moyen-Orient, ils s’attarderont longuement sur ce moment où Donald Trump s’est rangé aux côtés de Benjamin Netanyahu pour annoncer ce que l’on a appelé la « plan de paix », dans une scène évoquant une pièce politique mal mise en scène. Personne — ni à Washington, ni dans les capitales arabes — ne croyait véritablement que ce plan portât les germes d’une paix réelle ; chacun savait qu’il n’avait pas été conçu pour la Palestine, mais qu’il avait été soigneusement élaboré pour consacrer la réalité de l’occupation et prolonger l’influence d’Israël, tandis que les rôles étaient distribués aux alliés afin qu’ils semblent partenaires dans la fabrication d’un « accord historique ».
Mais ce qui n’était pas clair à l’époque, c’était l’ampleur de la manipulation qui a été appliquée aux textes de l’accord avant son annonce. Après qu’il eut été approuvé au sein des couloirs de Nations Unies par des représentants et dirigeants de huit pays arabes et islamiques, il a été reformulé à Washington de façon à servir entièrement la vision israélienne, pour que tout le monde se retrouve ensuite surpris : le plan qu’ils avaient approuvé n’était plus le même. Ces États ne purent que se taire, bien qu’ils aient parfaitement su qu’ils signaient un document qui redessinait la géographie politique de la région aux dépens du peuple palestinien.
On pourrait dire que Qatar et Turquie, qui jouèrent un rôle en coulisses dans ce projet, furent trompés. Mais cette justification, aussi diplomatiquement compréhensible soit-elle, n’efface pas ce qui s’est passé d’un point de vue moral. Car ce n’est pas la tromperie, mais bien la trahison qui décrit le mieux ce qui s’est passé. Une trahison perpétrée sous le regard du monde alors que l’extermination à Gaza avançait sans relâche, et que Netanyahu obtenait les feux verts pour poursuivre les bombardements et le siège. En arrière-plan, les Qataris étaient furieux d’avoir été écartés du rôle de médiateurs à la toute dernière minute, et les Égyptiens irrités que les clauses du plan marginalisent l’Palestinian Authority tout en maintenant des forces israéliennes postées à la frontière du Sinaï. Néanmoins, le nom de chaque État participant figurait dans la déclaration qui saluait le plan, sans qu’aucun ne s’en retire.
Le plus choquant, c’est que ces mêmes États, qui prétendaient soutenir la résistance, faisaient pression sur le Hamas pour accepter l’accord. Ainsi, ils sont passés de parties influentes à instruments d’application de ce même plan destiné à annihiler ce qui restait du rêve palestinien. Pour les habitants de Gaza, qui avaient enduré deux ans de siège et de destruction, cette annonce fut une véritable lame dans le dos ; au lieu de découvrir à la fin du tunnel de la guerre une lumière, ils trouvèrent une occupation nouvelle sous un autre visage, et un siège plus complexe qu’auparavant.
Au moment où l’opinion publique mondiale commençait à se retourner contre Israël, et à mesure que s’accroissait le nombre des États reconnaissant la Palestine, les dirigeants arabes et musulmans signaient un accord garantissant que cet État ne verrait pas le jour. Au lieu que la vague de sympathie internationale se traduise en gain politique pour les Palestiniens, elle se transforma en transaction assurant à Israël le droit de déterminer le sort de Gaza et de la Cisjordanie. C’est la paradoxe de l’histoire : que la trahison vienne de ceux qui auraient dû être le premier rempart de la cause.
Quant à la Turquie, elle prétendit avoir stoppé le nettoyage ethnique massif et avoir réintégré les agences de l’ONU à Gaza. En réalité, ce qu’elle a fait ne fut rien d’autre que de réarranger les cartes pour apparaître en tant que « sauveteur », alors que les clés de la solution restaient entre les mains de Netanyahu. Quant aux Emirats Arabes Unis, ils affirmaient avoir empêché l’annexion de la Cisjordanie, mais, comme les autres, ils remirent eux-aussi les clés de cette affaire aux Israéliens, sous le prétexte de la « réalité politique ». Chacun des deux camps a apporté des justifications diplomatiques, mais le résultat est le même : ni garantie d’arrêt de l’extermination, ni engagement de retrait de l’occupation de Gaza. Car l’accord donne à Israël le droit de rester, et un plein pouvoir pour décider quand et comment des parties du secteur seront remises à ce que l’on appelle « force internationale de stabilité ».
Netanyahu, en réalité, sortit de cette mise en scène comme le seul vainqueur. C’est lui qui fixe le volume de l’aide, la nature des matériaux de reconstruction, qui décide qui entre ou non dans le secteur. C’est lui qui détermine quand recommence la phase de « stabilité » et quand elle se termine. Autrement dit, l’occupation n’a pas quitté Gaza ; elle a seulement changé d’outils et de visage. Au lieu du char et de la balle, c’est désormais le siège politique et économique prisée d’un nouvel habit, gardé par des accords arabes et des cachets onusiens.
Le plan d’après-guerre qu’ils ont promu était, dès sa naissance, voué à l’échec, car il est né sur le cadavre de la justice. Il ne s’agissait pas tant de reconstruire Gaza que de la remodeler selon les souhaits israéliens. Le but n’était pas d’achever la souffrance, mais de la polir pour qu’elle paraisse moins féroce devant les caméras. Voilà pourquoi les Palestiniens ne trouvèrent dans ce plan que la saveur de la trahison : un goût amer, d’un sombre ton, qui s’insinue dans la mémoire comme un nuage de cendre après un incendie devastateur. La trahison en politique ne se mesure pas aux mots mais aux résultats. Et le résultat ici est clair : pas d’État palestinien viable, pas de souveraineté, pas même d’espoir. Il ne reste qu’un simple organisme assiégé, géré par une agence internationale sous supervision israélienne, validé par des États arabes qui autrefois brandissaient le slogan « la cause centrale ». Et pendant que dans les conférences s’élèvent les slogans « paix », on enterrerait le droit palestinien sous les décombres de la diplomatie factice.
Certains se demanderont : pourquoi ces États ont-ils accepté de participer à un tel accord ? La réponse n’est pas simple. Certains ont cédé sous la pression américaine, d’autres ont vu dans la transaction une occasion de gagner en influence ou d’apaiser les tensions avec l’Occident, d’autres encore pensaient que la « réalité politique » exigeait l’acceptation de l’inévitable. Mais le résultat est le même : toutes ces justifications se sont lézardées devant les enfants extraits des décombres, devant les yeux des mères qui disaient adieu à leurs fils sous les regards du monde.
Ce qui s’est passé n’était pas qu’un accord politique ; c’était une redéfinition de la conscience humaine dans la région. Des gouvernements ont conspiré par leur silence, et ont participé à l’élaboration d’un futur où les frontières de la justice sont effacées. Les Palestiniens n’avaient pas besoin de nouveaux ennemis, mais de véritables alliés. Or ils se sont trouvés pris entre une occupation étrangère et une trahison interne. Entre ces deux murs, la vérité s’est perdue, et l’espoir est devenu mémoire.
La saveur de la trahison qui s’est accrochée à la mémoire arabe après l’annonce du plan ne disparaîtra pas rapidement, car ce n’est pas un incident politique passager, mais une mutation dans les concepts. Le mot « paix » est devenu synonyme de reddition, « normalisation » un nouveau titre pour la domination, et « médiation » le masque du complice. Et lorsqu’historien parlera de cette phase, il dira que les Arabes, dans un moment de faiblesse, ont vendu ce qui restait de l’honneur de leur position pour une promesse mensongère de stabilité.
Quant aux Palestiniens, comme ils l’ont fait depuis des décennies, ils continueront de vivre parmi les cendres. Ils reconstruiront leurs écoles parmi les ruines, planteront dans leur terre malgré le siège, réécriront leurs histoires de résistance à nouveau. Parce qu’ils n’ont tout simplement pas le luxe de la trahison ni celui de l’oubli. Chaque pierre à Gaza porte la mémoire du sang, chaque enfant qui naît là-bas naît avec la conviction que la liberté ne se donne pas, elle se prend.
Telle est la véritable histoire derrière ce que l’on a appelé « le plan de paix ». Ce n’est pas la paix, mais une transaction au goût amer, portant la saveur de la trahison, servie sur un plateau de promesses mensongères. Et au final, il ne restera qu’une seule leçon : celui qui marchandera le sang ne peut établir la paix, et celui qui justifie la trahison au nom de la « réalité » s’est trahi lui-même avant de trahir sa cause.
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