Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | « Vivants sous les décombres, morts aux yeux du monde »

10 avril 2025
Les 8 enfants qui ont été massacrés hier 9 avril, par une frappe de l’armée génocidaire d’occupation sur un immeuble du quartier Al-Shuja’iya, à l’est de Gaza-ville.

Le 10 avril au soir Abu Amir envoie ce texte comme un fragment de la guerre, il faut continuer d’écrire…la mort et la vie à Gaza

À l’est de la ville de Gaza, dans les quartiers modestes où l’odeur du pain brûlé se mêle à celle de la poussière chaude, se cache une tragédie dont les chapitres continuent de s’écrire. Une modeste maison partagée par deux familles, ses murs portant les traces d’une vie simple mais éprouvante — des rires d’enfants résonnant dans les couloirs, des conversations douces filtrant par les fenêtres usées. C’était un foyer ordinaire… jusqu’à ce qu’il devienne une tombe collective.

Il y a six jours, une explosion d’une violence inouïe a tout balayé. En un instant, la maison s’est effondrée, ensevelissant quinze personnes sous les gravats. Depuis, aucune d’elles n’a été retrouvée. Non pas parce qu’elles sont mortes, mais parce qu’elles sont toujours vivantes.

Oui, quinze âmes, dont treize enfants, sont prisonnières sous les ruines depuis six jours. Deux femmes, un homme, dix enfants de moins de dix ans, et trois adolescents. Leurs petits corps sont coincés entre béton et ferraille. Leurs yeux cherchent un rayon de lumière, tandis que leurs esprits luttent contre la peur, la faim et l’étouffement. Et le temps, impitoyable, ronge lentement le dernier espoir.

Dans les heures qui ont suivi le bombardement, les voisins accouraient encore, criant les noms des disparus. Des voix leur répondaient — faibles, brisées, mais bien vivantes. Ils entendaient des murmures, des gémissements, les pleurs des enfants. De sous les gravats, les piégés imploraient : « Nous sommes vivants… ne nous abandonnez pas. » Ces mots déchiraient les cœurs de ceux qui les entendaient. Les habitants tentaient de creuser, de sauver leurs proches… mais les bombardements redoublaient d’intensité. La zone est devenue un enfer de feu et de métal. Les ordres de fuir furent donnés, et les habitants, la gorge nouée de larmes, durent partir. Ils laissèrent derrière eux des souffles mourants, des mains tendues vers l’impossible, des regards suspendus à l’attente.

Depuis ce jour, plus personne n’a pu revenir. Des chars israéliens encerclent la zone, des soldats armés jusqu’aux dents tirent à vue. L’endroit est bouclé, étouffé par un silence plus lourd que la mort. Les voix que l’on entendait ont peu à peu disparu. Non pas parce que la vie s’est éteinte, mais parce que personne n’a tenté de la sauver.

Ces derniers jours, les bombardements se sont intensifiés. Les quartiers sont rasés, les maisons s’effondrent en cascade. Les familles entières disparaissent. Les corps sont extraits ou restent exposés à l’air libre, tombant dans les rues. Gaza devient une vaste tombe à ciel ouvert, sans cercueils, sans funérailles, sans adieu.

Au cœur de cet enfer, les quinze piégés attendent encore. Aucun son ne leur parvient, aucune main ne peut les atteindre. Les bulldozers sont interdits, les équipes de secours abattues, les appels à l’aide ignorés. Le Croissant-Rouge a reçu les alertes, tout comme des centaines de journalistes et d’organisations, mais l’impuissance est plus cruelle que les gravats eux-mêmes.

À Gaza, la mort ne survient pas seulement sous les bombes, mais aussi dans l’abandon. Qui sont ces enfants ensevelis ? Leurs noms circulent sur les réseaux sociaux. Ce sont des enfants comme tant d’autres dans cette ville assiégée. Peut-être une fille serrant sa sœur dans l’obscurité, un garçon étouffant sa douleur pour ne pas alarmer les autres. Peut-être que tous se taisent maintenant, épuisés, s’accrochant à la vie avec la certitude que personne ne viendra.

Gaza ne meurt pas d’un seul coup. Elle meurt par fragments. Sous les ruines, à la surface, dans les hôpitaux, dans les files d’attente pour le pain, dans les yeux qui n’espèrent plus. Les bombes tombent du ciel, le béton les écrase par-dessous, les chars les encerclent, et le silence les achève. Le paradoxe cruel, c’est que ceux qui sont morts sont peut-être les seuls à avoir trouvé la paix. Ceux qui vivent encore, eux, sont engagés dans une course terrifiante contre la mort… seuls.

Peut-être qu’au moment où ces lignes seront lues, l’un des enfants aura rendu son dernier souffle. Peut-être, un miracle se produira à la dernière seconde… Mais une chose est sûre : Gaza continuera d’écrire ses récits avec du sang, des pierres, et des voix étouffées sous les décombres, en attendant qu’un jour, quelqu’un entrouvre à nouveau la porte de la vie.

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