Corona-connerie : a-t-on encore le droit d’aérer sa literie ? | Billet d’humeur

26 avril 2020

Dans une banale anicroche de voisinage, un lecteur du Poing s’inquiète des effets délétères de l’épidémie sur nos comportements sociaux.

On a bien failli ne pas pouvoir lire l’article qui débute ici. C’est qu’il a bien failli ne pas être écrit. Lorsque R. B., lecteur du Poing, nous laisse un message samedi matin, il y parle de draps à son balcon. Immédiatement, on pense à un nouveau cas de répression anti-banderoles sur fond de dénonciation anonyme. C’est pas le sujet qui manque par les temps qui courent… Puis au moment de se parler en direct, il faut relativiser. R. B. n’a jamais qu’un problème d’aération de ses draps. Il a l’habitude de leur faire prendre l’air chaque dimanche matin, en les installant sur les rebords de son balcon, pendant deux heures environ.

Plus clairement, R. B. a surtout un problème de voisinage à ce propos ; un problème survenu dans le contexte de l’épidémie de coronavirus. Bon. Média anticapitaliste principalement consacré aux luttes, Le Poing se pose d’abord la question : est-ce que les problèmes de voisinage de R. B., même fidèle lecteur, concernant l’aération de sa literie, méritent sérieusement la publication d’un article ? On commence par se dire que non quand même. Mais les explications de R. B. font leur chemin dans les esprits anticapitalistes, et on finit par se dire que oui, peut-être bien.

Car voilà, quand cet honnête fonctionnaire aujourd’hui astreint au télétravail, reçoit mercredi dernier une lettre signée de T. C., présidente du conseil de copropriété de la résidence où il est locataire, entre cours Gambetta et avenue Clémenceau à Montpellier, les bras lui en tombent. Jamais on ne lui avait fait la moindre remarque concernant sa petite manie hygiénique dominicale. Or soudain, ce courrier vient lui secouer sous le nez l’article du règlement de copropriété qui interdit cette pratique.

Et cette soudaineté veut dire que l’épidémie de coronavirus est passée par là. Si le courrier dit bien qu’il est de tout temps interdit d’exposer ses draps, il lui est intimé l’ordre « de ne pas secouer, de plus, [ces] draps à l’extérieur, la poussière pouvant se répandre sur les balcons environnants, ce qui n’est pas souhaitable en cette période de confinement ». On ne va pas détailler ici la guerre de mails, courriers, affichages publics dans le hall, entre R. B., le syndic, l’agence immobilière auprès de qui il règle son loyer, et enfin co-résidents.

Car derrière cette minuscule anecdote de la vie quotidienne, R. B. voit poindre ce qu’il y a de « grotesque et indécent [dans ce] rapprochement douteux entre confinement et poussière ». Surtout, il décèle et ne veut pas laisser passer un glissement insidieux de comportement, entre grandes phobies irrationnelles et début de délation même minuscule. Tout en faisant savoir qu’il veut bien arrêter l’acte incriminé, il exige des excuses de la part du syndic, et il fait savoir aux voisins qui ont déclenché ces grandes manœuvres, son « sincère mépris pour ne pas être venus [lui] en parler de vive voix ».

Mieux, leur rappelant qu’il y a vingt mille morts dans le pays, il leur suggère de s’« en prendre plutôt aux vrais responsables : aux politiques libérales et à la gestion de la crise catastrophique, agrémentée de mensonges du gouvernement actuel ». Ces phrases une fois écrites et affichées, R. B. a trouvé quelque satisfaction dans des réactions de soutien manifestées par d’autres voisin·e·s.

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