Le référendum d’autodétermination en Catalogne, un geste radical
1 octobre 2019« Ne permettez pas qu’on vous mette une prison à l’intérieur de vous-mêmes »1
En Catalogne, le 1er Octobre 2017, il a été organisé un référendum d’autodétermination qui précédemment avait été décrété illégal par le Tribunal Constitutionnel Espagnol. L’organisation de ce référendum devenait ainsi un acte de désobéissance civile pacifique. Il a été mis en place grâce à la participation des citoyens appartenant aux CDR (Comités de Défense du Référendum) et à l’engagement du dense tissu associatif catalan. Ensemble, ils et elles se sont organisés·ées clandestinement sous la surveillance démente de l’œil de la répression. Toute cette opération a réactivé notamment le lien avec la Catalogne du Nord et réinvesti les chemins de l’exile de la Guerre Civile Espagnole. Les urnes ont été achetées en Chine, réceptionnées au port de Marseille, cachées dans un petit village français près de la frontière et ensuite distribuées secrètement sur tout le territoire catalan.
Le référendum étant non-officiel, il n’aurait pas modifié la législation officielle.Cependant, l’État Espagnol a envoyé 6000 agents de la Policia Nacional et de la Guardia Civil pour l’empêcher. 991 blessés ont été recensés en une seule journée à cause des charges policières. Pourquoi ? Pourquoi dépenser 87 millions d’euros pour empêcher ce référendum ? Puisque l’État Espagnol, tel qu’il est, a voulu utiliser cet événement pour apprivoiser son propre mythe national.
Le nationalisme espagnol est une invention récente, avec un bagage colonial et structuré par les principes de la Reconquête (Reconquista) : récupérer les territoires qui ont été usurpés par des « arabes » et des « juifs ». Un mythe impérial de la Castille, de l’Amérique conquise par Christophe Colomb. C’est un nationalisme construit sous une forme offensive qui a toujours eu besoin d’un ennemi intérieur ou extérieur avec lequel resignifier la nation. Ce mythe fonde l’élite politico-administrative et économique étatales. C’est un état qui combat tout ce qui ne répond pas aux intérêts de cette élite militaire, raciste, étatiste, monarchique, catholique, fasciste et impérialiste.
La répression du 1er Octobre fut exercée telle une mission patriotique. La victoire contre les catalans rebelles devait réaffirmer les idéaux de la nation. L’élite avait besoin de cette opération pour renforcer son pouvoir qui vacillait à cause de la crise économique et de la corruption systématique du parti qui était à la tête du Gouvernement (le Partido Popular Español). Toute la force répressive employée réécrivait le récit national-patriotique espagnol qui identifie la nation à l’état, et l’état à l’armée et à la police. Ce combat contre l’ennemi intérieur nourrisserait le discours des médias nationaux et unifierait les espagnols·es sous une idée unique de la nation et les opposerait à ce peuple catalan rébelle qui agit en dépens « de l’ordre et de la loi ». 2 Bref, empêcher le référendum fut un acte de propagande !
Ce qui s’est passé réellement fut toute autre chose: un peuple avec une énorme densité associative et accoutumé à être une nation sans état qui s’autogère, a résisté à l’attaque. Associations de pères et mères, les comités de défense du référendum, les réseaux de l’exile, associations de voisins, « ateneus »3, centres cívics, syndicats (Intersindical CSC) étudiants auto-organisés…La participation individuelle à l’organisation du référendum fut également très plurielle : des gens provenant de toutes les couches sociales, de tout âge et condition, en commençant par les anciens survivants du franquisme jusqu’au jeune hacker du parti pirate. Tous et toutes ont assuré le déroulement de ce référendum , ils et elles ont protégé les bureaux de vote avec leurs propres corps.
Ce qui s’est passé le 1er Octobre 2017 en Catalogne fut sans doute un geste radical puisqu’en allant jusqu’au bout de la désobéissance et de l’insoumission, le peuple catalan ridiculisa le pouvoir de l’état espagnol. Toutes ces personnes là, ensemble, fermes et déterminées, ont fait échouer le Régime du 78. « Le 1 Octobre et le 3 Octobre a eu lieu ce que Walter Benjamin appela « le temps messianique » et les Indiens Quechouas d’Amérique latine, le « Pachacuti ». Tous ces concepts désignent l’irruption de quelque chose d’inattendu dans une situation de domination ou dans la reproduction de cette structure » 4 Ce fut une action transformatrice, un événement qui changea le discours politique, les subjectivités inscrites dans ce discours et créa une nouvelle vérité historique. Une immense dignité collective découla de ce geste radical.
Résultats du Vote: 2.044.038 votes pour le Oui à l’indépendance, 177.547 votes pour le Non à l’indépendance, et 44.913 votes blancs. Ni la Guardia Civil ni la Policia Nacional ont trouvé les urnes avant la journée de vote.
L’Empire disant qu’il ne négocie pas. Il menace de tout écraser.
De l’autre côté, la force des gens auto-organisés qui répond : « No passareu ! »
Aujoud’hui, en Octobre 2019, qu’est-ce qui se passe ? Les catalans, nous sommes tous amoureux de ce geste radical. Nous voulons le sustenter dans le temps. Nous voulons vivre un 1er Octobre perpétuel. Nous voulons voir ce misérable régime faire le ridicule éternellement. Lui, de son côté, sait que pour nous vaincre doit étouffer cette expérience qui est en nous. Il doit nous séquestrer psychiquement de cet événement. Mettre une prison en nous. Par quel moyen pense atteindre son but ? Avec la carte de la justice politique. En mettant des activistes innocents en prison. Des personnes dignes et determinées comme Jordi Cuixart.
Ce mois d’Octobre qui vient, pasaran o no pasaran ?
Écrit par Albert Martín Rubió et Pilar Claver
1« Que no us posin la presó a dins » Jordi Cuixart. Septembre 2019
2« Viva España, Viva el Rey, Viva El Orden y La Ley » Consigne fasciste
3Association culturelle catalane avec pour objectif la diffusion de la sicence et la culture modernes
4Voir l’article en ligne de Ramón Grosfoguel « La rébellion catalane comme événement et la banqueroute de la gauche espagnoliste »
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