Six gardes à vue en un an de Gilets Jaunes : Roland Veuillet témoigne

19 avril 2020
La garde à vue, une expérience arbitraire et bien souvent humiliante

Roland Veuillet nous propose un  texte de synthèse des six gardes à vue qu’il a subies  en 2019, dans le cadre de la répression contre le mouvement  des Gilets Jaunes. Faire six témoignages lui est apparu comme redondant et  indigeste à la lecture. Il a donc préféré écrire un seul témoignage, reprenant les faits qui l’ont le plus marqués, ainsi  que ceux qui se sont répétés à chaque fois.

Il s’agit pour lui  par ce témoignage “condensé”  de dénoncer des conditions de détention dignes  du moyen âge, ce qu’il appelle le cachot.

Pour en savoir plus sur l’acharnement judiciaire et policier dont M. Veuillet a été victime, vous pouvez lire cet article du Poing, et celui-ci. Ainsi que cet autre papier de nos confrères du D’Oc.

 

 

C’est une histoire bête, comme il en survient parfois. Elle m’est arrivée, elle aurait pu vous arriver. Je suis pourtant un peu Monsieur tout le monde, la soixantaine passée, et de tenue plutôt correcte.

Bref, pas celui qu’on peut soupçonner, à priori, d’être un délinquant.

Qu’importe. Voilà qu’un jour, un policier m’interpelle en me tutoyant. Je me permets de lui faire remarquer qu’il doit s’adresser à moi autrement. Avec son collègue, ils se mettent à rire odieusement, accompagnant leurs  gloussements de gestes obscènes. Mais, ils se reprennent, et me demandent mes papiers.  

Bien que ceux-ci soient en règle, je suis embarqué au commissariat.

Là, inutile de vous dire que le tutoiement est de rigueur : « On te fout au trou pour outrage et rébellion », me dit-on. «Ah bon qu’ai-je fais ? » demandais-je. «La ferme, ici, c’est moi qui pose les questions »  répond le préposé, en guise d’accueil courtois. Et  c’est ainsi jusqu’ à l’arrivée dans les caves, qui font offices de cellules.

Toujours tutoyé, on me prend mes affaires, mes lunettes, ma montre. Puis brutalement on me palpe au corps, avant de m’enlever ma ceinture et mes lacets. Et c’est par une violente bousculade que je suis introduit dans une pièce exiguë de trois mètres sur deux. On claque brutalement la porte derrière moi, après m’avoir retiré les chaussures.

Je me retrouve dans un véritable cachot, inondé par une lumière électrique vive,  car il n’y a aucune fenêtre.

L’air y est vicié, puisqu’ il n’y a pas d’aération. Là se trouvent déjà trois personnes, elles y sont depuis longtemps, de ce que j’apprend !

L’un d’eux frappe à la porte, car c’est la seule façon d’appeler les geôliers  : il voudrait boire. Un quart d’heure après, un policier arrive, et dès qu’il est informé de la requête,  il éructe : « Tu crois quoi  toi là ? Ici, c’est pas  l’hôtel, tu veux pas non plus aussi  qu’on t’apporte un cognac,  pendant que t’ y es ! » Et  il repart.

D’ une autre cellule, un gardé à vue demande à aller aux toilettes. Le cerbère répond en criant  : « Tu attendras, et puis t’as qu’à pisser dans tes brailles ». Il est vrai, que les sanitaires ne font pas du tout envie, tant c’est sale. C’est ce que je constaterai quelques heures plus tard, quand finalement notre cerbère daignera jouer les hommes – pipi. Mais attention, il faut y aller pieds nus ! Il est vrai que ça sent l’urine et les excréments. C’est peu dire,  puisqu’ une forte odeur de rance domine ces lieux très glauques.

L’un de mes compagnons d’infortune voudrait un peu dormir, mais c’est très difficile, car il n’y a qu’un banc, et une seule paillasse dans un triste état. Un autre codétenu pleure, lui…

Ambiance !

Le temps est long à ne rien  pouvoir faire, et bouger est une véritable épreuve. Même la lecture est interdite (qu’en pense le ministre de la Culture ? Celui de l’ Education Nationale ?   …ou même Macron ! ).

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, quand soudain on vient me chercher, pour audition.

A l’OPJ -officier de police judiciaire- qui m’interroge,   je réponds à chacune des questions par un « je n’ai rien à déclarer ». Il se met en colère, et devient menaçant, je persiste. Le tutoiement est toujours de rigueur. Je proteste, rien à faire, il continue.  

Puis je me fais insulter : «Tu vas voir connard.  Ici, on est chez nous ! ». Et ça recommence de plus belle, jusqu’à ce qu’on me reconduise au cachot, manu militari.

Les trois autres sont toujours là, ils me questionnent sur ce qu’il s’est passé   : « Ils t’ont frappé   ? »   

« … Moi si !    tout à l’heure », me répond   l’un d’eux.

On nous apporte à manger  : une assiette jetable, avec un contenu dérisoire. Les trois  autres me disent : « Il doit être aux alentours   de sept heures, puisque c’est l’heure de la bouffe ». En fait, la cadence des repas est le seul repère temporel qu’on puisse avoir en garde à vue, puisqu’il n’y a pas d’horloge, pas de fenêtre pour voir le jour,   et que montres et portables ont été confisqués.

Dans les cellules voisines,  ça crie, les gens s’interpellent  : la lassitude et la promiscuité créent de la souffrance, tout le monde tourne en rond, comme tigre en cage.

Puis on vient me chercher : « Tu es libéré ». Je proteste à nouveau sur le tutoiement, mais qu’importe,  ça continue, avec en plus  des menaces : « Si t’es pas content, on peut régler ça autrement ! ». On me rend mes affaires et on me reconduit vers la   sortie du commissariat. Il fait nuit, je regarde la lune dans le ciel, il est environ 22 heures.    

J’ai donc été enfermé pendant plus d’une demie journée, sans aucune raison, puisqu’ aucune poursuite pénale n’est engagée contre moi. Quant aux excuses… On peut toujours attendre.

Ce récit est malheureusement, le quotidien de beaucoup de personnes, interpellées, par des policiers, puis humilié par leurs collègues, sans aucun motif pénalement qualifiable.  Pire, sans aucune raison.

La garde à vue est une procédure pénale, soumise à l’arbitraire de policiers qui agissent dans la toute puissance. Mais le plus grave, c’est  qu’elle constitue une atteinte grave à la dignité humaine, par des humiliations imposées gratuitement, par des méthodes dégradantes, accompagnées d’une  intention évidente de nuire.

J’ajoute, qu’ayant malheureusement  aussi goûté à la prison dans  le cadre de la répression, les conditions de  vie dans les maisons d’arrêt sont bien meilleures  qu’en garde à vue : on peut lire, regarder la TV, écouter la radio,  écrire, prendre sa douche, sortir 6 h par jour, fumer, et voir l’extérieur  par la fenêtre, donc savoir l’heure.

Une  pétition est  en ligne pour protester  contre cette situation inacceptable

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Et pendant ce temps-là... un gilet jaune, seul, tiens tête sur le rond-point de chez Paulette à Lavérune