« Anarchistes contre le darwinisme social », contre la sélection des patients lors des pics épidémiques

Le Poing Publié le 28 avril 2021 à 21:27 (mis à jour le 28 avril 2021 à 22:34)

Le collectif « Anarchistes contre le darwinisme social » s’est formé au plus fort de la récente crise sanitaire liée au coronavirus. Au programme, manifeste politique, recension de témoignages sur la sélection des patients et vive critique de la barbarie capitaliste.

Présentation du collectif

  En mars 2020, Nodo crée le groupe Facebook « Covid-19 Non au darwinisme social ! ». Nodo a été en réanimation un mois et hospitalisé quatre mois juste avant le début de la pandémie. La réanimation lui a sauvé la vie, et il est alors très attentif quand surgit la question de la saturation des réanimations au mois de mars. Au-delà du rouleau compresseur de la propagande gouvernementale et de du charlatanisme des mass médias, il constate à travers plusieurs découvertes dans la presse, notamment régionale, ou dans des publications syndicales, l’existence d’un tri âgiste et validiste des patient-e-s qui peuvent être admis-e-s en réanimation : une rupture de l’égalité d’accès aux soins thérapeutiques et réanimatoires, non sur critères médicaux, mais matériels, humains, et bureaucratiques (ordres de non prises en charge par la régulation du SAMU au-delà d’un seuil d’âge, notamment).

  Fin mars, c’est le début du tri, lors de la saturation des réanimations, notamment dans le Grand Est, et la région parisienne, du fait du manque de personnels soignants spécialisés, en nombre suffisant, du manque de lits et de respirateurs, le tout résultant d’une politique cynique menée en connaissance des risques, de destruction de l’hôpital public. Le groupe recense alors des dizaines de témoignages, peu relayés mais disponibles dans la presse (et à l’exclusion de tout ce qui provient alors de la fachosphère et de la complosphère, France soir, RTL et sites de « réinformation» covid). Il s’agit parfois de simples entrefilets, qui passent souvent inaperçus dans le flot continu de la propagande médiatique du gouvernement.

  Le groupe défend alors l’accès gratuit aux masques FFP2 pour tout le monde, et non en tissu, comme ceux qu’envoie alors cyniquement le gouvernement, à peine sorti du déni de son crime initial concernant les masques, s’oppose au caractère anti-sanitaire de l’assignation à résidence, dans des espaces domestiques clos, que constitue le confinement, et prône au contraire une stricte suspension des activités non-essentielles, et de réelles mesures de protection dans les écoles, qui rouvrent en mai en pleine négation de contaminations chez les enfants par le gouvernement et son « conseil scientifique ». Une pétition contre le tri est lancée (900 signatures), et les témoignages sont rassemblés dans un Verbatim publié sur le site Paris Luttes Infos. Plus tard, le groupe devient «Anarchistes contre le darwinisme social ». Le groupe rédige un manifeste, publié sur le groupe Facebook et sur Paris-Luttes infos. Suite à un échange avec l’équipe de rédaction, Mediapart offre un mois de blog gratuit,  blog finalement pérennisé (Le blog de Non au darwinisme social | Le Club de Mediapart). Au sein du groupe se crée le Collectif des « Morts Acceptables »1 contre le Tri Âgiste et Validiste par Manque de SoignantEs, de Lits et de Respirateurs ; ; il est constitué par des personnes concernées, dont Nodo, qui ont des co-morbidités, ou des poly-pathologies, et qui sont prioritaires pour être écartées des soins thérapeutiques réanimatoires en cas de saturation, voire non prises en charge thérapeutique par principe, en fonction de leur âge notamment, ou de leur localisation dans un établissement ( Ehpad, établissement pour personnes handies notamment ). Elles peuvent être orientées, parfois systématiquement, vers la sédation profonde terminale et continue. Ce Collectif des « Morts Acceptables » contre le Tri Âgiste et Validiste par Manque de SoignantEs, de Lits et de Respirateurs prend contact avec l’association coronavictimes.net créée par Michel Parigot (mathématicien au CNRS et fondateur du comité anti-amiante de Jussieu ; il a lutté entre autres dans l’affaire du sang contaminé et plusieurs autres affaires de santé publique).

Michel Parigot a été une des seules voix importantes à avoir dénoncé le tri.

  Ensuite, le groupe énonce le risque d’une deuxième vague. Dès la création du collectif, on défend le droit de manifestation, on s’oppose à l’assignation à résidence, on défend le libre accès au plein air, une plus grande fréquence des transports en commun, des amplitudes horaires allongées et non restreintes par des couvre-feu qui densifient les flux sur les heures autorisées limitées.

  La critique anti-validiste a été favorisée par le travail de collectes d’articles d’Odile Maurin (personne en situation de handicap, militante gilet jaune) ; Odile Maurin a créé un groupe de discussion avec Nodo, plusieurs membres du groupes « Anarchistes contre le darwinisme social » et des membres de la CLE-autistes, du CLHEE (collectif luttes et handicaps pour l’égalité et l’émancipation) et de Handi-Social. Ces collectifs autonomes critiquent les associations « officielles » qui se présentent comme représentants et défenseurs des personnes handies, mais qui sont en réalité des institutionnels, qui parlent en lieu et place des personnes handies, et ne défendent pas les intérêts de celles-ci, mais ceux de leurs instituions (en témoigne la rétention de témoignages de personnes handies et de leurs proches sur le tri lors de la première vague dans des établissement les « accueillant ») ; ces collectifs autonomes  luttent pour la désinstitutionnalisation, l’accès réel à l’autonomie et l’auto-organisation des personnes en situation de handicap.

Le groupe dénonce également les crimes policiers qui ont eu lieu pendant le premier confinement. Le groupe dénonce le meurtre de Floyd et le meurtre d’Adama. Un groupe Facebook se crée, « coalition pour l’abolition de la police ». En tout, 25 groupes Facebook se sont créés (voir ici ) Le prochain objectif est de faire sortir ces luttes des réseaux sociaux marchands pour des plateformes libres, décentralisées, comme Mastodon, Diaspora ou TheChangeBook .

Présentation du Manifeste : « Non au darwinisme social et au tri âgiste validiste par manque de lits et de respirateurs »

  Tout d’abord, le manifeste fait état des conséquences de la casse de l’hôpital public en temps de pandémie. Le darwinisme social, voire l’eugénisme, vont devenir les seules options envisageables à l’ère du néolibéralisme de crise :

« Dans le courant du mois de mars 2020, alors que la pandémie de Covid19 se répand sur l’ensemble du territoire, des soignants alertent sur la saturation des services de réanimation, en particulier dans le Grand Est et l’Île-de-France. Seuls 5000 lits sont alors disponibles contre 10 000 en Allemagne. Le fruit d’une politique néo-libérale criminelle, commune aux gouvernements Macron, Hollande et Sarkozy, de destruction méthodique de l’hôpital public, de véritables campagnes de fermetures de lits, politique délibérée et chapotée par les ministres de la santé successifs et leurs cabinets, et déclinée en région par les bureaucraties des ARS.

La presse allemande se fait l’écho le 26 mars d’un rapport médical de spécialistes allemands sur la situation catastrophique qui règne dans les hôpitaux alsaciens, en particulier à Strasbourg (1) : par manque de matériel (respirateurs et lits), les patients âgés n’y sont plus ventilés. “Toute personne de plus de 75 ans n’est plus intubée”, titre la Frankfürter Allgemeine Zeitung, ou le Tagesspiegel. Die Welt souligne “qu’“on aide désormais plus les patients les plus âgés qu’à mourir”. »

Dans les Ehpad, le tri âgiste se barbarise. La société productiviste laisse mourir des personnes qu’elle ne juge plus productive. Le capitalisme, en tant que productiviste, est structurellement darwiniste social :

« Adjoint au maire à Paris, le socialiste Emmanuel Grégoire révèle quant à lui dans une interview de bfmtv que cette pénurie organisée de lits et de respirateurs s’est traduite par des refus non seulement de réanimation mais même d’hospitalisation, de résidents d’Ephad atteints du Covid-19 : « Il est arrivé que nous soyons confrontés à des appels qui ne puissent PAS être PRIS EN CHARGE et donc qui ont conduit à la MORT en établissement d’un certain nombre de résidents atteints du Covid-19 […] Le SAMU dit « je ne viens pas », « je ne PEUX pas », et les patients RESTENT dans la chambre ». […] C’est dire à quel point l’anticipation du risque pandémique, a toujours été le cadet des soucis des darwinistes sociaux ultra-libéraux qui nous gouvernent depuis plus de trois décennies »

La presse officielle et la communication politique développent un véritable négationnisme face à ce tri barbare :

« Quand la question leur est posée, Pouvoir Lrem et médias dominants (propriétés de milliardaires et de marchands d’armes) affirment contre l’évidence que ce tri n’existe pas, nulle part. “Le tri n’existe pas” is the new “il n’y a pas eu de retard dans les mesures de confinement”. »

« Un article du Monde dénué de toute déontologie journalistique qualifie d’emblée et dans le titre ces patients covid19 âgés et triés pour la mort de « malades en fin de vie » là où beaucoup sont en fait parfaitement soignables, comme le montrent les témoignages suivants, avec les moyens nécessaires… 

Le caractère systématique des exclusions de réanimation en fonction d’un âge-seuil variable selon la saturation des réas, et d’autre part le fait que c’est bien la PÉNURIE DE RESPIRATEURS, et non l’état prétendument désespéré de tous ces patients, qui conditionne ce tri.

Une politique de sédation terminale appliquée à des patients soignables ne relève en aucun cas des soins palliatifs mais bien d’une politique d’assassinats, c’est-à-dire de meurtres politiquement prémédités. »

Le manifeste identifie « les cibles du tri âgiste, validiste et capacitiste : vieux et handicapés ».

Les personnes qui ne sont pas viables pour l’économie réelle peuvent être écartées des soins thérapeutiques réanimatoires, et orientées, parfois de manière systématique, vers la sédation terminale et continue :

« Vieux, handicapés et fous : le tri euthanasique encouragé par le gouvernement et les ARS concerne avant tout les plus fragiles, qui sont sacrifiés au nom du “bien commun” et de “l’utilité sociale” des individus. La parenté de cette politique macronienne avec l’eugénisme historique et le darwinisme social est flagrante. Au nom d’un “bien commun” qui dépasserait leurs vies, et d’une “pensée” économique qui met en balance les vies sauvables et le coût des respirateurs et des places en réanimation, on les achève, avec la bénédiction et les encouragements de l’ARS et du gouvernement.

Les “inutiles” sont ainsi la cible première de cette barbarie. Après le sort réservé aux personnes âgées, c’est celui des personnes handicapées qui inquiète les associations, qui s’indignent dans un article de francetv.info “que le HANDICAP soit l’un des CRITÈRES DE TRI dans les hôpitaux SURCHARGÉS. Et les associations reçoivent de NOMBREUX TÉMOIGNAGES EN CE SENS.”

L’anthropologue Jean-Loup Amselle relève que ” comme la pandémie actuelle du Covid-19 le montre, un nouveau modèle se met en place, celui du darwinisme social dans lequel la survie des plus aptes devient la préoccupation essentielle. Le corollaire de cette position est que les plus faibles doivent céder la place, soit dans le cadre de l’« immunité de groupe » qui fait fonction de tri avec un grand nombre de contaminés et de victimes, soit dans le cadre d’un tri effectif où l’on décide de n’intuber et de ne réanimer que les malades les plus jeunes – ou les moins vieux – en raison du manque de respirateurs et de lits de réanimation.” »

Les sociétés savantes sont complices de ce tri des patients :

« Emboitant docilement le pas du gouvernement, des “sociétés savantes” remettent le 17 mars à la direction générale de la Santé un document intitulé “Priorisation de l’accès aux soins critiques dans un contexte de pandémie” proposant de baser le tri sur le principe social-darwiniste “d’UTILITÉ SOCIALE” des patients… Le 19 mars, c’est au tour de la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF) de publier ses propres recommandations. Pour “rationnaliser” ce tri inique, les deux textes encouragent le recours au “score de fragilité”, un indicateur mesuré grâce à l’échelle CFS (clinical frailty scale)… Les plus fragiles sont de faits les cibles prioritaires de ce tri meurtrier, dans la plus pure tradition eugéniste. L’intervention plus que regrettable de ces sociétés permet au gouvernement et aux ARS de se dédouaner partiellement d’être les commanditaires de ce tri barbare, auquel ces sociétés apportent une caution “scientifique”. » 

Extraits du Verbatim

– 16 mars 2020, témoignage de Yannick Gottwales, chef des urgences de Colmar, mail cité par Guillaume Krempp pour rue89strasbourg.com, hôpital Émile Muller de Mulhouse (Haut-Rhin), hôpital Pasteur de Colmar (Alsace)

« Face à l’épidémie de coronavirus, l’hôpital Émile Muller de Mulhouse n’est pas en capacité d’hospitaliser tous les patients. Un mail du chef des urgences de Colmar indique que des réflexions sont en cours sur « les critères (notamment d’âge) de limitation d’accès à la réanimation. » « Durant ces 15 derniers jours, toutes les mesures que nous avons prises ont été dépassées et donc insuffisantes dans la journée même », peut-on lire dans le mail de Yannick Gottwales. « Nous sommes au bout d’un système, il va falloir faire des choix sur nos critères d’admission, non seulement en réanimation, mais tout simplement dans une structure hospitalière. »

– 20 mars 2020, courriel du Conseil de l’Ordre des médecins du Vaucluse, obtenu par François Bonnet, Caroline Coq-Chodorge et Mathilde Goanec pour Mediapart

« Partout, la perspective de saturation et de priorisation affole. Dans le Vaucluse, par exemple, d’après un courriel que Mediapart a pu se procurer, le Conseil de l’Ordre des médecins faisait le 20 mars ce constat : « Malheureusement, au vu des dernières recommandations, les patients des maisons de retraite et Ehpad, présentant des comorbidités et en détresse respiratoire ne seront bientôt plus admissibles à l’hôpital. Il devra être envisagé pour eux des soins de confort. »

– 20 mars 2020, témoignage par Caroline Coq-Chodorge, Marine Turchi, Rachida El Azzouzi et Antton Rouget pour Médiapart, cité ici par l’Association CLE-Autistes ; CHU de Perpignan

« Le 21 mars, Mediapart a diffusé un document interne du CHU de Perpignan sur le triage. On y découvre que certaines morts sont considérées acceptables. Parmi elles, celles des personnes âgées ou polypathologisées (grande dépendance, démence…). Un score de fragilité est mis en place qui classe les patients et patientes en s’appuyant sur leur état de santé avant le covid 19. La dépendance dans les actes de la vie quotidienne est un élément majeur de refus en réanimation, tout comme les cas de démence. »

– 25 mars 2020, témoignage de Wilfrid Sammut, urgentiste au Samu des Yvelines, recueilli par François Bonnet, Caroline Coq-Chodorge et Mathilde Goanec pour Mediapart.

« Au Samu des Yvelines, l’urgentiste Wilfrid Sammut est chargé d’évaluer les urgences, et de les répartir entre les services. […] « On avait déjà du mal à faire admettre les patients âgés, très dépendants, parce qu’ils bloquent les lits de l’hôpital. Mais on les évaluait aux urgences, on leur donnait une chance d’accéder à des soins intensifs. Aujourd’hui, à partir de 85-90 ans, et même plus jeune s’ils sont très dépendants ou malades, on ne les prend plus. Je trouve cela terrifiant. Je ne suis pas Dieu, ce n’est pas à moi de décider qui doit vivre et qui doit mourir. »

– 4 avril 2020, témoignages d’alertes du Grand Est, de Bourgogne Franche Comté, de l’Oise et d’Ile-de-France recueillis par le « collectif Handicap » de l’Unapei

« Les associations reçoivent quotidiennement des alertes du Grand Est, de Bourgogne Franche Comté, de l’Oise et d’Île de France. Des personnes handicapées atteintes par le covid19 ne seraient pas admises en soins intensifs ou en réanimation. Les critères médicaux de vulnérabilité au Covid19 au lieu de déboucher sur une attention et des soins renforcés, servent à l’inverse de critères d’exclusion des soins »

– 6 avril 2020, tract des soignants de la CGT HAD (Hospitalisation à domicile) de l’AP-HP (Paris), siégeant à l’hôpital de la Salpêtrière (lisible ici)

« La seule issue pour les personnes âgées en Ephad atteintes du coronavirus, la mort : inacceptable !!! Le décret du 28 mars autorise la prescription libre pour 15 jours de Rivotril (sédatif puissant) pour des patients Covid19 positifs symptomatiques. […] Les soignants de l’HAD découvrent des situations dramatiques où certains patients des Ephad sont marbrés et en insuffisance respiratoire depuis plusieurs jours sans oxygène. Dans un premier temps le personnel soignant de l’HAD avait reçu consigne d’administrer selon un protocole unique à ces patients âgés un traitement composé de morphine et d’hypnovel pour 48h qui a fait polémique (euthanasie ?). Cela a posé un problème éthique pour les personnels. […] La vérité : les résidents des Ephad n’ont aucune chance d’être transférés pour bénéficier de soins adaptés à l’hôpital dès qu’ils tombent malades. Les lits de réanimation en nombre insuffisant ne leur sont pas destinés. […] Des milliers de morts sont à venir encore dans les Ephad, parce qu’ils n’ont pas été protégés du virus, et que l’hospitalisation en réanimation n’est même pas envisagée pour eux. Jusqu’où allons-nous aller dans cette barbarie ? […] Il faut que les patients infectés soient hospitalisés, et pour cela il faut : la réouverture de lits, en particulier en gérontologie, des tests et des moyens de protection […] maintenant ! »

– 8 avril 2020, témoignage de Michel Parigot, mathématicien au Cnrs, recueilli par Nathalie Doménégo, pour France Bleu Paris

« Vous avez aujourd’hui des personnes avec une espérance de vie longue, qui avaient des chances de s’en tirer, et qui ne seront pas soignées faute de moyens. Il y a aussi des personnes laissées à domicile, des personnes qui vont mourir à domicile et ne sont même pas comptées dans les statistiques. Il y a aussi les résidents des ehpads qui sont victimes d’un tri structurel. Ils n’ont pas accès aux services de réanimation. […] Le problème est né de l’inaction de l’État en matière de prévention et d’adaptation du système hospitalier ; on demande au gouvernement d’assumer ces choix au lieu de se défausser sur les médecins ».

– 10 avril 2020, témoignage du sénateur Philippe Mouiller, et d’un médecin intervenant dans les établissements pour personnes handicapées dans le Grand Est, lors de l’audition de Sophie Cluzel par la commission des affaires sociales du Sénat

« Lors de l’audition le sénateur Philippe Mouiller a fait part de l’inquiétude de nombreuses associations à l’idée que les personnes handicapées puissent se voir, du fait de leur handicap, refuser des soins hospitaliers si elles contractaient le Covid-19. « Nous avons quelques remontées du terrain » a confirmé le sénateur. La tendance à faire du handicap l’un des critères de « tri » des malades a été confirmée à l’AFP cette semaine par un médecin intervenant dans les établissements pour personnes handicapées dans le Grand Est. »

– 15 avril 2020, Témoignage de S.*, infirmière en EHPAD dans le 94, recueilli par Ernest Everhard pour Révolution Permanente. Ephad Val de Marne

« … C’est déjà archi tard de s’être réveillé, sachant que les personnes âgées en EHPAD, ils le sont à cause de nous le personnel soignant. Ils sont isolés dans leurs chambres depuis le début de la crise et que les seules personnes qu’ils voient c’est le personnel soignant. Nous, on n’est pas testé. Et même si je savais que j’étais positive, je n’ai même pas les moyens de les protéger, c’est déjà trop tard. Le manque de matériel est criant alors que c’est la base de l’hygiène pour protéger les patients, en fournir massivement seul aurait pu sauver des vies ». […] A cela s’ajoute le

sentiment d’avoir tué leurs propres résidents car « ils auraient encore pu vivre de belles années, nous les EHPAD on a été abandonnés. Comme c’était des personnes âgées, ils ont décidé qu’on ne les prendrait pas à l’hôpital ».

– 23 avril 2020, transcription de l’intervention de Mathilde Fuchs pour la Coordination Handicap et Autonomie (CHA) – Vie Autonome France, lors de la réunion du Conseil de la CNSA (Caisse Nationale Solidarité Autonomie) à distance.

« On parle quand du génocide eugéniste ? Mes mots sont pesés. […] Je vais donc expliciter mes propos, vous vous y attendez probablement, il va y avoir des procès car il y a eu, et il y a encore, du tri effectué parmi les personnes malades présentant les symptômes du Covid19, c’est-à-dire qu’il y a des personnes que l’on a décidé de ne pas soigner, c’est en cela que je parle d’eugénisme. En institution, et l’on a mis beaucoup de temps à obtenir des chiffres, l’on se rend compte de l’énormité du pourcentage de personnes décédées en EHPAD. Ce sont des gens qui allaient très mal et qui, sciemment, n’ont pas été envoyées à l’hôpital. Pareil à domicile, et là nous n’avons pas de chiffres, mais l’on a su et l’on sait qu’il y a des consignes pour les soignants, le SAMU, les médecins traitants, indiquant de ne pas envoyer des personnes comme moi, comme des personnes âgées, comme des personnes handicapées avec déficience intellectuelle, etc. à l’hôpital, parce que soi-disant nos vies valent moins. […] »

Conclusion

J’ai rencontré Nodo en début de pandémie. Nous avions un diagnostic analogue. Nous étions tous les deux en situation de handicap, et étions très marqués par la politique eugéniste qui se développait. J’avais écrit un article à ce sujet, dont voici un extrait :

« L’histoire du système étatico-capitaliste est indissociable de l’histoire d’un certain darwinisme social. Le darwinisme social est une idéologie qui prétend appliquer à la société la loi « naturelle » de la sélection des plus « adaptés » (« seuls les plus adaptés survivent »). Stérilisations contraintes, enfermement, confinement, empoisonnement, voire extermination des « inadaptés » ou du « surplus » sont autant d’horreurs qui traversent l’histoire de la modernité capitaliste. Il ne s’agit pas de comprendre ces horreurs comme étant des « accidents de parcours » : au contraire, elles sont produites par la logique même du système étatico-capitaliste.

Le « darwinisme social » ne vient pas de Darwin, mais de Spencer, un pseudo-scientifique anglais du XIXe siècle qui voulait appliquer la « sélection naturelle » aux sociétés humaines. Le « darwinisme social » est un synonyme de spencérisme, et Darwin lui-même s’est opposé fermement à cette doctrine dangereuse, en 1871, dans La filiation de l’homme, en rappelant que la sociabilité et l’empathie avaient été sélectionnées lors de l’évolution de l’espèce humaine. Le darwinisme social (ou le spencérisme), comme idéologie sociale sélective, peut être lié à l’eugénisme (Galton) et au malthusianisme.

Aujourd’hui, certes, il n’existe plus dans les sociétés occidentales de politiques officiellement darwinistes sociales. Cela étant, on constate que le souci constant de la croissance économique et du profit, dans un contexte de crise, impliquant une certaine gestion politique austéritaire, débouche sur la réalisation pratique d’un principe de sélection darwiniste social. Il n’est pas nécessaire que les gouvernants assument intégralement et explicitement cette logique ; elle semble se développer de façon presque autonome, et se cristallise dans les institutions de la gestion étatico-capitaliste.

(…)

La casse de l’hôpital public liée à l’austérité induit de fait la nécessité d’opérer des sélections darwinistes sociales en temps de crise sanitaire. D’une certaine manière, en délabrant l’hôpital public depuis plus de 20 ans, les États faisaient le choix d’assumer des stratégies darwinistes sociales en cas de pandémie. Cette austérité politique ne vient pas nécessairement des intentions machiavéliques du personnel politique : elle semble être devenue une exigence fonctionnelle dans un contexte de crise économique. Le darwinisme social qui en découle semble devenir presque une fatalité objective, liée à un système économique aveugle aux souffrances individuelles, s’imposant presque comme une seconde nature. La manière dont les gouvernements assument publiquement aujourd’hui ce darwinisme social relève néanmoins d’une responsabilité politique et éthique déterminée, qui finit par devenir criminelle, et qu’il faut dénoncer avec force. »

(extrait de l’article : Coronavirus, validisme et darwinisme social – Le Poing)

Article de Benoît Bohy Bunel. Retrouvez le reste de son travail sur son blog.

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