Après la mobilisation féministe historique du 23 novembre, les perspectives restent à construire

Le Poing Publié le 27 novembre 2019 à 13:35 (mis à jour le 27 novembre 2019 à 13:39)
Image d'illustration
Samedi 23 novembre. Trois mille personnes défilent dans les rues de Montpellier contre les violences sexistes et sexuelles. Il y a en tout 150 000 manifestants à l’échelle nationale, soit près de trois fois plus que l’année dernière. Les organisateurs parlent de « la plus grande marche féministe de l’histoire de France ». Le féminisme passe un cap, mais lequel ?

Face à un constat dramatique, une mobilisation historique

À l’heure où cet article est rédigé, on décompte 138 femmes assassinées en France par leur conjoint ou un ex depuis le début de l’année, soit quasiment un féminicide tous les deux jours. Une femme est violée toutes les sept minutes, une femme sur trois est harcelée au travail, etc. C’est pour lutter contre ces violences que « Nous Toutes » se mobilise. Mais au fait, d’où vient « Nous Toutes » ? Le collectif – ou plutôt la collective – voit le jour en juillet 2018 à la Bourse de travail de Paris, en présence de plusieurs associations féministes, dont Le Planning familial, Osez le féminisme ou bien encore le Groupe F. Les organisatrices considèrent que depuis le mouvement #metoo et #balancetonporc, il n’y a pas eu de grande mobilisation collective en France, comme en Espagne, en Argentine ou au Chili.  L’objectif est donc « une déferlante féministe contre les violences féministes et sexuelles », et une première manifestation est organisée le 24 novembre 2018. C’est un succès retentissant, renouvelé samedi dernier.

« Nous Toutes » a réussi son pari : imposer le combat féministe dans l’agenda social par des mots d’ordres unitaires et inclusifs : « nous porterons la voix de toutes celles qui, parmi nous, cumulent les violences en raison de leur situation de handicap, de vulnérabilité, de leur âge, de leur origine sociale, de leur statut de migrantes, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou parce qu’elles sont racisées ». À Montpellier, l’appel est signé par une cinquantaine d’organisations de gauche, de la CGT au « Support your local girl gang » en passant par le PS, « Toutes en moto Occitania », Amnesty ou bien encore l’union communiste libertaire. Bref, le féminisme semble enfin être devenu consensuel.

Des perspectives qui restent à construire

Le succès des manifestations est le résultat d’un long travail de médiatisation, notamment mené par le collectif « Nous Toutes », qui a aujourd’hui une très grande visibilité sur les réseaux sociaux. Dans les cortèges, on retrouve beaucoup de jeunes, de personnes pas forcément habituées des luttes sociales, signe que l’on assiste à un renouvellement de la construction d’une conscience de classe féministe. À bien des égards, les cortèges ressemblent à ceux des marches pour le climat (la prochaine est d’ailleurs co-organisée par « Noutes Toutes 34 ») : ils sont massifs, et l’ambiance y est bon enfant, pacifique. Même la présence de gilets jaunes n’a pas fait monter la tension.

Les slogans semblent mettre tout le monde d’accord : la justice est coupable, la police complice et il est vital d’augmenter les budgets alloués aux associations et institutions qui prennent ces problèmes en charge. Cependant, on peut noter quelques dissonances. À Montpellier, un collectif contre la transphobie rappelle que les violences contre les femmes trans sont des violences machistes, en suggérant que le féminisme devrait aussi être une lutte contre l’assignation à un genre. Les messages de soutien aux putes côtoient les pancartes d’Osez le féminisme, un brin méprisant envers les travailleuses du sexe : « Si la prostitution est un métier, inscrivez-vous en BTS fellation ou gangbang ». Des militants anticapitalistes appellent à la grève du 5 décembre, considérant que le capitalisme et le patriarcat sont les deux faces d’une même pièce.

Si la plupart des revendications de l’appel font consensus – prévention, ouverture de places, protection des victimes, formation de professionnel·le·s –, la « systématisation des bracelets électroniques pour les compagnons violents condamnés », acceptée par le gouvernement sous la forme d’un « bracelet anti-rapprochement », n’est pas du goût de certains, qui ne font pas confiance à l’État pour lutter contre les violences sexistes, et qui craignent que cette mesure ne soit qu’un prétexte pour ériger une société toujours plus répressive.

Le mot d’ordre « stop aux violences sexistes et sexuelles » a permis de faire sortir dans la rue des dizaines de milliers de personnes, et il faut saluer cette mobilisation historique. Mais malheureusement, le nombre ne suffit pas toujours à influer sur le cours des choses, comme le prouve la multiplication des marches pour le climat, dont on peine malheureusement à voir les conséquences. N’attendons pas le 8 mars – journée internationale des luttes pour les droits des femmes – pour continuer la mobilisation : toutes en grève le 5 décembre !

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