Au nom de la lutte contre le Covid-19, l’État remet en cause les 35 heures et les congés payés
Le projet de loi est signé par Gérard Larcher, président du Sénat, celui-là même qui a tout fait pour que les municipales se maintiennent, malgré une catastrophe sanitaire prévisible, et d’ailleurs prévue par l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn, qui, après avoir fait campagne, a parlé de ces élections comme d’une « mascarade ». Ce projet de loi d’urgence, transmis par le premier ministre Édouard Philippe, qui pourra désormais légiférer par ordonnance, et adopté par le Sénat, a pour objectif de « faire face à l’épidémie de Covid-19 ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le gouvernement ne se masque pas et ne prend pas de gants pour détruire nos conquis sociaux.
Report des municipales
Après avoir scandaleusement maintenu le premier tour des élections municipales – alors que le gouvernement expliquait aux gens qu’il n’était pas possible de se rendre aux enterrements pour des raisons sanitaires –, l’État acte le report du second tour au 21 juin 2020. Ces élections, marquées au premier tour par une abstention-record, pourraient finalement être frappées de nullité selon l’avis de plusieurs professeurs de droit, qui considèrent qu’un tel report remet en cause le principe constitutionnel de la sincérité du scrutin, selon lequel les élections forment un tout, qu’elles se déroulent en un ou deux tours, et qu’elles doivent donc se tenir à des dates rapprochées. Mais l’État pourrait carrément envoyer balader le Conseil constitutionnel, puisque le Sénat a adopté un projet de loi organique suspendant une partie de ses prérogatives jusqu’au 30 juin. Habile.
Restriction des libertés
C’est la base du confinement : la restriction de circulation et de réunion ; soit une sorte d’assignation administrative générale à résidence. Après un sondage au doigt mouillé réalisé par le cumul de quelques témoignages de proches, Le Poing considère que la mesure est relativement acceptée par une majorité de la population. L’isolement est une mesure millénaire pour pallier aux épidémies, c’est indéniable. L’État n’est pas enclin à rendre à la population des libertés qu’il a supprimés, c’est également indéniable. De nombreuses mesures décrétées lors de l’état d’urgence en 2015 suite aux attentats ont ensuite été transférées dans la loi commune, comme la perquisition préfectorale. Le maintien ad vitam æternam du confinement est inenvisageable – ce serait d’ailleurs en totale contradiction avec les intérêts de la bourgeoisie dont la raison de vivre est d’exploiter les gens –, mais on peut en revanche tout à fait imaginer que des flics zélés comme le ministre Castaner ou le préfet Lallement fassent pression pour sauvegarder et renforcer le principe d’assignation administrative à résidence, pandémie ou pas.
Les nouvelles mesures d’exception concernent l’ensemble des institutions judiciaires (lire ce papier complet du Poing) : fermeture des tribunaux jusqu’à nouvel ordre, sauf le contentieux de l’urgence ; généralisation des visio-audiences, catastrophiques pour les droits de la défense ; rallongement des délais de détention provisoire ; augmentation des délais pour les étrangers en attente de renouvellement ou de délivrance d’un titre de séjour mais maintien des services de l’asile ; suspension de l’activité prud’homale alors même que les contentieux liés au droit de retrait se multiplient ou bien encore suppression de l’oralité au profit d’une procédure écrite pour les procédures d’urgence (dont les contestations par les détenus des mesures disciplinaires pénitentiaires), au détriment des plus pauvres, pas toujours à l’aise avec l’écrit, surtout quand il s’agit de jargon juridique. Des choix d’abord politiques qui viennent renforcer une vieille doctrine sécuritaire, avant d’être des mesures sanitaires.
Soutien aux entreprises, remise en cause des 35h et des congés payés
Le président Macron l’a martelé : que tout le monde reste chez soi pour éviter de propager la mort, sauf… les millions de salariés qui ne peuvent pas télétravailler. Bien sûr, l’État incite les entreprises et les administrations à mettre en place des gestes-barrières (gel hydroalcoolique, distance d’un mètre entre les gens, etc.), mais aucune mesure de contrôle n’est prévue, et encore moins de sanction. Les entreprises, qui n’ont pas vocation à faire de l’humanitaire, ne feront donc rien pour protéger les salariés, ou si peu.
Le projet de loi d’urgence sanitaire prévoit de renforcer les capacités de la banque d’investissement, en somme d’injecter des centaines de milliards d’euros dans l’économie – alors que Macron répétait il y a peu à une soignante gréviste qu’il n’existait pas « d’argent magique » –, mais quoiqu’il en soit, c’est une mesure qui n’est pas complètement ahurissante pour éviter un crash brutal de l’économie. Il est aussi prévu de « limiter les ruptures des contrats de travail », mais sans interdiction des licenciements, ce qui équivaut donc à une mesure purement incantatoire. Le recours au chômage partiel sera étendu « à de nouvelle catégories de bénéficiaires », une manière de justifier que les travailleurs et les travailleuses confiné·e·s ne reçoivent pas l’intégralité de leur salaire.
Et là, c’est le drame. Le projet prévoit de modifier les « conditions d’acquisition de congés payés et permettre à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables […] en dérogeant aux délais de prévenance. » En somme, des patrons vont imposer aux salariés de prendre leur « vacances » en période de confinement. Marianne parle aussi d’une possible réduction de nombre de congés payés acquis par mois.
Concernant le temps de travail, la loi permettra « aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ». Sans préciser qu’elles sont précisément les entreprises concernées, en sachant qu’elles peuvent quasiment toutes se prévaloir de participer à la « continuité de la vie économique et sociale », concept ô combien flou.
Dans le plus grand des calmes, l’État remet donc en cause deux droits cruciaux pour l’ensemble des prolétaires de ce pays : à savoir les 35 heures et les congés payés. Au passage, on comprend mieux pourquoi Macron a annoncé le report de la réforme des retraites et de l’assurance-chômage. C’est parce qu’il préparait bien pire.
Aujourd’hui on se confine, demain, on se venge.
Pour lire le projet de loi dans son intégralité (spécial dédicace aux confiné·e·s qui n’auraient que ça à faire), c’est par ici.
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