Avec le Mo-caca de Delafosse, Montpellier is back, and backward, and down

Le Poing Publié le 8 avril 2021 à 13:59 (mis à jour le 9 avril 2021 à 08:49)
Le MO-CO, aujourd'hui une coquille vide

Petits règlements de comptes post-électoraux. Mise en selle d’un pote au meilleur poste. Réveil des arguments populistes. Sur l’art contemporain, le maire ramène Montpellier en arrière (“backward”) et rabaisse le niveau (“down”)

D’un côté les luttes anti-autoritaires, anticapitalistes : en plein le domaine du Poing. De l’autre côté les questions de l’art contemporain. En vrai, les passerelles sont rares, et très étroites, qui vont des unes aux autres. Pourquoi s’y essayer quand même ? Parce que la récente polémique autour de la nomination du nouveau directeur du MO-CO (ou “Montpellier contemporain”) est quand même très politique. Il s’agit d’un établissement public, intégralement financé sur fonds publics (6 M€ de fonctionnement annuel). Nul citoyen n’est censé en être tenu à l’écart ; au moins sur le papier.
Et c’est même l’inverse ; au moins dans les principes.

A ce stade, il y a deux choses à poser. Première chose : il existe en France une politique culturelle publique, souvent très admirée à l’étranger. Son enjeu essentiel est de favoriser l’accès du plus grand nombre aux œuvres des artistes. Mais notons une particularité dans le domaine des arts plastiques (la peinture, la photo, la sculpture) : c’est l’existence d’un marché privé très solide, très spéculatif, avec des sommes considérables en jeu, à côté du domaine public. Or ce dernier n’a pas à se laisser contaminer par ces logiques de gros sous.

Deuxième chose à poser : l’art n’est pas fait que pour faire joli, pour faire plaisir. L’art peut (voire doit) aussi véhiculer du trouble, du questionnement, des audaces, de l’expérimentation, des prises de risque. Il ne faut pas oublier que des artistes aussi consacrés que Monet, Van Gogh ou Picasso furent d’abord méprisés, rejetés, du fait de leurs audaces incomprises. C’est aussi pourquoi le service public de la culture est censé soutenir des démarches artistiques qui ne rencontrent pas de larges publics, et donc pas de marché pour se financer.

Accessoirement, ce petit rappel historique : les pires régimes politiques, les totalitarismes – par exemple le nazisme ou le stalinisme – jettent à la vindicte les artistes “dégénérés” – ceux dont les œuvres sont troublantes, inquiétantes. On brûle leurs œuvres. On les persécute. De façon plus civilisée, on leur supprime les moyens de vivre, on les éjecte des réseaux de travail et de diffusion. Le populisme en fait des épouvantails faciles à agiter.

L’opéra. Le théâtre. La danse. La musique. Depuis quelques décennies, les politiques publiques ont hissé Montpellier de plain-pied dans l’actualité de ces domaines. Mais il restait un parent pauvre. C’était celui de l’art contemporain. Les hommes politiques adorent associer le prestige artistique à leur pouvoir. Ce n’est pas nouveau, depuis les rois de France. Ainsi Philippe Saurel, le précédent maire de Montpellier, eut pour projet de doter enfin la ville d’un grand établissement, rayonnant très fort et très loin, consacré à l’art contemporain.

D’où la réalisation du Mo-Co (rappelons : “Montpellier contemporain”). A sa tête : Nicolas Bourriaud. Auteur d’ouvrages théoriques traduits dans toutes les langues, il a occupé précédemment des postes clés : directeur du Palais de Tokyo à son ouverture (soit l’équivalent du Mo-Co, mais à l’échelle de Paris, donc du monde, enfin euh…), commissaire (c’est-à-dire directeur artistique) pour de très grands rendez-vous internationaux de l’art (la Biennale d’Istanbul par exemple), ou directeur de l’Ecole nationale des Beaux-Arts à Paris (où il fut décrié pour son penchant plus proche des entreprises privées que de la vie quotidienne des étudiants).

Pour Montpellier, Nicolas Bourriaud invente un modèle tout à fait neuf. Dans une même structure, le Mo-Co, on retrouve l’école des Baux-arts, la Panacée (où l’on peut accueillir des artistes en résidence de travail et produire des œuvres nouvelles) et le nouvel Hôtel des collections. Celui-ci est installé rue de la République, tout près de la gare, dans l’ancien mess des officiers. L’Hôtel des collections est exclusivement un lieu d’exposition. Sa grande originalité résonne dans son nom : on va y montrer des collections d’art privées, qui normalement ne sont pas du tout accessibles au public.

La vraie critique du projet de Nicolas Bourriaud n’a jamais été conduite. C’était la critique anticapitaliste. Car le Mo-Co mettait tout l’argent public au service de la consécration des collectionneurs privés. Dans l’économie financiarisée, la collection d’art privée est devenue un fantastique bastion d’influence, dont les nababs sont les Bernard Arnauld, les François Pinault, tandis que le marché de l’art atteint des niveaux spéculatifs ahurissants. Le marché de la collection d’art privé a mis la main sur l’art contemporain. Jusqu’alors, c’étaient plutôt les critiques, les chercheurs universitaires, les conseillers du service public de la culture, qui donnaient le la. Ça pouvait faire une caste assez fermée, pas franchement populaire ni ouverte, mais tout de même pas vouée au culte du veau d’or.

Nicolas Bourriaud avalise cette nouvelle donne. Son carnet d’adresse est fantastique. Il attire à Montpellier, et notamment à l’école des Beaux-Arts, le top de la tendance. A l’époque d’internet et du TGV, loin de l’immobilier parisien prohibitif, près du Carré d’Art nîmois, de la Fondation privée Luma à Arles, du Sète des peintres, il entend faire de Montpellier un écosystème, en fait une start-up de l’éclosion de jeunes artistes formatés pour s’insérer, directement bankables, sur le marché. Il invente la Saison Six de l’école, sorte de sixième année de cursus, réservée à six élèves modèles, invités à participer aux plus grands rendez-vous de l’art, ou Bourriaud a toutes ses entrées.

La cote de l’école montpelliéraine monte d’un coup. C’est devenu “the place to be”. On se bouscule au concours d’entrée. Les étudiants de l’école des Beaux-Arts auront été les plus ardents défenseurs de Nicolas Bourriaud quand Michaël Delafosse a décidé de le mettre à la porte. On aime bien les étudiants en lutte. On aurait été plus convaincus si on les avait vus se battre aussi pour d’autres idéaux que la défense de leur filière de prestige sélective.

Car on se retrouve bien embarrassé. Avec le départ de Bourriaud, criticable à bien des égards, nul doute que le niveau de Montpellier retombe de plusieurs marches d’un coup. Les expositions de l’Hôtel des collections n’étaient pas toujours très accessibles. Mais cela se discute : celle de la collection latino-américaine (du nom de Petitgas) l’était parfaitement, très connectée sur les artistes d’un monde en transition et en lutte. Celle des artistes russes post-soviétiques était souvent pop. Mais c’est incontestable : toutes étaient d’un niveau d’excellence, irréprochable. Et c’est minable de n’y voir opposé aujourd’hui, par Michaël Delafosse, que l’argument du “populaire”. Du populisme.

On reproche aussi à Nicolas Bourriaud un déficit de 170 000 euros. Certes fâcheux. Mais admettons que le contexte des Gilets jaunes (un peu) et des confinements (énormément) ne fut pas le plus aisé en matière de visibilité gestionnaire. Argument de petite polémique. De même, le parisianisme clanique du personnage, recrutant toute une coterie de conseillers proches, sans une place pour une compétence montpelliéraine. Pour imposer un concours de jeunes artistes primés par un jury de collectionneurs privés (encore), Nicolas Bourriaud aura rayé du paysage un salon du dessin, que les galeries montpelliéraines produisaient depuis presque dix ans, au niveau de leurs moyens, et de ceux d’un public local non milliardaire.

Mais il n’y a pas plus étriqué que l’hostilité de Michaël Delafosse à l’encontre de Nicolas Bourriaud. Celui-ci était l’affidé de Philippe Saurel, le précédent maire et adversaire de l’actuel. Il le soutenait électoralement. Il faut donc le flinguer. Basse politique. Qui mettre à la place : Numa Hambursin, un galeriste de la région, un copain de toujours, montpelliérain de Montpellier, qui arrive à la cheville de son prédécesseur en termes de compétence et de notoriété. Ce n’est pas qu’on adore les hiérarchies, les prestiges, les castes. Mais de quelque manière qu’on le prenne, la dégringolade est vertigineuse.

L’option Bourriaud pouvait être critiquée. Du reste, en mettant tout l’argent pour seulement accueillir des collectionneurs privés, il s’en va en laissant une coquille vide. C’est le champ de décombres d’une ambition ruinée, avant qu’elle ait pu prospérer. Au moins reconnaissons à Michaël Delafosse que ça n’est pas sur ce coup qu’il s’attribuera un quelconque prestige de haut vol artistique.

RECTIFICATIF :

Une lectrice, mais aussi collègue, avisée, nous a signalé que le budget annuel du Mo-Co était de 7,5 M€ sous la direction de Nicolas Bourriaud, et non 6 M€ comme nous l’avons mentionné dans notre récent article consacrer au changement de direction – très controversé – à la tête de cet établissement culturel. Nous tenions notre chiffre d’une déclaration de Philippe Saurel, alors maire de Montpellier, faite en conférence de presse. Il n’y a sans doute pas à soupçonner un quelconque tripatouillage, mais plutôt la question de la prise en compte, ou pas, de l’apport de l’État au côté de la Métropole de Montpellier. Cela se compliquant du fait que le Mo-Co chapeaute trois institutions distinctes (l’école des Beaux-Arts, la Panacée et l’Hôtel des collections). L’État contribue beaucoup à l’école des Beaux-Arts, via notamment les salaires du corps enseignant.

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