Baston sociale, dégénération identitaire : l’extrême-droite de rue se cherche

Le Poing Publié le 9 avril 2018 à 23:08 (mis à jour le 27 février 2019 à 12:59)
Le groupe Montpelliérain de génération identitaire en 2018.

Les récentes attaques contre des étudiants mobilisés à Montpellier, Lille, Strasbourg et Paris* ont douloureusement rappelé à ceux qui l’avaient oublié l’existence de groupes fascistes de rue, évoluant en marge du Front National, et ne s’embarrassant pas d’un quelconque cadre légal. Le Poing vous livre un petit tour d’horizon des principaux groupes militants à la droite de l’extrême-droite.

La « vieille maison » des royalistes de l’Action française

Fondée en 1899, l’Action française (AF) est actuellement le plus vieux mouvement nationaliste toujours actif dans le pays. Elle a réussi à se relancer en recrutant dans le sillage des homophobes de la Manif pour tous et en modernisant sa communication, renouant au passage avec un activisme violent. Elle compte aujourd’hui environ deux cents membres actifs, et s’est implantée en ouvrant des locaux dans différentes villes, notamment à Marseille. Ses militants font tout pour faire oublier les origines collaborationnistes et antisémites du mouvement. L’AF s’est toujours considérée comme un centre de formation pour militants et organise donc de nombreuses conférences et réunions, tout en essayant de s’imposer comme la principale structure nationaliste en France. Cela l’a amenée à copiner avec les fascistes italiens de Casapound, considérés comme un modèle d’activisme par la jeune génération de l’extrême droite française. Néanmoins, le vent tourne vite : le lancement du Bastion social a déjà drainé une partie de ses militants les plus actifs, et la disparition de son journal emblématique est un mauvais présage. La concurrence est rude pour attirer vers sa chapelle les quelques dizaines de nouveaux militants arrivant chaque année à l’extrême droite.

Un bastion bien peu social

Le Bastion social constitue une opération marketing lancée l’an passé par le Groupe Union Défense (GUD), groupuscule étudiant ouvertement fasciste fondé en 1968, et principalement connu pour ses apparitions dans la rubrique faits divers. L’étiquette GUD étant associée à un encombrant passé, son leader lyonnais actuel, Steven Bissuel, a impulsé l’ouverture d’une série de locaux fascistes n’ayant de « social » que le nom. Il s’agit d’une part de copier le modèle de Casapound, structuré autour de squats fascistes prétendant aider les plus démunis (sous réserves qu’ils soient français et blancs), et d’autre part de trouver un débouché à l’activisme d’un GUD assez jeune et peu présent dans les universités, aujourd’hui bien incapable d’affronter leurs ennemis « gauchistes ». Le 28 mars dernier, une douzaine de militants du Bastion social ont cependant agressé cinq étudiants et un lycéen. L’ouverture de locaux à Lyon, puis à Aix-en-Provence, Marseille, Strasbourg et Chambéry a d’ailleurs entrainé son lot d’agressions et de mobilisations antifascistes en réponse. Il faudra suivre dans les prochains mois l’évolution de cette mouvance d’une petite centaine de personnes qui semblent avoir quelques difficultés à maintenir sa couverture « sociale ».

Dégénération identitaire

Génération Identitaire, énième avatar du Bloc identitaire, a été créé en 2002 par l’équipe dirigeante du mouvement néonazi Unité Radicale. Professionnel de la communication, c’est le mouvement bénéficiant du plus large écho médiatique, notamment sur les réseaux sociaux. Génération Identitaire ne propose aucun modèle de société précis et se contente de dénoncer en boucle « l’invasion migratoire », « l’islamisation » et la délinquance. Malgré une esthétique guerrière, les identitaires recherchent surtout les « coups de com’ ». Leurs techniques militantes empruntées aux altermondialistes consistent à marteler un message raciste et islamophobe en instrumentalisant l’actualité pour imposer leurs thématiques et leurs slogans dans le débat public. Ce groupe de moins de trois cents militants organise parfois des opérations coup de poing, mais se contente généralement d’occuper le terrain médiatique plutôt que la rue. Son recrutement a récemment souffert de la concurrence d’autres groupes plus violents ayant retravaillé leur communication, et il n’est pas certain que ses thématiques très limitées le portent encore longtemps.

Aussitôt créés, aussitôt oubliés ?

Une erreur récurrente consiste à s’alarmer de l’apparition de nouveaux groupes et de nouveaux locaux, en oubliant de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur. S’il serait dangereux de sous-estimer la violence de l’extrême droite dans une période favorable à la fascisation de la société, deux réflexions nous viennent. Déjà, rappelons qu’il s’agit largement de communication : la nouveauté est toujours mise en avant en politique, alors que bien peu de bruit est fait autour des locaux qui ferment et des organisations qui se dissolvent ou deviennent inactives. Ainsi, des groupes comme le Bastion Social ont largement profité du « capital nouveauté », recrutant des membres au détriment d’autres formations. Régulièrement, une nouvelle structure est lancée et connait un développement rapide avant de s’essouffler (citons en vrac les Nationalistes autonomes, le Renouveau français, la Dissidence française, le Parti nationaliste français, etc). Au-delà d’un noyau dur, la plupart des militants passent sans trop de soucis d’un groupe à l’autre en fonction de la dernière mode. Le spectacle est décidément partout : l’activisme et la communication sont bien plus importants que l’étiquette idéologique précise.

D’autre part, aucun de ces groupes n’est capable de mobiliser largement dans la rue – ne serait-ce qu’au niveau des petites structures de l’extrême gauche, capable de réunir rapidement quelques centaines voire quelques milliers de personnes. La communication très suivie de l’extrême droite sur internet est un véritable cache-misère en termes de capacité militante. Les défilés du 9 mai, qui rassemblaient historiquement la plupart des groupuscules nationalistes, ont aujourd’hui disparu, et l’extrême droite en est réduite à squatter les manifestations organisées par des coalitions larges (contre les grèves, contre le mariage pour tous, contre des ZAD…).

Même les défilés du premier mai du Front National se dégarnissent, et le parti doit faire appel à des boîtes privées pour gérer ses collages d’affiche et sa sécurité. Preuve que si les idées fascistes infusent profondément dans la société, leur traduction dans la rue est encore limitée. Le combat est donc à mener aussi bien dans les têtes que dans l’espace public, puisque la violence des groupes cités ici est permise par une société qui tend à détourner le regard voire à cautionner de tels agissements para-policiers.

Notes et sources :

*Pour en savoir plus sur les mobilisations étudiantes, lire cet article.

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