“Camoufler des violences policières” : un militant écologiste Sétois jugé à Montpellier

Elian Barascud Publié le 12 septembre 2024 à 16:53
Des membres du collectif sétois Bancs Publics étaient venus soutenir l'un des leurs le 12 septembre au tribunal d'instance de Montpellier. ('Le Poing")

Un membre du collectif de Sète Bancs publics, qui milite contre le projet d’un parking place Aristide-Briand, avait été interpellé lors d’un rassemblement à proximité du chantier en octobre 2023. Il était jugé ce jeudi 12 septembre pour “violences sur dépositaire de l’autorité publique”. Lui et son avocat dénoncent une “manipulation de la procédure pour camoufler des violences policières”

A la barre du tribunal d’Instance de Montpellier ce jeudi 12 septembre, Silvain P., un fonctionnaire d’une soixantaine d’années en costard bleu marine, et derrière lui, une trentaine de militants du collectif bancs Publics, qui s’opposent à la construction d’un parking en centre-ville de Sète. Il lui est reproché outrage, rébellion et violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique (en l’occurrence, deux agents de la Brigade anti-criminalité de Sète), leur ayant occasionné une Interruption totale de travail (ITT) d’un jour chacun.

Le 28 octobre 2023, alors que le collectif, en lutte depuis deux ans à l’époque, organise son rassemblement hebdomadaire sur le lieu des travaux du futur parking, ils décident de pénétrer sur le chantier, dont la porte était ouverte pour “prendre une photo symbolique”. Deux hommes arrivent, et selon le militant écolo et quatre témoins qui se succèderont à la barre, rien de permettait de les identifier comme étant des policiers. La tension monte. Ils s’avère que ces deux hommes font parti de la Brigade Anti-criminalité (BAC) de Sète.

Dans les procès-verbaux de ces deux agents, ces derniers font mention d’une dame d’une soixantaine d’année (absente du procès, comme les deux agents constitués en partie civile) qui aurait voulu enfermer des policiers municipaux dans le chantier en en verrouillant la porte avec un cadenas, ce qui les auraient poussé à intervenir. Ils accusent Silvain P. de leur avoir dit “je vous emmerde, sale fascistes”, d’avoir porté un coup à la tête de l’un et tiré la barbe de l’autre, et de s’être vivement débattu pendant son interpellation. Le prévenu, quant à lui, affirme avoir été victime de violences policières. Une première audience avait eu lieu en décembre dernier, mais avait été renvoyée pour défaut de procédure. L’IGPN a été saisie pour violences et usages de faux en écriture publique.

“Prise illégale d’intérêt”

Pour Me Stéphane Fernandez, l’avocat de Silvain P., la procédure ne tient pas, et il essaye par trois fois de l’attaquer pour demander sa nullité ou un renvoi. “Une Question de Priorité Constitutionnelle se pose”, déclare-t-il au président du tribunal. [Une procédure qui permet de juger la constitutionnalité d’une loi à posteriori et de renvoyer une affaire avant qu’elle ne soit jugée, NDLR]. “Il y a là une atteinte au droit de la défense et à une enquête de police impartiale et indépendante, car l’officier de police judiciaire qui a interrogé mon client travaille dans le même commissariat que les deux policiers qui l’accusent de violences. On peut y voir une prise illégale d’intérêt. Le procureur aurait pu délocaliser l’affaire.”

Une demande rejetée par la procureure sous prétexte qu’il “n’y a pas de moyens de démontrer que les enquêteurs avaient un lien autre que professionnel avec les deux agents”, après une courte suspension d’audience. La salle exprimera à ce moment-là un soupir. Mais Me Fernandez revient à la charge avec une nouvelle demande de nullité : “Il y a dans cette affaire trois vidéos, dont une d’un voisin, qui dure neuf minutes, qui vient démontrer des choses contradictoires avec les procès-verbaux des agents.” Il dénonce également le fait que les images de vidéo-surveillance auraient été “tronquées”, et demande un renvoi pour que ces images puissent être étudiées pour obtenir des compléments d’informations. Une demande encore une fois rejetée.

Dernier atout de l’avocat du prévenu avant de passer au fonds du dossier : une nullité de procédure au motif qu’“une garde à vue ne peut pas faire plus de 24 heures sans renouvellement sur ordre du procureur. Hors, mon client est entré en garde à vue à 12 h 20 heure d’été, et nous étions en journée de solstice, il est ressorti le lendemain à 11 h 50 à l’heure d’hiver, il a donc fait plus de 24 heures sans notification de renouvellement.” Un détail de calendrier que le tribunal décide de joindre au fonds de l’affaire.

Des policiers “pas identifiables”

De son côté, le prévenu argue que les policiers n’étaient pas identifiables, ni par des brassards ni par le port (normalement obligatoire) de leur RIO, un numéro qui permet de les identifier. Il dément également avoir porté des coups et insulté les hommes. “L’un d’eux, tatoué de partout même sur la tête, est arrivé sur moi, il a collé son visage près du mien et a soufflé la fumée de sa cigarette sur moi. Il m’a dit de me casser sinon il m’arriverait des choses. Il avait un regard et une attitude très agressive, je n’ai pas compris que c’était un policier je pensais que c’était un gros bras envoyé par des gens favorables au projet de parking, alors je l’ai repoussé d’un geste de la main, je n’ai fait que me défendre. Je n’avais même pas connaissance de ce qu’était la BAC jusqu’à ce jour, et pour moi, un policier, c’est censé être respectueux, ça ne tutoie pas les gens. Au commissariat, la personne qui m’a interrogée m’a même dit qu’elle était là pour protéger ses collègues.” “Les agresseurs, c’est eux”, lâche-t-il, après avoir précisé qu’il n’était pas actif au sein du collectif et qu’il était là pour l’occasion avec des proches. “Cela fait dix ans que j’ai abandonné les activités militantes écologistes”, rajoute le fonctionnaire en costard bleu.

Il affirme s’être fait frapper pendant son interpellation et dans la voiture sur le chemin du commissariat, et annonce avoir porté plainte contre les agents pour faux témoignages, réaffirmant le fait qu’il n’a ni frappé ni insulté les agents. Une version que corroborent les quatre témoins, tous membres du collectifs bancs publics, qui se succèdent ensuite à la barre. Le premier, attestant que le collectif est “toujours resté dans l’action pacifique et la légalité”, fait par de son incompréhension : “Les deux hommes sont arrivés sans dialogue, même les policiers municipaux avec qui on était en train de discuter étaient surpris” A noter qu’aucun policier municipal présent ce jour-là n’a été auditionné dans l’affaire. Un autre explique qu’il pensait que ces deux individus “étaient des proches de la mairie, qui a lancé ce projet, qui venaient pour nous insulter, comme ça avait déjà été le cas par le passé.” Pour rappel, le maire de Sète, François Commeinhes avait, en Conseil municipal, évoquer l’idée “d’exterminer” les opposants à ce projet de parking.

“Voyous”, “gros bras”, “cow-boys”, “démarche agressive”, “têtes patibulaires”, les mots se succèdent pour qualifier les baceux, et tous affirment qu’ils n’ont pas décliné leur fonction au moment où la tension commençait à monter, selon eux à cause de l’homme “au glaive tatoué sur la tête”. “On a compris qu’ils étaient policiers uniquement au moment où ils ont sorti les menottes pour embarquer Silvain”, lâche un témoin.

“Ils jouent les rebelles”

Intervention pour le moins sèche de Me Bruno Leygues, l’avocat des deux policiers de la BAC : “Ce que je vois, c’est un groupe d’amis, j’ai cru que c’était des amateurs de théâtre, ils viennent aujourd’hui rigoler sur le dos de policiers qui se font insulter pendant deux heures par des agrégés, des profs retraités de soixante ans [en référence au profil sociologique des témoins qui viennent de passer à la barre, NDLR], ils viennent s’amuser avec les faits et les preuves. Mais la BAC a autre chose à faire que de venir arrêter des fonctionnaires qui jouent les rebelles !”

Puis, il cite un procès-verbal provenant de l’audition d’un représentant de la ville de Sète, faisant état d’un collectif “qui s’oppose avec des méthodes parfois violentes au projet en s’introduisant sur le chantier. Il y a des éléments objectifs dans ce dossier, comme des certificats médicaux !” Il enchaîne : “On traite mes clients de voyous à la mine patibulaire, parce que l’un avait des tatouages, mais regardez, le président du collectif a une boucle d’oreille, et certains ici ont des tatouages !” Rire nerveux dans la salle d’audience. Il demande une réparation à hauteur de 1 000 pour chaque policier à hauteur du préjudice moral subi.

Selon la procureure, se référant au procès verbal d’interpellation “on ressent une grosse animosité envers les forces de l’ordre. On nous parle de fascistes, et maintenant de voyous, de cow-boys ! On ne peut pas dire que les policiers ont été violents, et le prévenu n’a donc pas agi en légitime défense. Ne mettez pas en doute les éléments apportés par les policiers dans ces procès-verbaux, c’est le fondement de notre état de droit !” Elle recquiert, en vertu du fait que le prévenu ait déjà été condamné pour diffamation, une “peine d’avertissement de six mois de prison intégralement assortis d’un sursis simple et 2 000 euros d’amende.”

“Banalité du mal”

Enfin, la plaidoirie de Me Fernandez viendra repolitiser une affaire jusque là vu comme un simple fait-divers impliquant des violences : “Dans toute l’Europe, on observe une criminalisation des militants écologistes.” “La planète crame, mais on trouve comme parade de condamner les gens qui s’opposent à cela. Un rapport de la cour des Comptes au sujet de ce projet de parking évoque une hérésie financière et environnementale ! Ce projet va ne faire qu’emmener plus de voitures en centre-ville !”

A l’attention du tribunal, il scande : “On a les descendants de Charles Maurras aux portes du pouvoir et vous allez condamner des brulés de la démocratie. Vous n’avez pas à être complices de la banalité du mal des forces de l’ordre. La police tue en France, notamment des gamins ! Je pense que ces comportements de cow-boys, de nervis, dont ont fait preuve ces policiers s’inscrit dans un contexte particulier : ce mouvement contre le parking a pris une dimension politique d’opposition avec la mairie de Sète, qui s’est fendue de propos extrêmement virulents à leur égard. Des témoignages rentrent en contradiction avec les procès-verbaux des agents, les vidéos de surveillance ont été tronquées, l’enquête a été partiale et partielle. Cette procédure a été manipulée pour camoufler des violences policières ! “ Selon lui, les certificats médicaux des agents ont été griffonnés à la main pour faire passer le nombre de jour d’ITT de zéro à un. Il demande la relaxe de son client.

Le délibéré sera rendu le 20 novembre.

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