C’est au Tribunal de police que les Gilets jaunes de Prés d’Arènes ont entamé leur troisième anniversaire
Question de principe sur l’exercice des libertés fondamentales. Première manche en audience ce mercredi : des GJ montpelliérains iront jusqu’au bout à propos d’une simple incrimination de distribution de tracts.
Comme d’hab, la présidente du Tribunal de police de Montpellier avertissait, ce mercredi en début d’audience, qu’elle refuserait d’entendre parler de politique et ne considérerait que sous l’angle règlementaire procédurier, l’affaire qui pourtant avait mobilisé une grosse vingtaine de Gilets jaunes ce matin là devant le Palais de Justice ou dans la salle. Tout de suite, l’avocate de ces derniers, Sophie Mazas, faisait remarquer que, pas d’hab du tout, il est terriblement nouveau qu’elle en soit à plaider, pour la première fois de sa carrière, devant des tribunaux de police, pour des affaires touchant à l’exercice des droits fondamentaux. Toute une évolution, que les juges dans le rang voudraient feindre de ne pas voir.
Il est jusqu’au choix des dates, pour ricaner : l’institution judiciaire avait donc choisi pile un 17 novembre, quand tous les médias ne parlent que du troisième anniversaire du mouvement des Gilets jaunes, pour inscrire une affaire incriminant quatre de celleux du Rond-Point des Prés d’Arènes (deux sur les quatre, plus précisément ce matin-là). Ils et elle refusent de s’acquitter d’une amende de 135 euros, à la suite de faits remontant au 11 mai 2020.
On est ce jour là au soir de la levée du premier confinement. Une qualité remarquable des Gilets jaunes de Prés d’Arènes est leur obstination à tenir le lieu – fût-ce par le choix, contesté par d’autres secteurs du mouvement, de déclarer aux autorités tous leurs rassemblements hebdomadaires. Ils marquent donc ce 11 mai en se retrouvant sur les lieux en fin d’après-midi. C’est dans ces circonstances qu’un contrôle de police est effectué, au cri très clairement politique de “On ne veut plus vous voir sur ce rond-point !” Du reste, quelques mois plus tard, ce sont exactement les mêmes policiers qui viendront exiger la dispersion de l’un des rassemblements les plus habituels, pourtant dûment déclaré.
Y a-t-il eu distribution de tracts ce 11 mai ? Si oui, par qui exactement ? En tout cas, devant la juge, Jean-Michel et Hervé jurent qu’ils n’ont rien distribué du tout. Et les autres certifient que de distribution il n’y eut aucune, qu’aucun procès-verbal n’en a été dressé, ni même d’images de vidéo-surveillance produites à l’appui. Or là est l’objet des contraventions reçues par la suite, sur la base d’un article du Code de la route, qui interdit de telles distributions à des automobilistes au volant, au nom du risque de perte d’attention que cela pourrait provoquer. Certes. Mais il faut une action militante pour que cet article totalement méconnu soit soudain tiré de l’oubli, et ne serve donc qu’à réprimer, sanctionner, restreindre la liberté d’expression et l’action militante.
On est alors dans la question de fond. C’est celle qu’a agitée l’avocate en défense. Question proportionnalité : d’autres articles stipulent qu’un dépôt d’encombrant provoquera d’abord une mise en demeure de retrait, avant éventuellement sanction. Dans le cas du tract, tellement moins lourd, on entrerait en contravention sans autre forme de procès. Par ailleurs, Sophie Mazas a remarqué qu’il est clairement fait mention que les faits supposés (et contestés par les premiers concernés) se sont (seraient) déroulés « dans le cadre d’une manifestation de gilets jaunes ».
Très bien. Or toute une jurisprudence, et de dispositions légales, attestent que la distribution de tracts – soit l’exercice basique du droit à la liberté d’expression – est consubstantiel à la liberté de manifester (qui n’est d’ailleurs que l’une des formes de la liberté d’expression, et ne saurait être soumise à autorisation, mais seulement déclaration). Serait-on en train de pinailler ? Non. Ce grain de sable fait partie du vaste contexte de déchaînement généralisé d’une répression d’un niveau jamais vu contre un mouvement social en France.
Sophie Mazas a rappelé comment il revient au législateur de fixer par la loi ce qui est autorisé ou ne l’est pas, puis comment le pouvoir exécutif le traduit sous forme réglementaire, le plus souvent en essayant de réduire le plus possible la sphère des droits. D’où le rôle théorique du pouvoir judiciaire, qu’elle a rappelé à la présidente de ce tribunal, de se faire « garant du respect des libertés individuelles ».
Merci à la Justice montpelliéraine d’avoir choisi la date d’un 17 novembre, chargée d’histoire, pour clairement rappeler ce cadre, fût-ce à son insu. Le délibéré sera rendu le 19 janvier 2022. Les “contrevenants” ont déjà fait savoir leur intention de faire appel contre une décision qui leur serait défavorable. D’ici là, ils auront l’humeur plus festive, dès ce samedi 20 novembre, en se retrouvant sur leur rond-point pour un autre rendez-vous d’anniversaire. Cela dès le repas de midi, puis jusqu’en soirée en musique, avec des débats et prise de parole entre-temps ; dont la conférence attendue de Juan Branco à 14 heures.
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