“C’est historique !” : les “pions” de l’Hérault font une entrée fracassante sur la scène sociale

Le Poing Publié le 2 décembre 2020 à 13:09 (mis à jour le 3 décembre 2020 à 11:29)
Rassemblement des AED devant le rectorat de Montpellier lors de la grève historique du 1er décembre.

C’est une première : depuis la création de leur statut en 2003, les assistants d’éducation (AED), plus connus sous le nom de « pions », se sont mis en grève dans toute la France ce mardi 1er décembre. Le Poing vous propose une prise de température, depuis Montpellier, de ce mouvement inédit, vivifiant et prometteur.

Grève, chants et délégation au rectorat

Plusieurs dizaines d’AED se sont retrouvés ce 1er décembre devant le rectorat de Montpellier. Avec un sentiment de liesse palpable, entretenu à grand renfort de chants, et appuyé sur un incontestable succès. Des centaines d’établissements sont touchés par la grève en France, dont au moins une quarantaine sur le département de l’Hérault, avec des rassemblements à Montpellier et Béziers.

Organisé au sein d’un collectif autogéré récemment créé, Vie S’Colère 34, les grévistes ont porté leurs revendications (voir ci-dessous), hiérarchisées, auprès du rectorat de Montpellier. Lequel, tout en assurant de faire remonter les doléances, argue de son impuissance, tout en justifiant la précarité de la profession par la disparité des besoins selon les zones. Réponse bien acclamée d’un gréviste : « Que ce soit dans les établissements ruraux, urbains ou REP [Réseau d’Éducation Prioritaire], tout le monde est en grève, c’est bien que c’est la merde partout ! » Autre parade du rectorat : AED serait avant tout un job étudiant (comme si cela rendait la précarité plus tolérable), ce qui est faux. Le profil des AED s’est diversifié et les plus de trente ans n’y sont plus une espère rare depuis bien longtemps.

Le mouvement a aussi l’ambition d’intégrer les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) et les assistants pédagogiques (AP).

Multi-tout, toujours pauvre

Payés au SMIC, les chefs d’établissements font signer aux AED des contrats d’un an renouvelable, sans pouvoir exercer plus de six années d’affilée. Leur temps de travail est annualisé : ils travaillent 40 à 42 heures par semaine payés 35 heures, mais sont rémunérés pendant les vacances pour compenser (ils font office de banque en somme). « On nous demande d’être psy, médiateur, éducateur, standardiste, parfois gendarme, et toujours précaire ». C’est formule d’un gréviste résume bien le métier, pour lequel aucune formation n’est prévue. Les difficultés rencontrées changent d’un établissement à l’autre. « On me donne mon emploi du temps au dernier moment » témoigne l’un d’eux. « On ne me paye pas mes temps de repas alors que je surveille les élèves pendant que je mange » constate un autre. Un mépris entériné par l’absence de service dédié aux AED dans les rectorats.

S’ajoutent aux malaises les injonctions liées à la pandémie, qui ont tendance – manque de personnels oblige – à encore plus placer les AED dans une perspective disciplinaire, au détriment de leurs missions pédagogiques. « Les gosses se retrouvent parqués par classe entre quatre barrières » s’indigne un gréviste. Le climat post-attentat n’arrange pas les choses : des AED se sont vus demander de repérer les « mauvais » comportements.

Pressions de la direction

« On subit des pressions depuis le début de la mobilisation ! » s’insurge un gréviste. Ce n’est pas pour rien si cette profession était jusqu’alors peu mobilisée : la menace au non-renouvellement du contrat pèse lourdement sur la capacité à s’organiser, et la faible rémunération dissuade de se mettre en grève. Il en aura fallu de la détermination à ces oubliés de l’Éducation nationale pour se lancer dans la grande aventure d’un mouvement social ! Les chefs d’établissements ont manœuvré pour décourager la mobilisation, notamment en recourant à des agents territoriaux et des jeunes en service civique pour remplacer les grévistes. En toute illégalité. Ces personnels ne sont d’ailleurs pas couverts en cas de problème avec les élèves.

Qu’importe, la machine est lancée, et à en croire les échanges lors de l’assemblée générale place Candolle, pas facile désormais de décourager ces ardeurs toutes grisées de leur audace. Les syndicats locaux de l’éducation – CGT, FSU et Sud – sont venus apporter leur soutien, par un partage d’expérience, et une documentation fournie sur les droits des salariés sur leurs sites respectifs. Dans le respect de l’autonomie du mouvement. Autre arme de solidarité : les caisses de grève. « Sur Fontcarrade [collège montpelliérain], on a pu dédommager nos cinq grévistes et verser de l’argent à la caisse départementale », s’enthousiasme un participant à l’assemblée. Pour donner de l’argent, c’est par ici.

Enraciner la grève

Si tout ce beau monde met en place autant outils, c’est bien pour s’inscrire dans la durée. « En seulement dix jours, on a réussi à mobiliser comme jamais dans la profession. C’est historique ! On a les moyens d’engager un rapport de force dans la durée ! » clame un sétois. L’idée est donc de continuer à structurer le mouvement, de le faire vivre à travers des débats, agitations et rassemblements hors des temps de travail, et de contacter les AED d’autres régions. Avec comme perspective une nouvelle journée de grève, autour de la rentrée de janvier, potentiellement reconductible cette fois-ci. Les modalités concrètes de ce plan seront décidées le 9 décembre, dans la foulée d’une nouvelle action au rectorat de Montpellier liée à la campagne de Sud Éducation 34 pour l’obtention par les AED et AESH de la prime REP. Les « pions » mettront-ils en échec le roi Blanquer ? La suite au prochain épisode !

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