Archives - International 17 octobre 2015

Come-back du socialisme outre-manche ?

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14 septembre, Jeremy Corbyn est élu haut la main à la tête du Labour, principal parti d’opposition au gouvernement conservateur actuel de David Cameron. Vu de France, la surprise est de taille. L’homme se dit « socialiste » et prône la relance par la dépense publique à la tête d’un parti centriste dont les statuts plaident pour « l’entreprise de marché et la rigueur de la concurrence ». Sous l’impulsion de Tony Blair, le parti travailliste fût en effet le précurseur dans les années 1990 de la conversion des partis dit « de gauche » aux thèses néolibérales. Comment expliquer l’arrivée de ce nouveau leader prônant des mesures aux antipodes des directions suivies depuis plus de vingt ans par les cadres du parti ?

L’intenable position des centristes

En Grèce, l’émergence de Syriza est consécutive à l’effondrement du PASOK, un parti lui aussi centriste, suite à sa participation à un « gouvernement d’union nationale » incluant les conservateurs et sous tutelle de la Troïka(1). La supercherie d’un parti se disant « socialiste » et appliquant sans broncher des politiques d’austérité drastiques n’a pas fait long feu. Au Royaume-Uni, les travaillistes se retrouvent dans une situation similaire. Le référendum sur l’indépendance de l’Écosse en 2014 a fait émerger un certain nombre de préoccupations économiques et sociales, notamment contre l’austérité, portées par les indépendantistes de gauche du Scottish National Party (SNP). Plutôt que de se positionner par rapport à ses revendications, les cadres du Labour ont fait le choix de faire campagne pour le « non » aux côtés des conservateurs. Comme chez le voisin hellène, la posture consistant à imiter grossièrement ses « opposants » conservateurs tout en se réclamant de « gauche » n’a pas tenu.

Le parti essuie une défaite historique aux élections générales de mai 2015 et offre la majorité absolue aux conservateurs pour la première fois depuis 23 ans. L’ancien bastion travailliste écossais est lessivé, les indépendantistes remportant 56 des 59 sièges à pourvoir(2). Les « experts » et les instituts de sondage, qui à l’unisson prévoyaient une victoire serrée du Labour, ne se débinent pas malgré l’ampleur de leur erreur et produisent une explication mono-causale qui envahit l’espace médiatique : le parti travailliste a échoué car il est « trop à gauche » et pas assez « friendly » avec le monde des affaires. Un comble pour un parti qui n’a pas cessé d’alléger la pression fiscale depuis les années 1990(3). Cette explication sans fondement vise plutôt à poser les termes des débats dans la phase de campagne ouverte par la démission du leader travailliste Edward Miliband.

Une mobilisation sans précédent

Quatre candidats entrent en scène et respectent tous cette « injonction » de virer à droite, à l’exception d’un seul qui s’engage dans la direction opposée : Jeremy Corbyn. Il prend acte des revendications sociales, notamment du succès de la manifestation anti-austérité du mois de juin qui a rassemblé plus de 250 000 personnes à Londres(4) et lance sa campagne contre les coupes budgétaires. Habitué aux errements de son propre parti, ce député expérimenté qui a été à l’encontre des consignes de vote de son camp plus de 500 fois, suscite tout de suite un très fort enthousiasme auprès de la base travailliste. Plus de 12 000 militants rejoignent son équipe de campagne et il obtient le soutien des deux principaux syndicats du pays : Unité et Unisson. Le parti étant encore statutairement financé par les syndicats, chaque adhérent peut en devenir membre : 200 000 syndiqués vont ainsi rejoindre le Labour durant la campagne. À la faveur d’un changement de règle électorale récent visant à redynamiser le parti, le Labour vote désormais selon le principe « un homme, une voix » et a mis en place un statut particulier de « supporteur ». Ce statut permet de voter aux primaires moyennant une participation de trois livres. Plus de 140 000 personnes vont ainsi se faire enregistrer. Le nombre d’adhérents directs a lui aussi explosé ramenant les travaillistes à un nombre d’adhérents comparable à celui des années 1970. Il apparait évident que ce soudain regain d’intérêt pour la politique partisane est directement imputable à la candidature de Corbyn.

Un establishment débordé

Les cadres du parti, notamment le camp blairiste, très influent financièrement, n’avaient pas prévu d’abandonner le parti à son aile gauche. Tout est dès lors valable pour tenter de freiner l’ascension de celui que la presse tabloïd surnomme déjà le « dinosaure socialiste ». On lui reproche pêle-mêle d’avoir commis un crime de lèse majesté (celui d’avoir porté une veste rouge le lendemain du décès de Queen Mum), d’être irrationnel (selon certains il aurait divorcé de sa seconde femme car elle voulait envoyer ses enfants en école privée) et de vivre dans le passé (puisqu’il voudrait renationaliser le rail, la poste et l’énergie). Critiques reprises en cœur par les éditorialistes français, qui vont même plus loin, notamment en la personne de Caroline Fourest pour qui Corbyn soutiendrait les mouvements intégristes et négationnistes(5), – accusation ne reposant sur aucun fondement(6). Les conservateurs britanniques ainsi que ses « alliés » du Labour relaient et alimentent cette campagne extrêmement violente à son égard. Cela ne leur permet cependant pas de reprendre la main : Corbyn est élu à la tête du Labour avec plus de 59% des voix.

Cet épisode traduit visiblement un malaise de plus en plus grand parmi une classe d’élites voyant un nombre croissant de phénomènes politiques échapper à son contrôle et sortir du cadre traditionnellement verrouillé du bipartisme. La reconquête du Labour par sa base est symbolique : les gouvernants ne pourront pas nier éternellement les revendications croissantes contre l’austérité.

Mario Bilella

(1) La Troïka est composée du Fonds monétaire international, de la Banque centrale européenne et de la Commission européenne. (2) « Écosse/indépendance : nouveau référendum inévitable », Le Figaro, 26 juillet 2015 (3) Sous l’alternance de ces deux partis, le Royaume-Uni est d’ailleurs devenu le pays du G7 où les taxes sur les sociétés privées sont les plus faibles (OCDE). (4) Sur ce chiffre et ceux à suivre, voir : « Records d’adhésions au Labour en vue du Leadership », Grey-Britain.net. (5) Voir l’article de Caroline Fourest dans le Huffington Post : « Les amis intégristes de Jeremy Corbyn ». (6) « Caroline Fourest nous éclaire : Jeremy Corbyn est un apprenti terroriste ! », Acrimed.org.

 

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