Commando de la fac de droit de Montpellier : l’alliance de notables et de l’extrême-droite

Le Poing Publié le 19 mai 2021 à 12:04 (mis à jour le 19 mai 2021 à 13:46)
Dans la nuit du 22 au 23 mars 2018, un commando d'extrême-droite avait évacué à coup de planches et de taser un amphi occupé à la fac de droit de Montpellier.

22 mars 2018, 23 h 37, un commando armé et cagoulé frappe des étudiants occupant un amphithéâtre de la fac de droit à Montpellier contre Parcoursup. Les 20 et 21 mai 2021 sept prévenus comparaissent devant le tribunal correctionnel. À cette occasion, Rapports de force, Le Poing, La Mule du Pape et Radio Gi·ne, médias indépendants de Montpellier, ont décidé de s’associer pour couvrir l’événement. Aujourd’hui, seconde production d’avant audience. Le parcours des prévenus, les témoignages des étudiants et l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, consulté par nos soins, révèlent la porosité des notables de cette fac avec l’extrême-droite la plus violente. Puis jeudi 20 mai à 21 h, nous vous proposons une émission en direct sur nos pages Facebook. Ce sera ici.

Ce 22 mars, après une grande manifestation pour les services publics, une assemblée générale, autorisée par le président de l’université Philippe Augé, se tient dans le plus grand amphi de la fac de droit. Deux mondes s’opposent : d’une part les étudiants de la fac de lettres Paul-Valéry mais aussi en Sciences Politiques de la fac de droit, désireux d’étendre les luttes sociales, et d’autre part les profs et doctorants de la fac de droit, déterminés à protéger l’institution. Le doyen Philippe Pétel ne sait pas où donner de la tête et tombe des nues en apprenant que le préfet refuse de faire intervenir la police alors que l’occupation est votée. La tension monte. Pour protester contre le blocage de l’accès aux toilettes, des tampons faussement usagés sont brandis à la face du doyen, sous les regards horrifiés de son cercle de fidèles dont on ne soupçonne pas encore les intentions.

Solidaires face aux « gauchistes »…

Le prof de droit Jean-Luc Coronel autoproclamé de Boissezon – royaliste assumé, photographié à l’un des meetings du groupe identitaire “La Ligue du Midi” – passe à l’action. Se déclarant, face aux enquêteurs, « affolé » de la possibilité d’un « nouveau mai 68 », il appelle à dix reprises sa compagne Patricia Margand – candidate malheureuse du Front National aux législatives de 2017 et autrice d’articles à la gloire de Louis XVI –, et Jordi Vives Carceller, militant de la “Ligue du Midi” et créateur du site identitaire Lengadoc-Info. Patricia, encore au prestigieux château de Flaugergues où elle vient d’assister à une réunion de “La Manif pour tous”, appelle à son tour des amis.

C’est ainsi que se retrouvent près de la fac, comme l’attestent les relevés téléphoniques, Jordi Vives Carceller, Martial Roudier, militant de “La Ligue du Midi” incarcéré pour avoir poignardé dans le dos un ado antifa, Thierry Vincent, militaire à la retraite, Mathieu Rolouis, jouteur sètois sympathisant du Rassemblement national, Thierry Puech et Jean N. Ce-dernier prétexte un mal de jambe pour s’extirper et Jordi reste à l’écart. Les autres s’entretiennent sur le parking de la fac avec Jean-Luc Coronel, Philippe Pétel et Emilio Tedeschi, responsable du service technique et sécurité, qui leur explique la configuration des lieux. 

La suite est racontée dès le soir des faits par un étudiant au témoignage incontesté, dans un article du Poing du 23 mars 2018 : « Je suis arrivé peu avant le début de l’attaque et le doyen a cru que j’étais de son côté. Du coup j’ai tout entendu. Le doyen a d’abord réuni les étudiants qui étaient contre l’occupation et il leur a sommé de se rassembler dans un coin de l’amphithéâtre. Ils ont compté le nombre de personnes présentes dans l’amphi et ils ont dit “ok, c’est bon”. Ensuite, ils ont fait placer les personnels de la sécurité-incendie en haut de l’amphi et au bord de la porte extérieure qui donne sur la rue. Après, l’un des subordonnés du doyen a ouvert une porte au fond du hall d’entrée qui était restée fermée toute la soirée. Une dizaine de personnes sont arrivées, la plupart cagoulées et armées de bâtons qui ressemblaient à des sortes de bouts de palette. Le doyen leur a ordonné d’aller dans l’amphi occupé, et ils se sont mis à taper tout le monde. La sécurité-incendie a fait semblant de ne pas trop savoir ce qu’il se passait. Quand les étudiants ont fui en se faisant taper, le doyen m’a regardé en faisant un pouce levé. J’ai vu quelqu’un se faire taser au sol. »

…mais bavards face à la police

Le 29 mars 2018, Philippe Pétel et Jean-Luc Coronel sont placés en garde à vue et mis en examen. Face aux enquêteurs, le doyen prétend avoir confondu le groupe armé de bout de palettes avec « une avant-garde de la police » comme « le GIGN » et dément avoir applaudi l’expulsion, malgré des vidéos accablantes. Quant au prof royaliste, il affirme, face aux déclarations d’un chargé de TD l’ayant vu « marcher en tête de la colonne » et à celles d’un appariteur l’ayant vu parler avec le commando, qu’il a été élu « huit années consécutives professeur le plus sympathique ou passionnant lors de galas » et que cette « popularité a pu créer des jalousies ». Le 11 septembre 2018, le reste de la bande est interpellé. Patricia Margand explique d’abord aux policiers qu’elle ne peut « moralement » pas dire ce qu’il s’est passé mais face aux images de vidéosurveillance, elle finit par identifier tout le monde, y compris Martial Roudier, avant de le dédouaner. Thierry Vincent et Thierry Puech, l’homme au taser, commencent eux aussi par nier avant d’avouer et d’incriminer leurs amis. Jordi, pourtant accusé d’avoir donné le « top-départ » de l’intervention, n’est pas poursuivi. Mathieu Rolouis reconnaît les faits sans détails et Martial Roudier dément toute implication, malgré des vêtements le confondant retrouvés à son domicile lors d’une perquisition.

Ces 20 et 21 mai au tribunal de grande instance de Montpellier, Philippe Pétel et Patricia Margand répondront de complicité de violences et Thierry Vincent, Mathieu Rolouis, Martial Roudier, Jean-Luc Coronel et Thierry Puech de violences volontaires, neuf personnes s’étant constituées parties civiles.

Le déroulement de cette soirée révèle la spontanéité avec laquelle des notables ont fait appel à des militants identitaires pour briser un mouvement social perçu comme hostile à leurs intérêts, avec la complicité du doyen, visiblement prêt à tout pour épargner sa prestigieuse institution du tumulte des luttes sociales. Preuve, s’il en fallait, que la bourgeoisie ne consent à la démocratie que quand cela lui convient et que l’extrême-droite, loin de proposer une quelconque alternative, n’est que le dernier rempart de l’ordre établi.

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