Coronavirus : les prisons italiennes se soulèvent, les prisons françaises se préparent

Le Poing Publié le 13 mars 2020 à 14:05
La prison de Villeneuve-les-Maguelone

Une révolte carcérale d’une ampleur rare vient tout juste de secouer l’Italie. Avec des mutineries dans une trentaine d’établissements pénitentiaires et de nombreuses victimes ! En cause, les mesures prises par le gouvernement italien pour lutter contre la propagation du Coronavirus. Qu’en est-il de ces mesures en France ? Que prévoient l’Administration Pénitentiaire et le gouvernement ?

Des restrictions aux droits des prisonniers

On sait l’épidémie de Coronavirus particulièrement vivace de l’autre côté des Alpes. Depuis le 10 mars, des dizaines de millions d’italiens ont été placés sous confinement par décret gouvernemental. Entre autres mesures.

Le 8 mars, le président du conseil des ministres Giuseppe Conte signe un décret interdisant toute manifestation publique ou rassemblement et tout déplacement en entrée ou en sortie et à l’intérieur de la région de la Lombardie. Des mesures qui ont une incidence toute particulière sur la vie des prisonniers.

Plus de parloirs, plus de semi liberté ni de permissions spéciales, jusqu’au 31 mai ! Donc une privation de l’accès à des produits et biens de base (nourriture supplémentaire, vêtements propres, argent…).

Des émeutes dans 27 prisons et 12 victimes

La nouvelle déclenche un tollé ! Dans la soirée de samedi 7, à la diffusion publique de la version intégrale du décret en cours de validation, plusieurs prisons s’embrasent ! A Salerno et Naples par exemple, où les détenus montent sur les toits et des sections entières sont détruites. Coupures d’eau, électricité et interventions massives des forces de l’ordre : voilà la réponse des directions pénitentiaires. La répression est parfois sanguinaire : on compte pour le moment 9 morts à la prison de Modène ! « Des parents, des personnes solidaires et d’autres spectateurs se sont donc rassemblés aux environs, d’où ils ont pu voir défiler les GOM [un équivalent italien des Eris, le “GIGN des matons”] en tenue antiémeute, et entendre distinctement des coups de feu. », peut-on lire dans un témoignage publié par  le journal L’Envolée.

La révolte se répand vite, dans la soirée de dimanche 8 on compte 20 prisons en révolte, puis 27 dans la nuit. Des rassemblements s’organisent devant les centres de détention concernés, à l’initiative de proches des incarcérés et de sympathisants, alors que des associations de défense des droits humains tirent la sonnette d’alarme sur les conditions de vie dans ces établissements. Et sur les inquiétudes des enfermés au sujet des conséquences d’une éventuelle propagation du virus derrière les barreaux. Mardi, des troubles persistent encore à Bologne, en Sicile, ou encore à Venise, ou la direction a réussi à calmer le jeu en acceptant de recevoir une délégation de mutins pour entendre leurs inquiétudes et revendications.

Quatre-vingt détenus sont transférés, de nombreux autres amenés à l’hôpital dont plusieurs en réanimation, on compte 12 victimes au total, avec les trois de la prison de Rieti, à 70 kilomètres au nord-est de Rome … De nombreuses évasions aussi, comme à la prison de Foggia dans les Pouilles où 70 personnes se font la malle ! Une dizaine de personnes appartenant à ce groupe sont encore recherchées par la police.

Des conditions ne permettant aucune sérénité face au virus

 « Il semble que les mesures de confinement préconisées pour l’ensemble des citoyens ne soient pas acceptées par les prisonniers qui sont déjà contraints par la surpopulation carcérale, parfois à cinq dans une même cellule », a expliqué sur la chaîne Rai News 24 Mauro Delma, garant italien des personnes privées de liberté. « C’est le scénario propice à ce que les situations explosent, la sensation de se sentir dans un monde à part par rapport à tout ce qui est dehors », a-t-il ajouté. « Si le coronavirus vient ici, nous sommes tous morts. La plupart de ceux qui sont en prison sont séropositifs ou ont des problèmes pulmonaires parce que le seul vice qu’ils ont est de fumer. Mon mari fume trois paquets de cigarettes par jour », déclare l’épouse d’un détenu dans la presse.

Les prisons italiennes sont surpeuplées, avec plus de 61 000 détenus pour 51 000 places, ce qui ne laisse que très peu de place au confinement d’individus contaminés. Le rapport du défenseur des droits de 2018 n’est pas tendre sur le sujet : surpopulation carcérale, taux de suicide élevé en prison avec 64 morts cette année-là, allongement des peines initiales, privations arbitraires pour les migrants placés en détention, graves manquements matériels pour ce qui est notamment de l’accès à l’eau chaude et à la lumière…

Le 20 janvier 2020, c’est au tour du Conseil de l’Europe de critiquer les conditions de détention italiennes. Le Comité pour la prévention de la torture a relevé plusieurs cas d’extraction de détenus de leur cellule pour leur infliger des coups de pied, de poing et de matraque à l’abri des regards indiscrets. Le régime carcéral 41bis, initialement prévu pour les détenus hauts placés dans la Mafia et qui prévoie l’isolement dans une cellule éclairée en permanence et une surveillance étroite du courrier, est selon l’association d’une utilisation banale.

 En attendant, les autorités sanitaires italiennes ont annoncé la distribution à partir de mardi de « 100 000 masques » dans les prisons et le montage de 80 tentes pour filtrer les entrées des prisonniers et détecter d’éventuels cas de coronavirus.

Et en France ?

Pour le moment pas un seul cas de Coronavirus n’a été détecté dans les 187 prisons du pays. Mais l’administration pénitentiaire semble sur le pied de guerre : une note détaillée a été envoyée la semaine dernière aux directeurs de prison, préconisant de prévoir plusieurs cellules individuelles dédiées à l’accueil de détenus malades. Pas de suppression de parloirs pour la majorité des détenus, cette suppression de droits ne concernant que les personnes infectées pendant une période de 14 jours.

Que ce soit du côté des organisations humanitaires de surveillance des droits humains en prison, de celui des groupes de familles d’incarcérés ou chez les syndicats de matons, on s’interroge sur les possibilités pratiques pour mettre en œuvre un tel programme.

« Avec les taux de surpopulation carcérale, on voit mal comment l’administration pénitentiaire va pouvoir libérer des cellules individuelles si le virus se propageait en détention », s’étonne François Bes, de l’Observatoire international des prisons (OIP), dans les colonnes de 20 Minutes. « Ca va être compliqué », abonde le secrétaire général du SNP FO, Emmanuel Baudin. « Ils veulent libérer des étages entiers en prévention. Mais, concrètement, ça veut dire qu’il va falloir entasser des matelas dans d’autres cellules », poursuit-il. Avec 71 710 prisonniers pour 61 105 places d’après les derniers chiffres du ministère, soit un taux de surpopulation de 17%, les centres de détention français sont effectivement à peine moins engorgés que leurs homologues italiens.

D’après le protocole, les nouveaux arrivants qui seraient de retour d’une zone à risque peuvent être placés en quatorzaine au sein de la prison. Placés en cellule individuelle, les parloirs pourront leur être interdits, à eux et à eux seuls, le temps de la quatorzaine.

La présidente du syndicat « Pour la protection et le respect des prisonniers » (PPRP), Lydia Trouvé développe : « On sait que c’est déjà compliqué pour les détenus de bénéficier de soins corrects quand ils ont la grippe, alors avec le coronavirus… On craint le pire » Le Poing documentait en octobre 2018 le cas d’un prisonnier atteint par une balle policière avant son incarcération à Perpignan, et qui n’a pu bénéficier de soins adaptés malgré la gravité de son état !

Le traitement en détention pose pour Emmanuel Badin, du syndicat SNP-FO, des difficultés : « La plupart des établissements ont un système de ventilation commun à tous les étages, donc ce n’est pas vraiment un confinement ».Ce qui va à l’encontre de tous les conseils de lutte contre le Coronavirus donnés par le ministère de la Santé dans son guide méthodologique pour les établissements médico-sociaux !

Une troisième note détaillée doit être diffusée dans le courant de la semaine aux directeurs et personnels de prisons. Et les représentants syndicaux des matons devaient rencontrer aujourd’hui jeudi 12 mars la ministre de la Justice.

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