Décrocheur de portrait de Macron : “coupable”, et très responsable
Le Tribunal n’a pas été jusqu’à la relaxe plaidée en faveur de Lewis, décrocheur d’un portrait présidentiel pour dénoncer l’inaction climatique. Mais son procès a valorisé les arguments favorables à la désobéissance
Ce mardi 10 novembre, le tribunal judiciaire de Montpellier jugeait une affaire peu ordinaire. Celle de Lewis Chambard, militant écolo et social “sans chapelle” comme il aime le rappeler, ayant commis aux côtés d’ANV-COP21 et Arrêt du Nucléaire, le crime de lèse-majesté : faire descendre de son piédestal le roi Macron.
Petit retour en arrière. En juillet 2019, comme 116 fois auparavant sur le territoire national, le groupe local ANV-COP21 Montpellier décidait à son tour de “décrocher Macron”. Mais hors de question de jouer solo. Le décrochage sera l’occasion de faire entendre plusieurs voix dans une drôle d’équipe regroupant Gilets Jaunes, activistes d’ANV-COP21 et antinucléaires du groupe Arrêt du Nucléaire Montpellier. Le lien entre tout cela ? Il n’y a pas besoin d’aller le chercher loin : sauver le climat ne veut rien dire. Se battre pour un monde juste sur une planète viable ne sera possible qu’en écartant aussi le danger du nucléaire et en rétablissant la justice sociale.
Un an et demi plus tard et l’enquête judiciaire terminée, il semblerait donc que la justice n’ait pu retrouver qu’une seule personne sur les seize présentes à Assas en ce 15 juillet 2019. Des membres du Poing ont pu avoir accès au dossier avant le procès. Les grands moyens ont été déployés : recherche d’empreintes digitales et traces ADN sur l’affichette déposée en lieu et place du portrait présidentiel sur les murs de la mairie ou encore demande auprès de Facebook et des fournisseurs internet pour localiser la personne autrice de la publication revendiquant l’action. NCIS comme si vous y étiez.
Il suffisait pourtant de zapper sur France 3 le lendemain de l’action et la police y aurait vu Lewis, parlant de l’action et affichant nom, prénom et visage découvert. Autre fait prêtant également à sourire, malgré cet arsenal, la police de conclure : “après vérification d’identité des personnes présentes devant la gendarmerie [en soutien à Lewis pendant sa garde à vue], aucune n’était présente le jour du décrochage”. Ce n’est pas ce que les sources du Poing en avaient compris. Sur ce point, la Justice semble faire semblant de ne pas trouver mais nous ne doutons aucunement du fichage officieux fait en sous-main à cette occasion.
Et c’est ainsi qu’en ce mardi 10 novembre, une grosse soixantaine de personnes se réunissait pour accompagner et soutenir Lewis le jour de son procès. Le collectif souhaitait en faire “le procès de l’inaction climatique”. Sur ce point, c’est réussi ! Si la personnalité de Lewis fort appréciée du milieu militant était pour quelque chose quant au nombre de soutiens, c’était bien pour le procès politique que s’était déplacée une brochette assez impressionnante de médias.
Cette tournure politique n’était en revanche pas au goût du parquet qui n’aura pas attendu un instant pour envoyer ses bras armés demander à la militante ANV-COP21 accompagnant Lewis de… retirer son tee-shirt jaune affichant le slogan “Debout et déterminé•es pour le climat”. Tenue républicaine exigée. Liberté d’expression négligée. Ce procès, Le Poing ne sera pas en mesure de le raconter ici. Seules les personnes détenant le Saint-Graal d’une carte de presse « officielle » auront pu franchir les barrières. La justice se rend de plus en plus à huis clos, restreignant gravement le principe fondamental de son exercice public, et des droits qui vont avec. Le Covid a bon dos pour justifier cela. Mais pour vivre le procès comme si vous y étiez vous pouvez aller faire un tour à dos de Mule [du pape] juste ici.
Une décision très politique
Relégué, donc, sur le parvis du tribunal, le Poing a pu compter sur un relais d’information tout au long de la journée. Et au terme de plus de quatre heures d’attente, une audience absolument conquise – journalistes compris – sortait du tribunal. Le collectif avait choisi de faire témoigner à la barre Roland Desbordes, fondateur de la CRIIRAD (premier laboratoire indépendant sur le nucléaire en France), venu à titre personnel.
Comme dans beaucoup d’autres secteurs climaticides, le nucléaire est d’abord apparu sous sa forme militaire, et malgré l’incapacité flagrante de l’industrie à gérer le fonctionnement, le démantèlement et la gestion des déchets, c’est bien tête baissée que nos gouvernements nous emmènent toujours plus vers la fusion. Pour mémoire, l’Homo sapiens est arrivé en Europe il y a 40 000 ans. Le nucléaire se développe depuis environ 50 ans (et déjà deux énormes catastrophes) et il faut compter 100 000 ans de gestion de nos déchets nucléaires. Mais puisqu’on vous dit que c’est la solution !
Roland Desbordes a principalement tenu à tordre le cou au mythe prétendant que le nucléaire est une énergie peu émettrice de gaz à effet de serre par rapport aux autres. D’abord, il a souligné que ne sont jamais prises en compte les émissions indirectes, liées à l’extraction et l’acheminement de l’uranium, à la réalisation des assemblages, à la construction des réacteurs et à leur exploitation ; l’eau utilisée pour refroidir les réacteurs (ce qui produit de la vapeur, premier gaz à effet de serre) amène en outre une autre problématique, avec les canicules qui se multiplient l’été et réchauffent les rivières et les fleuves ; le démantèlement des réacteurs obsolètes et la gestion de leurs déchets reste complexe, et là encore les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas comptabilisées. Mais même si le nucléaire était effectivement une énergie « propre », celle-ci ne représentant actuellement que 2% de la production mondiale d’énergie, il faudrait multiplier par dizaines le nombre de réacteurs pour couvrir nos besoins, augmentant statistiquement le risque de catastrophes nucléaires de type Tchernobyl ou Fukushima.
Virginie Maris ensuite, directrice de recherche au CNRS a conclu son témoignage en déclarant : « Nous sommes en état d’urgence, c’est un fait, mais c’est d’urgence écologique qu’il s’agit et c’est probablement les dernières marges de manœuvre qui nous restent pour bifurquer et maintenir de conditions de viabilités et d’épanouissement pour notre sociétés, pour les êtres humains les plus vulnérables à travers le monde (réfugiés climatiques, populations locales et autochtones) et pour les autres qu’humains. »
La plaidoirie de Me Ottan, les témoignages vibrants des deux témoins et l’aplomb et la détermination de Lewis semblent donc avoir fait mouche. C’est donc une condamnation sans peine qui sera prononcée comme nous vous le relations hier. Selon Lewis « nos arguments de fond ont été entendus et validés sans que la forme de notre action soit acceptée par la juge. Elle a donc trouvé une porte de sortie pour faire valoir, de son point de vue, le droit, tout en envoyant un message assez clair. En un sens, c’est une victoire plus modeste que d’autres, mais si le parquet ne fait pas appel, c’est une victoire définitive. Un activiste jugé pour vol aura été dispensé de peine au titre de l’intérêt général que son action entendait défendre ».
Et puis, il faut dire que la prononciation d’une relaxe sur ce genre d’affaire met à coup sûr du plomb dans l’aile de la carrière des juges. Finalement, comme nous le rapporte une porte-parole locale, « Cette décision revient un peu à dire : vous avez commis une infraction et nous décidons de ne pas la sanctionner ». C’est à peu de choses près ce qu’analyse Rémi Doinant, porte parole national de ANV-COP21 : « Cela montre un embarras de la justice tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, la juge de Montpellier estime que nous ne dégradons rien donc ne nous demande de rembourser que le cadre, sans condamner le côté symbolique. Sur le fond, notre propos est juste et ne peut être condamné non plus ». Comme le souhaite Lewis, il reste à espérer que « d’autres activistes puissent s’appuyer dessus pour se défendre ».
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