Dérives sectaires : le salon “Demain c’est aujourd’hui” pointé du doigt à Montpellier
Jean-Baptiste Cesbron est avocat au barreau de Montpellier et bénévole au sein de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi). Il pointe du doigt les risques de dérives sectaires du salon Demain c’est aujourd’hui, prévu, malgré les menaces, au château de Flaugergues du 19 au 21 mai, avec la présence annoncée de groupes d’extrême-droite.
Le Poing : Qu’est-ce que l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu ?
Jean-Baptiste Cesbron : L’Unadfi est une association loi 1901 qui a pour mission d’aider les victimes et les familles de victimes d’emprise sectaire, au niveau de l’accueil, de l’information et de l’alerte éventuelle des pouvoirs publics. Nous avons la possibilité de nous constituer partie civile dans des dossiers lorsqu’une plainte est déposée et qu’il y a une infraction qui a été commise.
Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il y aurait des risques de dérives sectaires lors du salon Demain c’est aujourd’hui ?
Il y a des intervenants issus de milieux complotistes, par exemple le réalisateur de Hold-Up, et des membres du groupe anciennement appelé Les Brigandes [secte musicale d’extrême-droite notamment affiliée à la Ligue du Midi, ndlr], et d’autres groupes qui sont surveillés, ou qui ont fait l’objet d’alertes par le passé.
Il y a aussi des conseils délétères. Je pense notamment à une conférence sur la naturopathie pour soigner ou accompagner le cancer du sein. Je m’inquiète des conséquences de traiter uniquement, ou en première intention, par la naturopathie, une maladie aussi grave que le cancer, dans la mesure où l’on sait qu’il n’est pas possible de le traiter efficacement par la naturopathie. Si le conseil c’est en priorité d’essayer les médecines dites « douces » pour un cancer avant d’aller consulter un médecin spécialisé, le risque c’est le retard de diagnostic, c’est de perdre du temps et donc de réduire les chances pour le patient.
Il y aussi des risques graves sur la pratique du jeûne, dont des intervenants viendront parler. Ces pratiques doivent être strictement encadrées médicalement, sinon cela peut avoir des conséquences funestes.
Après, c’est compliqué, car on ne peut pas faire de contrôle a priori, on ne peut pas condamner et faire interdire ce genre de manifestations, il faut surtout informer, alerter la population sur les risques d’aller vers ces pratiques, absolument pas réglementées et contrôlées. En tout cas il ne faut pas voir ces intervenants comme la panacée pour régler les maux du quotidien. La pensée derrière tout ça, c’est de dire que les expériences personnelles ont une plus grande valeur que la science, et ça, c’est très grave car ça veut dire qu’il n’y a plus aucun contrôle ni recul sur les remèdes proposés, ça peut vouloir dire qu’ils ne servent à rien ou qu’ils sont potentiellement dangereux.
L’Unadfi a-t-elle déjà été saisie à propos d’intervenants annoncés sur le salon ?
À une époque on avait été contacté par des voisins des Brigandes, pour des accusations d’insultes, de menaces ou de coups qui auraient été portés. En dehors de ça, non, pas à ma connaissance.
Ce salon peut-il être l’occasion pour les intervenants de recruter des adeptes ?
C’est toujours le risque en effet. Ce qui est proposé c’est de la vente de matériel quelconque, mais aussi une proposition d’adhérer à des communautés ou à des stages. Il y a un commerce de ce genre de pratiques.
Quelle place prend l’aspect financier dans le salon ?
Les organisateurs présentent le salon comme un évènement associatif géré par des bénévoles, avec l’idée que personne n’en tire profit, mais pour l’écrasante majorité des intervenants, ce sont des entrepreneurs qui font commerce de la crédulité des gens. C’est là où ça peut être assez dangereux. Car en regardant les thèmes proposés, aucun n’a fait preuve d’efficacité scientifique.
Vous avez saisi la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires [Miviludes] sur les bases citées plus haut. Avez-vous eu des suites ?
Il est rare que la Miviludes réponde. Elle enregistre, peut faire des signalements et alerter le parquet pour qu’une enquête préliminaire soit diligentée, mais elle ne prévient pas les personnes qui envoient des informations.
De toute façon, ces salons « bien-être » fleurissent sur tout le territoire. L’objectif c’est surtout de surveiller et d’informer pour faire comprendre aux gens le risque de se tourner vers ce genre de pratiques. Il faut laisser la liberté à chacun, mais il est de notre devoir d’alerter les gens et de dire que cela n’est pas anodin. Ce n’est pas seulement une gentille bande de baba-cools qui proposent des fleurs et de la méditation. Mais il est difficile d’avoir une sanction a priori de ce genre de manifestation, et la seule autorité administrative à pouvoir le faire c’est le préfet ou le maire, avec le critère de l’ordre public.
Est-ce que la présence de groupes d’extrême-droite comme Les Brigandes pourrait constituer un trouble à l’ordre public ?
C’est à l’autorité administrative de le dire. Selon moi, la catégorisation politique de ces groupes est assez fausse. Oui, le lien des Brigandes avec l’extrême-droite est très documenté. Mais lorsque l’on regarde la pensée, la doctrine qui est donnée par ce genre de communautés, c’est certes de l’extrémisme, mais les classer à droite ou à gauche est je pense, assez vain. Lorsque vous lisez Le manifeste des clans du futur, le vade-mecum un peu politique des Brigandes, qui avait été écrit par le fondateur de la communauté Joel LaBruyère, vous voyez que c’est une pensée […] marquée par une volonté de créer des petits groupes autogérés en marge de la société sans qu’il y ait nécessairement d’action violente [à ceci près que ledit manifeste appelle à « régénérer l’esprit européen », ndlr]. Il y a des groupes d’extrême-gauche qui avaient à peu près la même pensée politique.
Les groupes sectaires se posent à l’extérieur de la société traditionnelle, en marge. Ils peuvent migrer d’un bord à l’autre de l’échiquier politique sans aucune difficulté car ils ne se vivent pas comme appartenant à la société traditionnelle et ne veulent pas appartenir à des groupes existants dans cette société. Les classer dans un bord ou l’autre de l’échiquier politique traditionnel, c’est superflu. C’est un autre système de pensée qui s’applique.
Le préfet de l’Hérault aurait, selon le Midi Libre, envisagé d’interdire le salon, puis se serait ravisé, les « troubles à l’ordre public » ayant peu de chance d’être retenu par le tribunal administratif. Par ailleurs, La Ligue des Droits de l’Homme de l’Hérault et d’autres associations envisageraient une manifestation pour s’opposer au salon.
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