Encensé au Corum de Montpellier, le capitalisme vert ravage les causses d’Aveyron

Le Poing Publié le 1 octobre 2021 à 20:12 (mis à jour le 1 octobre 2021 à 21:19)
Mobilisation du collectif de réflexion citoyenne sur le photovoltaïque du Causse Comtal

Près de Rodez, la population du Causse comtal résiste à un projet de centrale solaire sur deux cents hectares. Au même moment l’opérateur Akuo Energy est cité en exemple par Le Monde nouveau, grand barnum de green-washing qui se déroule à Montpellier

Il s’est passé un très grand événement mercredi 29 septembre 2021 à Montpellier. Mais seuls les lecteur de Midi Libre sont au courant. Ce jour-là au Corum, vingt-huit politiciens régionaux ont signé Le manifeste des élues et élus engagés pour le Nouveau monde. Ils ont assuré prendre neuf engagements « pour une transition écologique plus audacieuse, plus résiliente, plus inclusive ». Soit une machine à enfumage, si on se reporte, par exemple, au deuxième engagement, formulé comme suit : « Mettre en œuvre des projets d’urbanisme qui sauvegardent les terres agricoles… ». Etc.

Forcément on tique, quand parmi les vingt-huit signataires, les noms d’élus les plus connus à Montpellier sont Michaël Delafosse, président de Métropole incapable de dire qu’on n’a pas besoin d’un nouveau stade de foot-ball inutile et sa bétonisation géante, pas besoin d’un agrandissement de l’aéroport et son surcroît de trafic aérien écocide ; le sénateur Jean-Pierre Grand, dont les affidés municipaux de Castelnau-le-Lez ont tant peiné à arracher des griffes des promoteurs l’un des arbres les plus remarquables du pays ; Kléber Mesquida, président du département de l’Hérault, qui envoie CRS et bulldozers raser la Maison de l’Ecologie et des résistances, à Grabels, pour faire place nette à une pénétrante routière en pleines garrigues.

La promulgation de ce manifeste constituait les trois coups annonciateurs de la Convention Le Monde nouveau, qui se déroule pendant une long week-end au Corum de Montpellier. L’événement est une production directe du groupe de presse La Dépêche. Lequel a pratiqué la liberté d’information pas bien nouvelle, consistant à absorber, à grands coups de capitaux, L’indépendant de Perpignan, le Midi (pas bien) Libre languedocien, le Centre-Presse du Massif Central, et même la petite mais très prétentieuse Gazette de Montpellier. Entre autres.

A la manœuvre pour l’événement montpelliérain, pas moins que la présidente du groupe de presse, Marie-France Marchand Baylet, ex épouse du PDG fondateur de La Dépêche, Jean-Michel Baylet. Lequel compte parmi les dirigeant du Mouvement des Radicaux de Gauche, groupuscule de sénateurs cassoulets et autres conseillers départementaux de l’Occitanie profonde. Lui-même trempant personnellement dans des accusations d’abus sexuels sur mineurs. Et voici la grande dame reconvertie en militante de choc de la transition énergétique.

C’est ce qui aura valu aux malheureux lecteurs du Midi Libre, qui en bouffent par pleine page, un sommet d’interview conduit par l’implaccable rédacteur en chef du Midi Libre, Olivier Biscaye, lui passé maître de la transition entre questions et réponses, si on en juge par cet extrait mémorable : « Il n’est plus temps de tergiverser, l’heure n’est pas à la déploration mais aux solutions » s’exclame Marie-France Marchand Baylet. Le journaliste en chef rebondit alors, redoutable : « Et ça tombe bien, pendant trois jours au Corum, l’ensemble des intervenants et témoins apporteront des solutions ». Ouf ! Il n’aura quand même pas osé contredire son employeuse. L’esprit souffle. Gare à l’écologie de combat.

L’intérêt du Grand barnum de green-washing au Corum est très bien exprimé, dans le dernier supplément dominical du Midi Libre, par un certain Eric Scotto. Lui est le fondateur de la société Akuo Energy. Homme d’entreprise, il constate : « On peut considérer que les énergies renouvelables sont devenues la norme ». Tout lisse. « Il y a un potentiel de développement qui est colossal ». Ce n’est assurément pas le vocabulaire de la décroissance. Oui mais, « on a besoin d’une accélération ». C’est-à-dire que ce qui fait encore un peu défaut « c’est juste une volonté politique de pousser cette technologie ».

Le Nouveau monde est ainsi celui des accointances et arrangements autour du capitalisme vert, celui qui voudrait nous faire oublier que, verdi ou pas, la logique du capitalisme est toujours inévitablement celle de l’exploitation des ressources (et des êtres humains), de la marchandisation de toute chose, et de l’épuisement du vivant. L’article du Midi Libre glorifie Eric Scotto et sa société Akuo Energy comme inventeurs de l’agri-énergie. C’est-à-dire « l’idée de conjuguer sur un même espace production agricole et production énergétique ».

Mais une grosse fausse note est venue rayer le disque des conciliabules entre affairistes et politiciens dans leur convention de greenwashing au Corum. Akuo Energy, c’est par exemple, un projet d’implantation d’une centrale photo-voltaïque sur deux cents hectares du Causse comtal, à proximité de Rodez, dans l’Aveyron. Au côté d’Akuo sur ce coup, on relève l’investisseur JP-Energie-Environnement, qui ne se cache même pas, dans sa présentation sur Internet, d’être « une filiale du groupe NASS-Holding, dont l’objectif est l’optimisation fiscale ». Laquelle n’envisage toujours pas d’opérer sa transition éthique…

Le Collectif de réflexion citoyenne sur le photovoltaïque du Causse comtal a donc tenté d’alerter les medias montpelliérains. Là-haut, Akuo prétend répandre le bonheur en installant des rangées de panneaux solaires espacés de dix mètres au sol, et capables de s’incliner ou se redresser jusqu’à la verticale pour permettre les activités agricoles des trois gros exploitants qui font paître là leurs ovins, avant de revendre le lait à l’industrie de la transformation fromagère. Akuo les noie au passage sous des versements de loyers et de compensations par dizaines de milliers d’euros, si généreux qu’on capte d’emblée les énormes profits qui sont en cause.

Outre les ravages paysagers et l’atteinte violente à la biodiversité, Loïc, jeune agriculteur en projet d’implantation arboricole, pointe : « Jusque là, les paysans étaient dans un état de totale dépendance aux lobbys de l’agrochimie et de l’industrie ». Avec ces projets démesurés, « on transfère cela vers une nouvelle dépendance, cette fois aux affairistes de l’éco-finance » poursuit Loïc, en estimant qu’il y a « total conflit entre deux conceptions radicalement opposées du lien à un territoire et de l’activité humaine ». Il précise : « un retour à une agriculture réellement paysanne et écologique doit se faire par l’action collective de terrain des premiers concernés, et l’appui des politiques publiques ». Tout le contraire d’un « accaparement par les cow-boys de l’agro-voltaïsme » confie-t-il au Poing.

Même la préfète de l’Aveyron a dû se résoudre à faire savoir à Akuo Energy qu’elle ne pouvait donner un avis favorable à son projet, car ses services officiels compétents pour l’aménagement du territoire ont estimé que « les données agronomiques [du projet promu par Eric Scotto sur le Causse comtal] ne permettent pas de conclure sur la compatibilité de ce projet avec l’activité agricole, et donc le maintien de celle-ci sous les panneaux photovoltaïques ». C’est quand même embêtant pour le héraut du concept d’agri-énergie. Mais pas suffisant pour que le chef d’entreprise cesse d’être érigé en star du capitalisme vert au Corum de Montpellier. Toute presse dominante à l’appui.

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