Enfermés au centre de rétention administrative de Sète, ils racontent leurs galères

Le Poing Publié le 2 juillet 2018 à 14:18 (mis à jour le 27 février 2019 à 00:11)
Centre de rétention administrative de Sète

Plus d’une quinzaine d’étrangers sont enfermés au centre de rétention administrative (CRA) de Sète, au seul titre qu’ils n’ont pas de papiers. Beaucoup d’entre eux ont fui pour survivre, mais « le pays des droits de l’Homme » ne veut pas d’eux. Même les enfants sont visés : s’appuyant sur des tests osseux dont la fiabilité est réfutée par l’ensemble du corps médical, les autorités contestent systématiquement la minorité des jeunes étrangers pour ne pas avoir à les protéger comme l’oblige la convention internationale des droits de l’enfant. « Ce sont les nouveaux parias d’un monde qui devient incapable d’accueillir » dénonce le collectif « excradiction générale », créé au début de l’année 2018 par des Sètois pour fournir une aide matérielle et juridique aux détenus. Du 11 au 20 juin 2018, des membres de ce collectif ont recueilli les paroles des enfermés du CRA de Sète pour « crier ces paroles qui racontent le malheur ». Le Poing vous retranscrit une partie de ces témoignages qui en disent long sur l’inhumanité de notre société.

Bassem*

Quarantenaire. Arrêté par la PAF à un péage, il a été transféré à la mi-juin au CRA de Sète. En France depuis six ans, il vit à Paris avec sa compagne et son fils en bas-âge. Il a le regard perdu de celui qui se demande où il se trouve. Il passe bientôt devant le Juge des Libertés et de la Détention (JLD, qui a le pouvoir de maintenir les personnes en détention ou de les libérer). Son dossier est prêt, sa compagne a envoyé les papiers, son cousin l’a aidé pour l’avocat. Il espère bénéficier d’un vice de force mais sur le fond, il ne voit pas pourquoi on devrait le séparer de son fils. Il a pu parler à sa compagne et rassurer son fils qui sent bien que quelque chose se passe. Sa mère l’a retrouvé en pleurs sous le lavabo ce matin.

Lahocine

Trentenaire. En France depuis deux ans, il a signé un CDI il y a deux mois. Travailler, il ne sait faire que ça depuis que son père l’a retiré de l’école. Il nous énumère sur ses doigts ses spécialités. Il ne comprend pas pourquoi l’État le laisse travailler et avoir des fiches de paye s’il considère que c’est un délit de ne pas avoir de papiers. Il partage sa chambre avec celui avec qui il a été arrêté. Aujourd’hui, ils ont refusé tous les deux le petit déjeuner, puis le repas, comme huit de leurs codétenus. « Rassurez ceux qui sont devant le CRA pour nous soutenir, nous demande-t-il avant de partir, qu’ils sachent qu’on est avec eux. » Il passe demain matin devant le JLD, et c’est lui qui nous encourage. Bassem et Lahocine ont été libérés à la mi-juin.

Les membres du collectif “excradiction générale” collent les témoignages des enfermés dans la ville de Sète pour alerter la population.

Djamel et Youssef

Deux jumeaux. Rigolards, enthousiastes et détendus. Ils disent les choses simplement. Bien entourés – amis, collectifs militants, etc – ils ont l’air plutôt tranquilles.

Ils étaient en train de se rendre à un cours de français lorsqu’ils se sont fait contrôler. Juste eux, alors qu’ils étaient avec d’autres personnes. Juste eux, alors qu’ils étaient habillés normalement. Ils ne faisaient rien de mal.

Quand l’un parle, l’autre acquiesce ; quand l’un rit, l’autre aussi. Oui, ils veulent bien un paquet de gâteaux. Non, ils ne font pas le ramadan, ils ne sont pas musulmans. « – Ah bon, vous êtes Soudanais et pas musulmans ? ». Ils éclatent de rire. « Ben oui, c’est pour ça qu’on est là ! ». Ils plaisantent sur tout. « Ici, tu peux changer de lit tous les soirs si t’as envie, tu en vois un qui te plaît et tu y vas, c’est génial ! Ici tout le monde est nos amis. Ben oui, on est tous dans la même situation ! » « – Et comment vous vous sentez ici ? ». Les rires cessent, les visages deviennent graves. « Ici, on ne sait jamais ce qui peut arriver ». Silence. Puis ils recommencent à rire et plaisanter.

Bilal

Moins de vingt ans. « Bonjour. Non, ça ne va pas. Je n’ai rien fait. Ici, c’est pire que la prison. Je suis en France depuis un an et demi. J’étudie. CAP Hôtellerie. Voilà, c’est tout.

Je vais bientôt aller au consulat tunisien. S’ils signent le laissez-passer, ils vont me renvoyer en Tunisie. Alors je ferai la grève de la faim pour qu’ils me renvoient pas. S’ils me renvoient en Tunisie, au bout d’une semaine, je repars. Je pourrai pas avoir de visa, je viendrai en bateau. Avec le bateau, je ne sais pas si j’arriverais. J’ai déjà fait la grève de la faim. Des amis m’ont dit d’arrêter. Un autre détenu a fait la grève de la faim quinze jours. Il a été plusieurs fois à l’hôpital. Mais ils l’ont pas libéré. Voilà, c’est tout. Mon lycée, ils savent pas que je suis ici. Mon oncle, il sait pas que je suis ici. Je peux pas l’appeler. J’ai la carte SIM mais j’ai pas de téléphone. Non, je ne demande pas aux autres. Voilà, c’est tout.

Je suis là depuis plus d’une semaine. Si je peux appeler mon oncle, je pourrai lui dire de venir et de me ramener mes affaires. J’ai rien ici. Chez moi, j’ai tout. Voilà, c’est tout.

J’allais chez le coiffeur. Une voiture grise s’est arrêtée devant moi, j’ai trouvé ça bizarre. Des policiers sont sortis. Ils m’ont mis en garde à vue, et après direct ici, au CRA. J’avais que vingt euros avec moi. Je les ai dépensés pour les cigarettes. Maintenant, j’ai rien.

Ma famille est en Tunisie. Ils savent pas que je suis ici. Je vais pas leur dire. Ma mère est malade, je peux pas lui dire. S’ils me renvoient en Tunisie, j’irais pas les voir. Je repars. J’ai rien fait. Je suis là, tranquille, jamais de problème, jamais une garde à vue ou quoi. Et même, j’ai une copine ! Je leur ai dit : ‘‘si vous voulez me renvoyer, renvoyez-moi en Italie ou en Allemagne, j’irais étudier là-bas !’’ Ils ont répondu : ‘‘on te renvoie en Tunisie.’’ Voilà, c’est tout.

Je connais quelqu’un, il a été au consulat, il a été gentil et tout, et le consulat a pas signé le laissez-passer. Je vais essayer de faire comme ça. Un avocat ? J’en ai un, je connais même pas son nom. Je l’ai vu une fois au tribunal, il n’est même pas venu parler avec moi. Ici, il y a des gens qui ont de l’argent pour payer un avocat et ils sortent. Et d’autres comme moi qui en ont pas et qui sortent pas. »

Propos du collectif « excradiction générale » : C’est la fin du ramadan. Et le début de la grève des plateaux au CRA de Sète. Quatorze détenus sur dix-huit ont entamé un mouvement collectif de protestation en refusant d’accéder au réfectoire au moment des repas, le 16 juin dernier. Par cette « grève des plateaux », il s’agit pour eux de protester contre la privation de liberté qui leur est imposée, mais aussi de dénoncer leurs conditions de détention. En représailles, un détenu se voit priver de visite le lendemain. Son ami se présente devant la CRA et patiente une demi-heure avant d’apprendre que le détenu en question est considéré comme « perturbateur » pour avoir refusé de remonter au réfectoire. Alertée, son avocate conseille au visiteur de renouveler sa demande, considérant que cette interdiction est illégale. Il sonne à nouveau, à quatre reprises, avant de se voir interdire l’entrée du centre par l’officier de permanence. Il reprend son train sans avoir vu son ami.

Après le repas du soir, un détenu s’est fait prendre avec un quignon de pain qu’il espérait rapporter dans sa chambre. Il a été saisi à la gorge par des policiers, maîtrisé au sol, plaqué, placé à l’isolement dans une pièce sans fenêtre à côté des parloirs, puis libéré au bout de plusieurs dizaines de minutes grâce à la pression de ses codétenus qui tambourinaient à la porte.

Plusieurs témoignages concordants de détenus font état de l’utilisation des toilettes désaffectées qui jouxtent les parloirs comme salle d’isolement.

Le parloir, lui-même, n’est pas à l’abri des scènes de violence. Un détenu s’est fait taper par les policiers car ils estimaient qu’il parlait trop fort au téléphone.

La journée, « ils te tolèrent » nous explique un détenu. Le soir, ils boivent et te cherchent les problèmes. »

Peu à peu, les rapports entre policiers et visiteurs se tendent. Depuis la grève des plateaux, les visites se font au compte-gouttes. Nous devons également passer sous un portique de détecteurs de métaux avant d’accéder au parloir. Chose qu’ils négligeaient jusqu’ici. Et lorsqu’on s’impatiente, ils ne se privent pas de nous rappeler que nous sommes « dans un poste de police ». Les tranches horaires des visites ont été réduites d’une demi-heure, et nous ne disposons désormais que d’un parloir sur deux.

Plusieurs rassemblements ont eu lieu devant le CRA pour soutenir les enfermés. L’écrivain Tieri Briet (les mains sur la chaise) s’est enchainé devant le CRA et a mené une grève de la faim pendant 14 jours pour réclamer la libération des détenus.

Aly

Aly aura bientôt dix-sept ans. Arrivé en France en mars 2017, il est ce qu’on appelle ici un « mineur non accompagné ». Il est incarcéré depuis fin mai à Sète. Du statut de mineur isolé scolarisé, il a dégringolé à celui de « présumé majeur », condamné, enfermé et expulsable. Après avoir été contrôlé et arrêté à Montpellier fin mars 2018, il a été mis trois jours en garde à vue, a subi des tests osseux et dentaires qui ont contesté sa minorité. Il a été jugé en comparution immédiate, condamné pour falsification de documents et incarcéré à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, où il est resté « deux mois et une semaine » précise-t-il, avant d’être transféré au CRA de Sète en vue d’une expulsion.

L’OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) a été prononcée durant sa garde à vue, avant même qu’il ne soit jugé et condamné. Un recours a été déposé au tribunal administratif de Sète, mais les appels et les recours ne suspendent pas l’OQTF. En d’autres termes, il reste expulsable à tout moment, l’objectif étant d’expulser avant sa convocation par le JLD.

La preuve, Aly nous apprend que la veille de notre visite, les agents de la PAF sont venus le surprendre à six heures du matin. Selon la loi, les futurs expulsés doivent pourtant être avertis de la date de leur « éloignement », ce qui n’a pas été le cas pour Aly.

Aly n’est pas un « sans papier ». Il est en possession d’un extrait d’acte de naissance prouvant sa minorité. Mais l’administration française ne reconnaît pas forcément les documents administratifs émanant de ses anciennes colonies, écrits à la main ou non authentifiés. Nous sommes en attente de l’envoi, par la famille d’Aly, de son extrait d’acte de naissance, qu’il faudra encore faire authentifier par le Consulat. C’est une course contre la montre, car les procédures d’expulsion accélérées permettent d’exécuter les injustices avant même que ne puissent être établis la bonne foi et le droit des étrangers. Aly est parti de Côte d’Ivoire avec quelqu’un de son quartier, plus âgé et de confiance. Ils ont fait la route ensemble. Après la mort de son père, sa mère étant gravement malade, la situation familiale est devenue beaucoup trop compliquée. Il a été scolarisé en français jusqu’en CM2 et a décidé de venir en France pour pouvoir continuer ses études, souhaitant devenir électricien. Passés par le Mali, l’Algérie, la Libye, ils ont pris un bateau pour l’Italie. Son compagnon de route est resté en Italie. Aly y est resté de juin 2016 à mars 2017 dans un hôtel pour réfugiés. Mais ne voyant pas de possibilité de poursuivre ses études en Italie, ne parlant pas la langue et ne bénéficiant que d’un cours hebdomadaire d’italien, il a continué vers la France.

Arrivé en France en mars 2017, il a été confié à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). D’abord hébergé dans un hôtel pendant cinq jours, il a passé une évaluation, fait quatre mois de stage en électricité, puis a été scolarisé en novembre 2017 au lycée Jean-Jacques Rousseau, à Montpellier, en première année de CAP paysagiste. Il était alors accompagné par l’association Un Toit Où Apprendre (UTOA), dépendant du réseau de solidarité Réseau Accueil Insertion Hérault (RAIH) et était hébergé dans un appartement, avec deux autres jeunes et une éducatrice qui assurait un suivi. Il avait également trouvé un maître de stage paysagiste et signés une convention de formation en entreprise. Tout semblait en bonne voie pour cet adolescent dont les enseignants vantaient unanimement le sérieux et la motivation : « intéressé et motivé », « élève impliqué », « volontaire », « attitude positive », « bonne intégration et implication ». Les documents attestant de sa réussite scolaire ont été transmis au juge.

Il n’a pas de soutien en dehors de l’association Forum réfugiés, plus d’argent, plus de chargeur pour son téléphone, plus de carte SIM, plus aucun contact avec personnes. Il nous donne les noms de deux de ses professeurs. Je parviens à joindre une personne de son établissement qui me chargera de lui transmettre des messages de soutien de la part de ses professeurs et de ses potes : « On ne t’a pas oublié, on pense fort à toi, tout le temps. On ne savait pas comment te joindre. Comment venir te voir ? ».

Aly ne comprend pas ce qui se passe, disant qu’il est innocent, que si ses papiers ne suffisent pas, il peut en fournir d’autres, qu’il n’y a pas besoin de le mettre en prison pour cela. Il fait dix pompes au réveil, cinq au coucher. Et il prie pour qu’on le libère. « On s’est sacrifiés pour venir en France et on nous accueille avec de la prison ! C’est pas bien ! Je suis innocent. Je veux être libéré. » Il nous dit qu’il y a trois jeunes comme lui au CRA, et qu’il y a aussi trois personnes qui font la grève de la faim. Que l’ambiance n’est pas facile, et que pour ceux qui font le ramadan, la nourriture servie le soir consiste en un mélange de conserves. Il dit qu’il envisage lui aussi de se mettre en grève de la faim pour protester contre son expulsion.

À la mi-juin, trois jours avant son rendez-vous avec le JLD, alors qu’il allait être en mesure de prouver sa minorité, Aly a été pris de force à six heures du matin, direction l’aéroport. Affaire classée.

Moussa

Trentenaire, il est originaire de Côte d’Ivoire et est détenu au CRA depuis fin mai 2018 à Sète. Il a fait appel du dernier jugement (OQTF et reconduite en Italie programmée pour la mi-juin). La première phrase prononcée par Moussa est un cri : « On chasse la liberté, ici ! »

Il raconte : « J’ai quitté la Côte d’Ivoire en 2010. J’ai été blessé pendant la guerre civile, lors du coup d’État. Regarde : là (blessure au crâne), là (au pied), et là (au mollet). Des balles perdues. La Côté d’Ivoire est une ancienne colonie française, je suis francophone. Même la monnaie est en francs ! En francs CFA. Et puis un jour, ou plutôt une nuit, ça a commencé. De là viennent mes blessures. Il y a eu beaucoup de musulmans tués dans le quartier. Regarde sur internet, tu verras. Je me suis enfui dans la brousse. Je suis resté trois jours dans les bas-fonds. Quand la ville s’est calmée, la Croix-Rouge m’a retrouvé. Ils ont vu que j’étais encore vivant et m’ont soigné. Mais la guerre était pas trop finie : il y avait des cadavres pas encore enterrés et des coups de feu. Alors je me suis enfui. J’ai traversé le Burkina, le Niger et la Libye. Puis j’ai traversé la mer.

J’ai été braqué par des Nigérians. Au couteau. Tous les jours, ils tournaient. Tous les jours, je donnais ce que j’avais gagné dans la journée. Ou tu donnes, ou tu meurs. Alors je donnais l’argent, pour garder la vie. Tous les jours, pendant six mois. En Libye, j’ai été fait prisonnier par un couple, dans une maison, pendant trois ans. Je nettoyais, nettoyais, nettoyais… Sans argent. Une vraie prison. Moi, je rêvais d’Europe. Quand ils ont compris que je n’avais pas de famille à contacter, ils m’ont libéré. Ils m’ont amené au bord de la mer et m’ont mis dans un zodiac. Ils ont dû trouver quelqu’un d’autre pour me remplacer. En Italie, j’ai laissé mes empreintes. Je ne savais pas que cela rendrait l’asile en France impossible.

Je parle français, ici on se comprend. Rester en Italie, c’est une perte de temps. Et puis il n’y a pas de travail. Je me souviens, il y avait des femmes qui nous amenaient de quoi manger. Sinon, on devait chercher dans les poubelles pour manger. J’ai quitté l’Italie pour la France, je suis venu par la montagne, dans la neige ».

Dernièrement, il dépose sa demande d’asile à la préfecture de l’Hérault. Il se présente à la convocation, son récépissé de demandeur d’asile. À l’heure prévue, la PAF l’embarque. Il est « incracéré » à Sète. Piégé. En préfecture.

« Je suis juste un voyageur sans papiers. Je ne veux ni le camp en Italie, ni la prison en France. Je veux la liberté ».

Il est convoqué à la cour d’appel de Montpellier début juin. Moussa n’est pas présent au tribunal car la PAF, en sous-effectif, n’a pas pu l’escorter. Malgré son absence bien involontaire, la magistrate a statué et rejeté son appel. Il a été expulsé vers l’Italie peu de temps après.


*Tous les prénoms sont modifiés.
Propos retranscrits par des membres du collectif « excradiction générale » et distribué lors du rassemblement du 21 juin 2018 devant le CRA de Sète.

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