Enjeux de la réforme des retraites : à Montpellier, le décryptage de Michael Zemmour

Le Poing Publié le 22 mars 2023 à 14:00
Michael Zemmour lors du congré de la FSU - capture d'écran de la retransmission de son intervention. Crédit : FSU

Une heure avant le rassemblement prévu devant la préfecture, deux cents personnes se pressent lundi soir dans une salle trop exiguë pour les accueillir à l’université Paul Valéry-Saint Charles. Des gens de tous âges, jeunes pour la plupart, faute de sièges suffisants, s’assoient par terre ou se groupent au-dehors près des portes tenues ouvertes pour assister à une conférence intitulée « Les enjeux des retraites » et débattre avec Michaël Zemmour. L’économiste dont les interventions médiatisées récemment ont apporté des arguments aux opposants à la réforme des retraites, est économiste au Centre d’économie de la Sorbonne, maître de conférence, codirecteur de l’axe « Politiques socio-fiscales » du LIEPP et  coauteur du livre « Le système français de protection sociale » (La Découverte).

   « Quelle passion pour l’économie, incroyable ! », s’est-il exclamé en préambule à son exposé de quarante-cinq minutes environ. C’est que la tension est montée de plusieurs crans ces derniers jours, et qu’une épreuve de force est engagée entre le pouvoir et la résistance populaire. On multiplie les regroupements dans les facs, sur les lieux de travail, aux carrefours, dans les rues, on cherche à clarifier l’argumentaire contre une réforme imposée par une succession de fausses justifications (de l’argent pour l’éducation, le sauvetage d’un système au bord de la faillite…), et on renforce la détermination à obtenir le retrait d’une réforme révélatrice d’un projet politique de régression sociale.

  Le chercheur en économie, travaillant sur le financement de l’Etat social, a développé son exposé en trois temps : d’abord une mise en perspective de cette réforme, ensuite son « portrait robot », enfin ses conséquences. Il a précisé qu’une partie de la question porte sur le fond, c’est-à-dire la partie économique dont il traite, et que l’autre est d’ordre politique, ce dont on peut débattre. Reconnaissant que la retraite et la sécurité sociale concernent tout le monde, il n’est pas surpris par l’ampleur du mouvement.

  L’historique rappelle trois temps dans l’évolution. D’abord le projet du CNR et la mise en place en 1945 du système par répartition avec un taux de remplacement très faible (40% du salaire), pour une retraite à taux plein à 65 ans. Puis une phase de progrès dans les années 70-80, avec plus de salariés, moins d’indépendants et des réformes en positif  dues à une politique keynésienne : meilleurs taux de remplacement, donc meilleur montant des retraites et allongement du niveau de vie des retraité.e.s., ce progrès culminant en 1982 avec la retraite à 60 ans et un taux plein pour 37,5 années de carrière. Enfin, le tournant néo-libéral ou tournant de la rigueur dans les années 90 : réforme Balladur en 1993, réforme Fillon en 2003, réforme Sarkozy en 2010 avec, à l’arrivée, 42 années de cotisation et un décalage du départ de 60 à 62 ans. Comme on a décalé l’âge de la retraite, plus vite que l’augmentation de l’espérance de vie et qu’il est plus difficile d’obtenir une retraite à taux plein les conditions de vie à la retraite se dégradent. La nouvelle réforme va augmenter cette dégradation , en particulier pour les femmes qui ont souvent des carrières incomplètes et moins bien rémunérées.

  Le contenu détaillé de la réforme, bien connu maintenant – y compris la manipulation sur le montant minimal de 1200 euros – ne sera pas repris ici. Pour Michaël Zemmour, il s’inscrit dans la réforme du marché du travail, en cohérence avec les réformes de l’assurance chômage, du RSA et des minima sociaux. L’objectif est d’augmenter l’emploi, notamment en y maintenant  les seniors dont les employeurs ne voudront pas se débarrasser et d’augmenter mécaniquement la pression sur les salaires. Dans le détail, la réforme aggravera les difficultés pour obtenir le taux plein et amplifiera la décote. Le déficit public étant de 5 % du PIB, alors que l’objectif européen est de passer au-dessous de 3% en 2027, la réforme est fortement motivée par la réduction de ce déficit aggravé par les dépenses du « quoi qu’il en coûte », la baisse conséquente des impôts de production ( 8 milliards chaque année) et la baisse de la taxe d’habitation sur les ménages les plus riches. La stratégie du gouvernement : baisser les prélèvements sur les entreprise et parallèlement les dépenses publiques n’est donc pas de sauver un système de retraites dont le déficit annoncé ( 0,5% du PIB) ne présente pas de danger. Par ailleurs d’autres leviers de financement que le décalage du départ – l’augmentation des cotisations par exemple – peuvent être utilisés.

  La réforme aura pour effets des économie pour l’État et une perte de droits pour les travailleur.euse.s qui seront soit maintenu.e.s en emploi contre leur gré et au détriment de leur santé soit sans emploi et dans le prolongement d’années sans revenu. Les personnes les plus modestes, souvent en invalidité, ne seront pas les plus impactées par cette réforme. D’après l’économiste, ce seront plutôt celles qui ont un emploi et un bon revenu et en particulier les femmes avec enfants.

  En conclusion, cette réforme va concentrer dans l’immédiat tous les efforts demandés aux gens de 55 ans et plus, au chômage, au RSA ou au travail (avec une pénibilité non prise en compte).

  Alors que, alimenté par des questions du public, un débat s’instaure sur le retour à une retraite à 60 ans, un système universel… tous les possibles qui peuvent légitimement se concevoir quand une mobilisation est forte, un participant annonce que la motion de censure vient d’être rejetée de 9 voix à l’Assemblée. Pas de vraie surprise pour l’économiste, qui a rappelé que l’intersyndicale avait anticipé cet échec en fixant une nouvelle journée de grèves et de manifestations jeudi prochain 23 mars.  Il a aussi précisé que quelques réformes n’ont pas été appliquées dans le passé : le CPE et la réforme Macron de 2019, stoppée par la pandémie. Rien n’est donc définitif concernant une loi qui pourrait ne pas trouver d’application. Cette réforme n’étant pas réductible à une question économique, il s’agit en fait d’une question politique, une question de choix sociologiques et politiques, d’un rapport au travail et à la vie.

la question : « Est-ce que  la violence est  une solution, puisque les manifestations ne servent à rien, ni le respect de la démocratie ? » le conférencier a répondu en s’interrogeant sur l’efficacité de la radicalité et se dit impressionné par la cohérence de l’intersyndicale et la montée en puissance de la mobilisation.

   A son auditoire, il a donné rendez-vous jeudi 23 mars. Mais, sans attendre cette échéance, une partie du public rejoint alors la mobilisation nocturne près de la préfecture.

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Retraites, journée du 21 mars à Montpellier : barrages filtrants, manif interpro, début de pénurie d'essence