Etika Mondo, un écolieu à jeter au compost

Elian Barascud Publié le 28 juillet 2025 à 17:49
Des bénévoles des Chantiers Écologiques Massifs de 2022 qui ont payé pour se retrouver les pieds dans l’eau à creuser un trou (extrait d’une vidéo d’Hervé Jonas publiée sur Vimeo)

[Archive] Au Vigan, dans les Cévennes, l’écolieu Etika Mondo de Boris Aubligine est un cas d’école de ces mouvements écolos dépolitisants, teintés d’une spiritualité douteuse et cultivant la personnalité de leur chef. Bienvenue dans ce monde merveilleux où pour construire le jour d’après, il faut sortir son porte-monnaie

Article publié dans le n° 38 du bimestriel Le Poing, imprimé en novembre 2023. Etika Mondo a depuis modifié son site Internet (en particulier la présentation de Boris Aubligine) et ses « formations »

Etika Mondo, c’est un domaine acquis sur le hameau de Gaujac, au Vigan (Sud-Cévennes), à la fin des années 2010 par Boris Aubligine, auto proclamé « architecte sculpteur du monde éthique », et sa femme Emilie, la « mère nourricière ». Le projet ? S’engager avec « une forme d’abnégation » face à l’urgence écologique, « comme d’autres ont choisi l’armée, les pompiers ou la médecine ». Et pas un mot sur les businessmen ?

Chez Boris, c’est soirée nature

Concrètement, Etika Mondo propose des stages « immersion nature » de cinq jours, compris entre 330 et 570 €, aux quels il faut rajouter 70 € pour la nourriture, entre 15 et 35 € pour la tente, entre 6 et 15 € pour le matelas et 20 € pour le duvet. Etika Mondo prend le soin d’envoyer aux participant·es une « liste avec le matériel nécessaire » à emmener et précise qu’il est « obligatoire de participer aux tâches ménagères » pour « repenser notre mode d’organisation social et culturel entre serviteurs et bénéficiaires ». La belle affaire !

La « formation » s’étend du lundi après-midi au samedi matin et inclut trois heures d’installation, treize heures de balade, trois heures de veillée et près de trois heures de déambulation au marché du Vigan. Les parties chantiers, théories et coaching étant condensées sur 22 heures. Les périodes dédiées aux repas, goûters et temps calmes sont conséquentes, celle du mardi s’étendant de 16 à 22 heures. Pas sûr qu’avec un tel programme, vous maitriserez « les principes de l’écologie », les « défis que peuvent relever les humains » et les « dynamiques de groupe tout étant plus clair avec vous-même ». Mais en tout cas, vous aurez entretenu le potager et rénové l’écolieu de Boris…

Etika Mondo propose aussi une semaine de formation à destination des entreprises sur « l’écologie appliquée » avec un « scénario post-effondrement », notamment pour les « managers d’entreprises ou d’institutions qui veulent se challenger et vivre une expérience immersive, concrète et bousculante ». Le « prix de l’immersion » pour une entreprise de plus de 5 000 salarié·es : 14 700 € hors taxe pour sept personnes.

En quête du nouvel humain

Boris « voit grand » selon le site d’Etika Mondo. « C’est tout un univers qu’il perçoit […] Il conçoit des espaces, pense territoire, nation et même civilisation ! Homme d’action déterminé, porté par une vision, son but est de […] contribuer à l’avènement de l’Humain nouveau. » Cette humilité a conduit Boris a lancer en 2020 les Chantiers Écologiques Massifs (CEM), « assez de blabla, de manifestations et de contestations » plaide-t-il sur son site. Le principe des CEM : assurer la « sécurité alimentaire nationale » en mobilisant des dizaines de bénévoles pour aider un agriculteur en difficulté pendant une semaine. L’association revendique 40 000 € de subvention de la Région Occitanie et 25 000 € de Montpellier Hérault Rugby. Le bénévole, quant à lui, doit s’acquitter d’une cinquantaine d’euros pour la semaine, pendant laquelle il dort dans une tente. Avoir une stratégie pour l’alimentation ou subventionner la charité via une association qui a un rapport flou avec l’agriculture, les pouvoirs publics ont fait leur choix…

Alexandre, un flic résilient

L’édition des CEM 2023 s’est conclue par une conférence d’Alexandre Boisson, « ex garde du corps présidentiel » (sous Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac) et de sa compagne Marjolaine Gaudard, « facilitatrice graphique », à propos de… la sécurité alimentaire. Tentative de résumé : la nature c’est la réalité, le système alimentaire mondial est fragile, et la guerre en Syrie c’était parce que les gens avaient faim, mais l’asiminier est un fruit très pratique et la coalition des BRICS va s’agrandir, mais prenons garde aux biais cognitifs des un·es et des autres. Attention, point sur la géopolitique, un sujet « très important » : Marjolaine brandit une pancarte « géopolitique ». Voilà, c’était le point géopolitique. Le public – qui vient des quatre coins de la France, avec beaucoup de jeunes diplômé·es – est alors invité à vêtir un gilet floqué d’un moyen de transport (avion, cargo…), tandis que d’autres lèvent des pancartes représentant un légume (patate, carotte…) pour s’efforcer de comprendre l’acheminement des produits, et voilà que Boris se met à mimer un moyen de transport en tournant autour d’un légume imaginaire. Maintenant, fermez les yeux, imaginez votre commune idéale. Séquence émotion. On vous passe les quizz interactifs aux réponses floues finalement tranchées à l’aide d’une recherche sur Internet. Clou du spectacle, nos cher·es CEMeurs se retrouvent à gesticuler au milieu de la salle pour essayer de trouver la forme qui représente le mieux le circuit court, en se donnant la main les un·es les autres pour relier de la bonne manière des mots tels que « production », « logistique », ou « conservation ». « Et pourquoi pas en étoile ? » propose une participante. Bon sang, mais c’est bien sûr !

Alexandre Boisson finira par délivrer son vrai message : les CEMeurs doivent mettre la pression sur les Communes pour qu’elles intègrent la résilience alimentaire dans leur Plan Communal de Sauvegarde (PCS) et leur Document d’Information Communal sur les Risques Majeurs (DICRIM). Et ça tombe bien, il a justement fondé la société Géorésilience, qui propose les offres « accélérateur » et « clé-en-main » pour… aider les mairies à produire leur PCS et DICRIM. Les bénévoles ne seraient-ils pas les bonnes poires des projets pas si désintéressés de Boris Aubligine et d’Alexandre Boisson ?

À la fin de la « conférence », une prise de parole dénonce l’imposture et des tracts volent dans la salle. « La sécurité alimentaire n’est pas une affaire d’ancien flic. Etika Mondo est un mélange de communauté et d’entreprise ultra-libérale. La résilience est un concept psychologique utilisé des politiques et des entrepreneurs qui souhaitent que nos pratiques s’adaptent au système. Ce n’est pas une remise en cause du capitalisme, c’est une autre façon d’en profiter. Nous, habitants de ce territoire, souhaitons une autogestion de notre alimentation, autonomes dans la construction et la transmission de savoir-faire, sans experts, de la sécurité ou autres, ni capitalistes déguisés en écolo, ni professionnels de la communication. Ces experts se targuant de diffuser des savoirs et une philosophie post-écolo ne sont que les acteurs d’un business bien juteux qui surfe sur l’urgence écologique. » Fin de la blague.


Boris Aubligine a ensuite envoyé une réponse au Poing, que nous publions intégralement :

Bonjour l’équipe du Poing,

Voici pour ma réponse à l’article d’Elian Barascud publié dans votre dernière édition.

Elian, j’ai lu votre article avec intérêt. La critique est nécessaire. Elle peut nourrir. Toutefois, gare : la mise au pilotis sans jugement rappelle les dérives fascistes… Votre fanzine est à 3€ l’exemplaire, le Midi libre à 1,25€. Faites-vous le jeu du capitalisme ?

Voici quelques éléments pour mieux connaitre Etika Mondo (et mes positions puisque vous m’interpelez directement) :

1) Etika Mondo et le capitalisme
Etika Mondo cherche l’autoproduction dans la nature dans une démarche scientifique (pour s’assurer l’amélioration des écosystèmes) et aide bénévolement des agriculteurs en difficulté. Une antithèse du capitalisme.

2) Vous m’accusez de m’enrichir via Etika Mondo
Depuis l’ouverture de l’écolieu, je ne me suis versé aucun salaire ni n’ai touché le moindre dividende (Etika Mondo est une asso loi 1901). Ma compagne travaille à Biocoop. En cinq ans, avec les chantiers-école nous avons rénové une pièce du mas et entamé deux autres. Pas vraiment l’illustration d’une activité intéressée.

3) Vous condamnez que nos stages soient payants
En effet, c’est regrettable. Vous payez vos charges ? Nous aussi. Nous préférons travailler ici pour un projet qui fait sens au lieu de vendre notre temps ailleurs. Si à regret nos tarifs sont inaccessibles pour une part de la population, ils sont parmi les plus bas (cf. les offres “Colibris” et “Jobs that make sens”).

4) Vous évoquez une approche spirituelle
Pas du tout. Peu de l’équipe sont sensibles à ce sujet. Pas d’activité chez Etika Mondo en ce sens. Nos présentations sur notre site internet sont grandiloquentes. Elles nous ont été proposées par une amie et nous avons aimé le côté super héros. C’est drôle.

5) Notre offre entreprises
Certains argumentent qu’il faut une offre entreprises afin de toucher un public qui ne l’est pas. Argument valable pourvu que nous restions intègres. Force est de constater que nous sommes trop engagés : aucun preneur à ce jour. Quant aux tarifs, ils correspondent aux offres “team building” classiques. Rien à voir avec les tarifs familiaux que nous pratiquons grâce au bénévolat.

6) Les CEMs
Les Chantiers Ecologiques Massifs sont des opérations bénévoles pour aider des agriculteurs en difficulté. 30 à 50% des participants reviennent. Les agriculteurs apprécient nos actions. Vous avez noté qu’à 50€ la semaine (pour la nourriture), je m’enrichis encore sur le dos des autres en travaillant moi aussi bénévolement chez les autres…

7) La participation aux tâches ménagères
Chez Etika Mondo tout le monde participe parce que nous refusons de nous faire nourrir par des employés ou de laisser ce soin aux femmes. Base du vivre ensemble et de l’humilité.

8) Les subventions
Les premières années nous n’avons rien demandé souhaitant subvenir à nos besoins sans aide. Puis les CEMs ont nécessité des investissements trop grands. Nous avons alors candidaté au budget citoyen de la région Occitanie. Les citoyens nous ont élus avec le plus haut score régional.

9) Le rythme des stages
En 2021, nos stages offraient un tel contenu que nos stagiaires ont demandé de lever le pied ! Nous annonçons des stages d’initiation non diplômants et étudions la possibilité de formations de 1 à 5 ans.

Que vous nous critiquiez et que ça me soit personnel, ok. Mais je vous invite à éviter de le faire sans connaitre votre sujet. En fin d’article vous vous positionnez. Nous ne sommes pas antinomiques. Chercher à reprendre la main sur nos moyen de production devrait vous parler. Le problème de fond, tient dans le fait que je suis propriétaire des terres. C’est un passage, pas une fin. Dès que j’ai acquis la propriété, je l’ai partagée. Tout le monde ne le fait pas. Construire en collectif n’est pas simple. Beaucoup d’expériences implosent. A défaut de salaire, je ne peux prendre le risque de tout perdre pour mes enfants. Nous oeuvrons pour que l’association fasse émerger une foncière pour une propriété partagée.

Puissent ces écrits compléter votre intérêt Etika Mondo. Si vous souhaitez organiser une rencontre-débat, pourquoi pas. Nous sommes convaincus de la pertinence de notre organisation et si nous faisons erreur, alors échangeons et laissons aux fâcheux fachos le soin de crier à la mise à mort (ceci-dit la formule choisie de la mise au compost est drôle, on a aimé). Le samedi du CEM, trois de vos membres ou proches (dont vous ?) sont venus perturber la fin de la conférence d’Alexandre et Marjolaine. Pourquoi pas. Mais les accusations à mon égard se sont faites sans même nous connaitre et devant mes enfants. Pas très élégants et pas certain que ce soit votre modèle de société. Personne n’est parfait. Sachons tous prendre de la hauteur.

Bonne continuation pour votre fanzine. Les poils à gratter sont nécessaires.

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