Expulsions : le préfet de l’Hérault fabrique par dizaines les familles SDF du “monde d’après”
Le Centre social autogéré de la rue Bonnard a été vidé de ses occupants ce mercredi matin. Et le Casa définitivement fermé
C’était pendant le confinement. On pouvait rencontrer des membres d’associations humanitaires, de défense des droits, qui sentaient comme un frémissement positif dans leurs relations avec les autorités ; la Préfecture de l’Hérault au premier rang. Pour l’encadrement des mineurs non accompagnés, la mise à l’abri des personnes errantes, le suivi sanitaire des plus précaires, le secours alimentaire, le dépistage du COVID, etc, les services d’État, officiellement chargés du traitement de ces questions, étaient trop contents de convoquer les associations en réunion, et miser sur leurs compétences alors que l’incurie des organismes officiels tournait au danger sanitaire public.
Brutalement, toutes illusions dissipées, ces bonnes volontés sont ramenées à la réalité du monde d’après. Semblable à celui d’avant. Peut-être en pire. Soit : soit la fonction essentiellement coercitive de l’appareil d’État, dans son contrôle social et policier des populations, particulièrement les plus démunies. Le pire étant de constater le peu de monde – deux à trois dizaines – de militants réduits à assister, démunis, à l’évacuation du Centre social autogéré de la rue Bonnard ce mercredi matin.
Sur la liste des lieux que le Préfet de l’Hérault se fait fort de vider, chacun semble vivre replié isolément comme dans un bastion sans défense. Les humanitaires font bien le relais. Mais le front politique est dégarni. La triste histoire des squats montpelliérains, leurs dissensions, leurs guerres intestines, se solde dans une culture des rancoeurs et des rancunes, des reproches et récriminations. Alors que des centaines de résidents occupent ces lieux, le rapport de force politique, miné par les divisions intestines, est voisin de zéro. Dans cette ville “de gauche”, les forces de l’ordre s’enfoncent dans les squats comme dans du beurre, chacun son tour, sur fond d’une terrifiante indifférence quasi générale. Et épuisement militant.
Rue Bonnard, depuis un an et demi, résidaient environ cent cinquante personnes, majoritairement d’origine albanaise. D’où le caractère souvent familial des lieux, avec des enfants en nombre non négligeable. Regroupant parfois plusieurs chambres de cet ancien foyer, certaines des installations avaient fini par ressembler à de vrais intérieurs domestiques, bichonnés, à force de bricole experte et de récupération sur les trottoirs obscènes de la société de surconsommation.
C’est ce monde qui a été fracassé à grands coups dans les portes dès six heures du matin. Un père de famille et son fils, osant défendre leur univers, ont été arrêtés, placés en garde à vue. Plus tard dans la matinée, on assistait au spectacle lamentable des agents du SAMU social, distribuant quatre nuitées dans des hôtels de périphérie, et nous expliquant : « A partir de lundi, ces familles devront appeler le 115 ». Autrement dit le quasi-vide. Une humanitaire s’insurgeait : « Puisque ces expulsions étaient prévues en fait, une administration responsable aurait dû procéder préalablement à toutes les évaluations au cas par cas, que la loi impose ». Mais, l’argument est sans doute plus politique : « Il y a une obsession répressive contre les Albanais précisément ciblés. On ne va donc surtout rien faire qui puisse les aider valablement. C’est tout l’inverse : il faut les affaiblir, les marginaliser pour mieux leur indiquer la sortie du territoire ».
Une mère de famille, affolée, constatait : « Il paraît qu’on est dans un hôtel à Saint-Jean-de-Védas, que c’est loin de tout… Comment transporter toutes les affaires de la famille ? Par le tram ? Pour quatre jours ? » Encore fallait-il pouvoir les récupérer sur le trottoir, dans les tas de valises et ballots, sans assurance à propos de tout ce qui a pu rester dans les étages. Deux résidents s’inquiétant : « Et là, on n’a plus aucune idée de où se trouvent nos passeports, pour les récupérer ».
L’intervention a choqué d’autant plus que le 10 juillet dernier, un haut responsable de la Préfecture recevait une importante délégation d’entités soucieuses des conséquences de la fin de la trêve hivernale des expulsions, exceptionnellement repoussée. Il y avait là des représentants de la Cimade, de Médecins du Monde, de la FSU, de Solidaires, de la CGT, de Droit au logement, de la Ligue des Droits de l’Homme, etc. Tous ont entendu que le Préfet savait faire l’équilibre entre décisions de justice d’une part (concluant à des occupations sans droit), et les considérations sanitaires ou de tranquillité publique, d’autre part. Tous ont alors compris que la temporisation prévaudrait, avec attention particulière au cas par cas. Même le CASA, plus culturel et militant, fut précisément évoqué, là aussi en laissant comprendre que l’été pourrait s’y passer en paix.
Or ce mercredi, à deux pas de la rue Bonnard, ses deux derniers occupants, dont l’un de ses fondateurs historiques, se sont eux aussi retrouvés mis à la rue. Entourés de leurs chiens affectionnés, ils rappelaient cette image du SDF, que le Préfet semble donc déterminé à produire par centaines, y compris par familles entières, dans les rues de Montpellier. Présente sur place, Sophie Mazas, pour la LDH de l’Hérault, s’insurgeait avec vigueur : « La confiance est donc rompue. Généralement, nous nous soucions de faire tampon entre les autorités et les populations les plus en difficulté. Avec les méthodes appliquées aujourd’hui, cela n’est plus possible. Le cadre juridique se pose sérieusement. Il appelle des réponses : ou bien le représentant du Préfet nous a menti délibérément le 10 juillet, au bien la police agit hors autorité préfectorale. Dans les deux cas, c’est grave ! »
Non sans rajouter : « Admirons la responsabilité de ces services d’État qui, en plein risque de recrudescence de la pandémie, jettent des centaines de personnes à la rue, dans des conditions ultra précaires, comme pour mieux répandre le virus ! »
Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :