Fuites et moisissures : le calvaire de locataires d’ACM Habitat à Montpellier
Plusieurs locataires du premier bailleur social d’Occitanie oscillent entre colère d’habiter dans des logements insalubres et désespoir face aux peu de réponses qu’elles reçoivent. L’une d’elle a attaqué en justice ACM Habitat, le bailleur du groupe Altémed qui se targue d’être « accélérateur de bien vivre ».
« On a l’impression d’être pris pour des animaux, ce logement ne donne même pas envie d’être meublé », rage Hasna en montrant son plafond craquelé. « C’était déjà comme ça quand je suis arrivée, les anciens locataires ont dû repeindre pour cacher la misère. Parfois, des bouts de plafonds tombent. » Dans les toilettes, le mur craquelé témoigne lui aussi de plusieurs couches successives d’enduits.
Cette mère seule vit depuis cinq ans avec ses cinq enfants dans un logement ACM de trois chambres, situé à la cité Gély, dans un bâtiment aux boîtes aux lettres éventrées, tout comme le placard électrique de son pallier, d’où des fils pendent. Le bâtiment n’a d’ailleurs pas de porte d’entrée, et dans le hall de ce quartier connu pour son « four » (point permanent de vente de drogue), elle retrouve souvent des seringues usagées. « Il y a aussi des cafards et des rats, mes chats en chassent dans la cuisine », se lamente-t-elle, photos à l’appui. « La porte de mon appartement ne fermait pas, un artisan d’ACM est passé, il a mis trois vis, mais la porte aurait dû être changée. Sinon, ils ne viennent pas pour d’autres travaux. »
En juin 2023, elle subit un dégât des eaux dans son appartement. Le constat réalisé par ACM, que nous avons pu consulter, évoque la fuite d’une canalisation dans une partie commune, en l’occurrence, son palier. Les murs et le sol sont gondolés, et des traces de moisissures sont apparentes. « J’ai dû passer la raclette jusqu’à dix fois par jour. Une chambre est tellement moisie que j’en ai fait un débarras. Quand je laisse l’appartement fermé, ça sent les égouts, je suis obligé de laisser ouvert. Des plaques rouges ont ensuite commencé à apparaître sur la peau de mes enfants. Quand je les ai amenés aux urgences, le médecin m’a demandé ce qu’ils avaient pu toucher. On a compris que des champignons s’étaient développés à cause de la moisissure. » Selon elle, un agent d’ACM est passé chez elle en septembre, mais rien n’a changé depuis.
Assise à la table de son salon, elle déballe les différents documents et traces de ses échanges avec ACM. « J’aimerais vivre ailleurs, mes enfants ne peuvent pas s’épanouir ici. » Après cinq courriers recommandés faisant état de sa situation, elle a reçu une réponse du bailleur le 24 novembre 2023, lui conseillant de s’inscrire sur une plateforme dédiée pour se mettre en relation avec d’autres locataires du bailleur pour voir s’ils souhaitent changer de logements. La réponse est accompagnée du message suivant : « En 2022, ACM a attribué 1 532 logements sur un total de 29 066 demandes. Actuellement, environ 3 500 locataires souhaitent changer de logement. » Hasna, elle, est épuisée. « Je relance, je me déplace à l’agence, mais rien ne bouge. »
« Ma voisine du dessus va finir par atterrir chez moi »
Autre quartier, mêmes problèmes. Vanessa est installée dans un logement ACM près de la route de Lavérune depuis 2016, dans une barre d’immeubles datant des années 1970. En entrant chez elle, on constate une grande fissure qui lézarde le plafond de la cuisine. « Un jour, ma voisine du dessus va finir par atterrir chez moi », souffle la mère de famille. Des fuites d’eau sur son radiateur ou son évier de la salle de bain ont provoqué une humidité persistante dans son logement. Des traces de moisissures sont visibles sur les murs. « Et à chaque fois ça met un temps fou pour être réparé, ACM et son prestataire se renvoient la balle », explique-t-elle.
Un document signé du service d’hygiène de la mairie du 3 janvier 2023, que nous avons pu consulter, indique que l’habitabilité, le confort intérieur, l’équipement électrique, l’humidité et l’aération sont « non conformes. » « Deux mois plus tard, un agent est venu me fixer une barre d’aération sur la vitre donnant sur le balcon de la cuisine, et ils ont repeint par-dessus la moisissure, mais l’humidité est toujours présente. » Dans les toilettes, des tâches rosâtres apparaissent sur la peinture blanche. « La moisissure ressort », commente Vanessa.
En mars 2023, un certificat médical établi par le médecin de la famille indique que l’état de santé du fils de Vanessa, âgé de trois ans, et reconnu handicapé par la maison départementale des personnes handicapées, nécessitait « en urgence l’élimination de l’humidité dans son logement actuel ». « J’ai joint ce document à ma demande de relogement, mais depuis, rien. » En attendant, Vanessa fait quelques réparations elle-même, et dort dans son salon. « Je n’ai pas les moyens d’acheter tous les matériaux nécessaires, donc je fais comme je peux… »
ACM attaqué en justice
Autre histoire. En décembre 2019, Alice obtient un logement social ACM qui vient juste de sortir de terre, dans le quartier Ovalie, pour elle et ses quatre enfants. Un T4, qui était censé être livré en octobre 2019, mais qui a pris du retard à cause de la liquidation de l’entreprise qui menait les travaux. Dès le départ, elle remarque des fuites d’eau et des portes qui ferment mal. Elle écrit un premier courrier à ACM en mars 2020 pour décrire un « logement très sale ». S’ensuivront dix-sept courriers écrits entre 2020 et 2023, pour décrire l’évolution du logement et demander des solutions.
« Aujourd’hui, j’ai condamné la chambre de ma fille à cause des moisissures sur le mur. Il y a une fuite dans le couloir, j’ai souvent de l’eau. Quand il pleut, ça goutte dans ma cuisine, on met des seaux. Je ne peux pas mettre le chauffage sinon la condensation fait un effet piscine », raconte-t-elle attablée dans son salon en feuilletant le classeur qui consigne ses échanges avec son bailleur. En effet, des traces de gouttes sont visibles en hauteur, au-dessus de son évier.
En août 2022, elle envoie un courrier à ACM pour évoquer les moisissures dans la chambre de sa fille. Dans une réponse du bailleur, datée du 11 août, que nous avons pu consulter, il est écrit : « l’entreprise va prendre rendez-vous pour passer nettoyer la moisissure dans la chambre et procéder aux embellissements. » Selon elle, ils ne sont jamais venus. En tout cas, de la moisissure est encore visible sur le mur de ladite chambre.
Excédée, elle a fait appel à un avocat, maître David Guyon. Celui-ci a effectué une mise en demeure préalable d’ACM le 30 juin 2022 pour « manquement à l’obligation d’un logement décent, mauvaise foi et non-exécution de plusieurs obligations », en soulignant tous les défauts de l’appartement, photos à l’appui. Sur le document, on peut lire « moisissures, portes abimées, pièces manquantes, impacts sur la baie vitrée, trous dans les jointures, inondations, porte de chambre cassée… »
Début 2023, son avocat procède à une assignation du bailleur devant le juge des contentieux et de la protection. Dans ses écritures, il mentionne un « état des lieux sans contradictoire » et « concis », faisant état que « tout était neuf ». Alice, elle, affirme qu’elle a signé le bail avant de faire l’état des lieux. « Donc ACM dit que c’est de la responsabilité du locataire. » Un contrat de bail – que nous avons pu consulter – mentionnant d’ailleurs une adresse incorrecte. « J’habite rue du Pas du Loup, mais sur le bail, il y a écrit rue du passage du Loup, quand j’ai emménagé il n’y avait même pas encore le panneau avec le nom de la rue. Je m’en suis aperçu quand les courriers concernant mes comptes revenaient systématiquement à la banque. Ils m’ont appelé pour me demander mon adresse et c’est là que j’ai compris. »
L’avocat d’Alice a estimé que le préjudice de sa cliente s’élevait à 20 000 euros. Des audiences de mise en état (pour évaluer si l’affaire peut être jugée) ont déjà eu lieu, la prochaine se tiendra le 6 février.
Contacté, l’avocat David Guyon explique : « Voir ACM attaqué en justice est quelque chose d’assez rare, car ce sont des personnes très précaires qui vivent dans des logements sociaux, ils n’ont pas tous les moyens d’engager des frais de justice. »
Tous les témoignages que nous avons récoltés indiquent que les artisans envoyés par ACM pour faire des réparations ne produisent jamais de trace écrite de leur intervention. Et souvent, les locataires se plaignent que ces interventions sont faites « à la va-vite » et qu’elles ne résolvent pas le problème. « C’est un vrai problème probatoire, en cas de litige, c’est parole contre parole », réagit David Guyon.
Sébastien Alary, ancien militant du DAL (association qui milite pour le droit au logement), indique lui aussi que ce phénomène est récurrent, et évoque une possible solution. « Au lieu d’avoir une brigade du logement social [créé en octobre 2023 par le maire de Montpellier Michaël Delafosse, ndlr], il faudrait un retour des gardiens d’immeuble, pour remettre de l’humain dans les relations entre les locataires et le bailleur. Il pourrait faire remonter les problèmes que rencontrent les gens. »
Consultation en visio
Le 23 janvier, les locataires ACM étaient invités en visioconférence à la restitution d’une enquête de satisfaction menée par le bailleur. La Gazette de Montpellier du jeudi 25 janvier en faisait écho : « Selon ACM-Altémed, qui gère 21 000 appartements abritant 50 000 personnes, le taux de satisfaction des locataires, mesuré en interne, serait passé en trois ans de 51 à 71 % ». Les personnes que nous avons rencontré affirment quant à elles ne pas avoir reçu de questionnaire de satisfaction, seulement un questionnaire de recensement.
Contacté, Michel Calvo, président d’ACM Habitat et adjoint à la municipalité de Montpellier a confirmé l’affaire : « Nous avons bien un contentieux avec une famille dans ce secteur [d’Ovalie], dossier qui fait l’objet d’un mémoire en défense d’un de nos avocats. Vous n’ignorez pas que des lors qu’un dossier part en contentieux, il est conseillé aux parties de ne pas multiplier les commentaires. Nous ne commenterons donc ni notre défense, ni les demandes de la famille. »
Nos questions sur les délais d’interventions des artisans et de l’absence de trace écrite des travaux effectués n’ont cependant pas fait l’objet de réponses.
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