Garde à vue : c’est en ouvrant la bouche que les poissons se font attraper !

Le Poing Publié le 28 janvier 2019 à 15:37 (mis à jour le 26 février 2019 à 15:40)
Quelques questions au sujet du « droit au silence » en garde à vue

Durant les mouvements sociaux, il est courant que des personnes n’ayant aucune connaissance du système judiciaire et se considérant légitimement comme innocentes soient interpellées et placées en garde à vue (GAV). Il apparaît aujourd’hui important de mieux connaître ce type de situation pour que chacun puisse sereinement s’y préparer si besoin. Nous avons donc demandé quelques précisions utiles à une membre de l’assemblée générale contre les violences d’Etat et pour les libertés…

Bonsoir, pouvez-vous définir ce que vous entendez par « droit au silence » ?

Depuis peu, la loi française a intégré le droit au silence pour les personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions, en garde à vue, au déferrement, devant le juge d’instruction et devant le tribunal correctionnel. Une audition en garde à vue est donc supposée commencer par la phrase : « Vous avez le droit de garder le silence, de faire des déclarations spontanées ou de répondre à mes questions ». Si les policiers omettent souvent de rappeler ce droit, ils font en tout état de cause tout ce qu’ils peuvent pour que les gardés à vue ne l’utilisent pas.

Pourquoi une telle défiance des policiers pour ce droit au silence ?

Parce qu’en France la culture de l’enquête policière est celle de l’aveu et non celle de la preuve. C’est-à-dire qu’il est quand même beaucoup plus simple, moins cher, et plus rapide d’obtenir des aveux que d’aller s’emmerder à rechercher des preuves, surtout quand les placements en garde à vue se font sur la base d’une simple présence en manifestation.

Pourquoi alors conseille-t-on de se taire ?

Lorsqu’une personne est placée en garde à vue, elle n’a pas accès aux éléments du dossier qui sont supposés justifier qu’on la soupçonne d’avoir commis un délit. Ni elle, ni son avocat, qui ne peut consulter que le procès-verbal de notification des droits, les certificats médicaux s’il y en a et les procès-verbaux des auditions précédentes s’il intervient en cours de garde à vue. Ils n’ont donc pas connaissance des éléments principaux du dossier. On est donc dans le cadre d’une procédure profondément déloyale : la personne placée en garde à vue ne sait absolument pas quelles sont les preuves qui ont conduits à son placement en garde à vue. Peut-être qu’il n’y a absolument rien dans le dossier, peut-être qu’il y a des éléments accablants. C’est la raison pour laquelle s’il n’y a rien, il vaut mieux ne pas s’auto-incriminer et donner aux policiers les éléments permettant ensuite au procureur de poursuivre.

Alors la garde à vue se fait vraiment au détriment de la personne gardée à vue, quels que soient les faits qu’on lui reproche…

La garde à vue c’est un peu un jeu de poker où seule la police connaît les cartes : le policier va bluffer pour apprendre des choses, parler parfois de preuves qui n’existent pas, faire croire que si on avoue on sort directement de garde à vue, etc… Cela peut être tentant de se mettre à table quand on a mal dormi, qu’on a froid et qu’on a peu mangé. Ainsi, le droit au silence c’est avant tout le droit de ne pas s’auto-incriminer. La version américaine de notification des droits est plus lisible : « vous avez le droit de garder le silence, tout ce que vous direz sera retenu contre vous ».

Comment ça, « retenu contre vous » ?

Ça veut bien dire que le moindre aveu servira de fondement à l’accusation. C’est la même chose en France. Tout aveu peut permettre de faire comparaître quelqu’un devant un tribunal pénal. Ce qui n’est pas évident, c’est que quand on est au commissariat, il n’est pas facile de résister aux pressions des policiers, voire d’un avocat peu scrupuleux qui aura conseillé de « tout dire ».

Y a-t-il tout de même des choses qu’il est possible de dire sans se mettre en danger ?

Pour faire la part des choses, il y a des choses que le gardé à vue peut dire sans que ça ne se retourne contre lui : Il est important d’évoquer ce qu’on appelle les éléments de personnalité pouvant prouver une stabilité sociale, dès le stade de la garde à vue : c’est-à-dire parler de sa situation professionnelle, familiale… Si on est sûr d’être victime d’une erreur judiciaire, il est important de contester en bloc les faits reprochés. Si on est blessé, que l’interpellation a été violente, qu’il y a eu des mauvais traitements, il faut aussi que ce soit dit. Demander à voir un médecin pour faire constater d’éventuelles violences ou simplement pour sortir un peu de cellule est un droit. Pour le reste, c’est-à-dire tout ce qui peut être bancal, il vaut mieux ne pas en parler ou refuser de répondre aux questions. Le gardé à vue peut évoquer sa fatigue, ses craintes, pour esquiver les questions.

Quelle est l’importance du procès-verbal en GAV ?

Le circuit d’un dossier pénal est le suivant : quand la personne est en garde à vue, c’est le procureur qui, contacté régulièrement par les policiers, décide des suites du dossier. Les procès-verbaux d’audition font partie des documents qu’il va lire en premier. La première question que se pose un procureur c’est : « est-ce que la personne reconnaît les faits qui lui sont reprochés ? » Il ne se pose pas cette question « parce que faute avouée, faute à moitié pardonnée », mais parce que si l’infraction est reconnue, il va nécessairement envisager des suites pénales plus ou moins graves (comparution préalable sur reconnaissance de culpabilité, convocation par officier de police judiciaire, convocation par procureur de la République, comparution immédiate, ouverture d’information).

Et si l’infraction n’est pas reconnue ?

Au contraire, si l’infraction est contestée, il va devoir examiner s’il y a suffisamment d’éléments à côté pour poursuivre (photos, vidéos, témoins, téléphone…). Si tel n’est pas le cas, son accusation est alors fragile et il peut envisager de classer sans suite, ce qui veut dire que la GAV n’aura pas de suites judiciaires. En cas de poursuite, et une fois devant le tribunal, les magistrats vont avoir le même raisonnement : ils vont regarder en premier lieu les procès-verbaux d’audition pour voir si les faits sont reconnus. Si c’est le cas le tribunal ne pourra que condamner. Si les faits sont contestés et que les preuves dans le dossier sont insuffisantes, le tribunal pourra envisager une relaxe, ce qui veut dire que la personne est reconnue innocente.

Et après la GAV ?

Après la GAV, la personne et son avocat ont enfin accès au dossier de procédure (cet accès doit être effectif avant toute présentation au procureur dans le cadre du déferrement, du juge d’instruction en cas d’ouverture d’information). La défense peut véritablement se préparer. Pour cela il est fortement conseillé de demander un délai pour préparer sa défense si on est présenté en comparution immédiate (il s’agit de la première question posée par le juge : « acceptez-vous la comparution immédiate ? »). Le tribunal correctionnel a le pouvoir de placer en détention provisoire pendant 6 semaines maximum (c’est plus long pour les délits les plus graves) dans l’attente de la nouvelle audience. C’est là qu’intervient l’importance des éléments de personnalité. Les personnes présentées en comparution immédiate voient obligatoirement une assistante sociale qui est supposée vérifier ces éléments de personnalité mais elle a seulement quelques heures pour le faire et cela suppose que le prévenu connaisse par cœur le numéro de téléphone de son patron, de sa femme, de son mari… Bref, l’enquête sociale est toujours faite à l’arrache. Si la personne fait état d’éléments de personnalité qui pourrait permettre de justifier un contrôle judiciaire plutôt qu’une détention provisoire (travail, scolarité, suivi social, famille…) dès son audition de garde à vue fait, cela pourra être exploité par l’avocat qui plaide le contrôle judiciaire. Si la personne a des documents justificatifs de sa situation durant sa fouille (ce qui était dans le sac ou les poches lors de l’interpellation), comme une feuille de paye, il ne faut pas oublier de le dire à l’avocat qui demandera à ce que ce soit sorti de la fouille pour être remis au magistrat.

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