Germinal tombe la chemise !
« Chez Maigrat, nom de Dieu ! Il y a du pain là-dedans. Foutons la baraque à Maigrat par terre ! » (Emile Zola)
C’était un jour d’automne. Ils espéraient naïvement initier avec lui un salutaire dialogue. Mais d’une voix horriblement douce, il déclara : « On n’est pas habilités, on n’est pas habilités. » Estimant avoir dispensé suffisamment de mépris, il tourna ensuite le dos aux humeurs grouillantes de la plèbe. Ses intonations paternalistes et son assurance tranquille achevèrent d’attiser la colère. Une rancœur tenace était née.
« La bande venait d’apercevoir Maigrat, sur la toiture du hangar. »
Après des années de stériles promenades derrière les camions à merguez des syndicats, un homme n’eût d’autre choix que de retenir le fuyard par sa chemise pour conserver une once de dignité. Le service de sécurité, naturellement dépourvu des facultés intellectuelles les plus élémentaires, tenta de couvrir la retraite de Monsieur le Directeur des Ressources humaines, sans réaliser que la rancœur pourrait soudain se muer en une colère froide. Ce qui ne manqua pas d’arriver. Une voix lâcha un mot d’ordre coquin, repris en coeur : « À poil ! ». La chemise était perdue.
« Et, brusquement, ses deux mains lâchèrent à la fois, il roula comme une boule, sursauta à la gouttière, tomba en travers du mur mitoyen, si malheureusement, qu’il rebondit du côté de la route, où il s’ouvrit le crâne, à l’angle d’une borne. La cervelle avait jailli. Il était mort. »
Surpris par « la violence » de la scène, un délégué syndical déclara qu’il s’en était fallu de peu pour éviter le pire. Pourtant, l’insolent, bien que bousculé, n’avait pas reçu le moindre coup, et s’en était finalement tiré avec une belle frayeur et de modiques frais réels de « vêtements spécifiques à la profession exercée ». Dans les chaumières, on s’étonna de cette retenue. Quel courage il fallait pour rester calme quand tout pouvait basculer !
« Mais les femmes avaient à tirer de lui d’autres vengeances. Elles tournaient en le flairant, pareilles à des louves. Toutes cherchaient un outrage, une sauvagerie qui les soulageât. »
Le soir même, une foultitude de politiques se hâtèrent d’étaler leur délicate indignation. Issus de la même fourmilière et si prompts à la surenchère, les médias se surpassèrent. La performance du Playmobil officiant sur France 2 fût remarquable, ce dernier allant jusqu’à se faire passer pour un auxiliaire de police. Les journaux, si habiles quand il s’agit de taire la violence de milliers de licenciements, dénoncèrent à l’unisson l’inacceptable agression contre le costume d’une âme d’exception. Le Prince demanda de « lourdes sanctions » après des « actes intolérables ». L’inquiétude semblait gagner les couloirs des palais.
« Déjà, la Mouquette le déculottait, tirait le pantalon, tandis que la Levaque soulevait les jambes. Et la Brûlé, de ses mains sèches de vieille, écarta les cuisses nues, empoigna cette virilité morte. Elle tenait tout, arrachant, dans un effort qui tendait sa maigre échine et faisait craquer ses grands bras. Les peaux molles résistaient, elle dut s’y reprendre, elle finit par emporter le lambeau, un paquet de chair velue et sanglante, qu’elle agita, avec un rire de triomphe. »
Dans nos quartiers, les audacieux n’inspiraient que sympathie et solidarité. Une barricade n’a que deux côtés. Nous le savions. Nous n’attendions plus rien des révolutions, son temps s’était éteint. Celui des révoltes, le temps des jacqueries joyeuses et des frondes terribles, était venu. Le temps des têtes au bout des piques et des paires de couilles hissées vers le ciel. Les visages bien élevés de nos élites n’avaient pas fini de blêmir.
« Cette plaisanterie les secoua d’une gaieté terrible. (…) La Brûlé, alors, planta tout le paquet au bout de son bâton ; et, le portant en l’air, le promenant ainsi qu’un drapeau, elle se lança sur la route, suivie de la débandade hurlante des femmes. Des gouttes de sang pleuvaient, cette chair lamentable pensait, comme un déchet de viande à l’étal d’un boucher. »
On nous avait vendu la fin de l’histoire, on s’était réfugié dans la littérature. Et dans les heures sombres qui se profilaient, Germinal éclairerait notre route.
Jack Alanda (Le Poing, n°20)
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