Artistes en temps de guerre : À Montpellier, la réflexion s’organise
Dans le cadre de la manifestation « dansePlatForma 23 – danse contemporaine Europe de l’ Est », une mobilisation de la danse contemporaine pour la paix, une table ronde s’est tenue, le jeudi 26 Janvier dans l’après midi, à la Panacée, en présence d’artistes russes dissident.e .s , polonais.e.s et ukrainiens. Une trentaine de personnes ont participé à ce temps de réflexion à partir des témoignages des artistes sur leur situation récente, des deux côtés du conflit. Un pari risqué, tant la situation peut-être douloureuse, voire explosive.
« Cette seconde édition se déroule dans les conditions de la guerre en Ukraine. Si on prend en compte que j’ai des racines russo-ukrainiennes, je pensais que je devais réagir, rebondir avec la danse. Poursuivre le dialogue auprès d’artistes russes dissidents pour certains artistes ukrainiens est impossible parce que cela est trop douloureux. Cette édition a été très périlleuse à mettre en place, nous avons dû même supprimé les artistes russes de la programmation et de l’affiche. » confiait Mitia Fedotenko, chorégraphe et co-directeur de l’évènement dansePlatForma.
Artistes en exil
La rencontre proposée était animée par Judith Depaule, directrice de l’atelier, « Des artistes en exil », crée en 2015 lors du conflit en Syrie. La question du déplacement est au centre de leur réflexion, que ce soit le déplacement des artistes arraché.e.s à leur pays, celui du public qui vient voir ou celui du regard qui sera déplacé après ce qu’il a vu, peut-être ?
La première partie était en lien par visio conférence en direct de Moscou avec Svetlana Polskaya, à la tête du magazine « Dozado », pour dresser un état des lieux des compagnies, des théâtres, de l’ambiance culturelle en Russie. « Beaucoup d’artistes éminents sont partis dès le mois de Février mais des évènements culturels continuent malgré des nouvelles lois très restrictives ; notamment celles sur les fausses informations… Mais rien ne se verbalise, il n’y a pas de discussion publique, tout se dit sur les réseaux sociaux, considérés comme extrémistes dissidents. D’un côté, partir est considéré comme un privilège quand on peut conserver son activité, de l’autre, il faudrait suspendre toute activité en Russie car c’est inadmissible de travailler quand les gens meurent…
Comment “déplanter les graines de la haine”, (projet artistique en cours) et dépasser une opinion négative sur un pays, opinion qui ne ferait pas la différence entre le chef d’état de ce pays et les citoyen.ne.s de ce pays. Comment ne pas pratiquer une culture de l’effacemen,t sachant aussi que la censure est une chose qui vient de loin historiquement en Russie : les comités qui se réunissaient avant chaque spectacle pour décider de l’accord à valider, l’artiste d’état. Aujourd’hui, pour les artistes russes dissidents c’est la rupture totale et le danger pèse sur leur personne. »
Des artistes polonais de Cracovie, ville proche de l’ Ukraine, expliquaient à leur tour que la perspective russe n’existe pas en Pologne, et qu’il y a eu un coup d’arrêt à toute nouvelle coopération depuis la guerre. Peu de pays ont accueilli les artistes russes dissident.e.s : la Lituanie au début, l’ Allemagne, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, l’ Arménie et ceux qui ont demandé l’asile en France l’ont obtenu. Mais la Pologne a accueilli 4 millions de réfugié.e.s ukrainien.ne.s.
En temps de guerre comme ailleurs, l’art est politique
Surtout, cette rencontre a mis le doigt sur la difficulté à parler de la guerre. Mais comment éviter le sujet alors que le conflit est là tout le temps et qu’il déchire les familles ? Peut on défendre l’idée de s’exprimer simplement en tant qu’être humain, ne vaut il pas mieux se dire que chacun.e de nous a une part sombre et qu’il faut l’accepter, la regarder pour ne pas s’y dissoudre ?
La parole des artistes ukrainiens a souligné que beaucoup de ceux et celles qui sont resté.e.s là-bas ont cessé leur activité pour faire de l’humanitaire et participer à l’effort de guerre ; d’ailleurs les bénévoles, qui sont des volontaires, ont un salaire.
Dmytro Grynov et Denys Zhdanov artistes ukrainien.ne.s qui se sont exilé.e.s et qui continuent à travailler en France et en Allemagne racontent : « C’était d’abord la confusion, la submersion, la panique, car c’est la communauté d’où l’on vient, mais si l’art est constructif, il a la responsabilité d’informer de raconter, car le traumatisme efface les souvenirs donc nous devons aller dans les détails des témoignages sur le moment, c’est une obligation, notre mission.
Nous devons travailler le choc avec les corps, représenter celles et ceux qui n’ont plus de voix, vivre avec la réalité de l’ Ukraine, une histoire de traumatismes. Se détourner d’un pays, d’une langue, c’est la pente du nationalisme et de la haine : je suis mon pays et je n’ai pas à être jugé là-dessus ! Peut on interroger la relation entre l’Ukraine et la Russie comme une relation toxique, sur la question de l’indépendance et des libertés ? »
Ces paroles, ces témoignages, cette rencontre, ont mis la lumière sur la place de la culture et de l’artistique comme relevant du politique dans une société. L’art est politique, le considérer au dessus de la vie sociale relève d’une vision passéiste, idéaliste et angélique, et parfois le boycott culturel peut être à l’ordre du jour…
Si l’art ne vise pas à transformer le monde, à l’améliorer, est ce encore de l’art ? Comme le dit la chorégraphe Maguy Marin « le pouvoir de l’art c’est de faire du commun, du vivre ensemble ! »
Spectacles, Performances dans l’espace public, Installations vidéos, Studios ouverts et Rencontres avec les artistes ont accompagné cette semaine du mouvement artistique entre l’Ouest et l’ Est.
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