“Hold-Up” : une analyse politique du complotisme
En 2020, le complot, ça fait vendre. Il n’y a qu’à voir le récent succès du rappeur Freeze Corleone, qui surfe sur les histoires de pédophiles satanistes et de nouvel ordre mondial pour se dire que le climat est propice à ce genre d’affabulations. Et pour cause, la pandémie de COVID-19 et son atmosphère anxiogène laissent aux imaginations les plus débridées l’espace pour voir des conspirations partout.
Depuis quelques jours, un “documentaire” provoque des émules sur les réseaux sociaux et hérisse le poil des journalistes. En effet, “HoldUp”, se présente comme une série de révélations au sujet de l’épidémie de COVID-19. Très attendue, la production avait récolté plusieurs centaines de milliers d’euros en financement participatif.
Si on devait pitcher le film, on dirait qu’en réalité, le COVID est un virus fabriqué en laboratoire par les élites (Bill Gates et Rockfeller en tête) pour implanter des cryptomonnaies fonctionnant grâce à la 5G dans nos corps par le biais des vaccins. Tout serait prévu pour créer “the great reset”, à savoir un nouveau gouvernement mondial dont nous serions tous esclaves (rien que ça).
De nombreuses rédactions ont commencé à sortir des articles de fact-checking pour démonter les contre-vérités présentées dans le film (Libération, Le Huffpost, France Info, Le Parisien, Le Monde). Au Poing, on s’interroge surtout sur la construction du discours tenu par le film et ce qu’il veut dire en creux. Qui sont les gens qui ont contribué à réaliser ce film ? Comment le propos est amené, et pourquoi on pourrait y croire ? Et surtout, quel propos politique sous-tend le film ? Le Poing vous propose un voyage au pays des conspi’ aux fort penchants de droite.
Le casting du film : gratin de la complosphère française
Avant de s’intéresser au propos tenu par le film, il parait important de dresser le pedigree des réalisateurs et des intervenants :derrière la production on retrouve Nicolas Réoutsky, producteur du film Thanatos, l’ultime passage, qui raconte l’expérience de gens qui auraient vu l’au-delà. Son collègue Pierre Barnérias, le réalisateur est lui aussi porté sur le mysticisme : il a réalisé M et le troisième secret, une “enquête” sur des apparitions de la Vierge Marie.
Les deux comparses savent bien s’entourer : dans “Hold-up”, on retrouve une grande partie de la complosphère française : des cathos tradis d’extrême-droite tendance Civitas, créationnistes anti-avortement (Alexandra Henrion-Caude et Valérie Bugault, intervenante du média d’extrême droite TV Libertés), Silvano Trotta , un Youtubeur pro-Trump qui explique que la lune est artificielle, ou l’avocat souverainiste Régis de Castelnau, accusé de complicité de trafic d’influence.
On trouve également dans ce film la nébuleuse qui gravite autour de France Soir (ancien journal devenu une plateforme alimentée par des bénévoles) et qui sont membres de l’association BonSens, un «lobby citoyen», fondée par l’ex-députée LREM Martine Wooner, très critique de la crise sanitaire et qui a relayé beaucoup de fake-news sur l’épidémie de COVID-19.
Le film rassemble aussi une flopée de pseudo-experts aux CV entachés ou aux diplômes falsifiés, avec Christian Perronne en tête de file. Ce chef du service maladies infectieuses à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, partisan de Didier Raoult et de son protocole s’est fait connaître pour ses thèses controversées sur l’origine de la maladie de Lyme (qui serait due à une prolifération cachée de tiques modifiées par un chercheur nazi).
On peut également évoquer Luc Montagnier, professeur et directeur du Centre de biologie moléculaire et cellulaire au Queens College de l’université de la ville New York, avant de prendre la direction d’un institut de recherche à l’université Jiao-tong de Shanghai. Depuis la fin des années 2000, il multiplie les prises de positions sans rapport avec les connaissances en biologie et en médecine et dépourvues de tout fondement scientifique. Il défend notamment les théories de la « mémoire de l’eau » de Jacques Benveniste, de la téléportation de l’ADN et prend position contre les vaccins.
En plus de ces médecins très contestés, plusieurs “experts” de pseudo-sciences, tous septiques au sujet des vaccins : les naturopathes Miguel Barthéléry et Astrid Stuckelberger, l’homéopathe Edouard Broussalian…Mention spéciale à Jean Dominique Michel, “anthropologue” sans diplôme, et à Nadine Touzeau, “profiler” qui pratique la Physiognomonie. Pour rappel, la physiognomonie connut son essor au XIXe siècle, en particulier avec les thèses du criminologue Cesare Lombroso, portées dans son ouvrage L’Homme criminel (ce qui vaut encore à cette théorie d’être parfois appelée le lombrosianisme). Cette théorie permit notamment l’avènement d’une école positiviste italienne, qui visait à mettre la science au service de l’ordre social .Cette théorie a été profondément critiquée par le corps médical, des philosophes, ainsi que par des juristes. Dénuée de méthodologie scientifique, cette pseudo-science est, d’après ces critiques, un élément du mouvement de racisme scientifique qui s’est développé au cours du XIXe siècle, et du nazisme.
Seule “erreur de casting”, Monique-Pinçon-Charlot, sociologue nettement marquée à gauche, qui s’est depuis désolidarisée des propos du film. (elle y tient quand même un propos très problématique, nous y reviendrons).
Donc si on résume, ce documentaire est un melting pot de cathos-tradi d’extrême droite anti-science, de pseudo-experts anti-vaccins et de complotistes aux idées elles aussi très à droite. On ne peut à ce stade que douter de la légitimité du discours tenu par cette joyeuse clique, et pourtant…
« Y a des choses fausses, mais y a aussi du vrai, non ? »
Cette phrase récurrente sur les réseaux sociaux, sans le savoir, synthétise parfaitement la mécanique du complotisme. Utiliser des choses vraies, ou vaguement vraies, des statistiques souvent sorties de leur contexte ou extrapolées, des figures plus ou moins reconnues (ministre, prix Nobel de telle ou telle discipline, ce qui n’a jamais empêché quiconque de dire des âneries), etc.
En effet, une partie des constats présentés dans « Hold-Up » sont justes. Les décisions des gouvernements sont parfois arbitraires, souvent incohérentes, et découlent de la logique propre à ces dirigeants : celle d’administrer le capitalisme, c’est-à-dire de valoriser les propriétaires et d’exploiter les travailleurs. D’où l’autoritarisme et l’apparente incohérence qui, si on se donne la peine de l’analyser de plus près, n’est pas si incohérente que ça. Il s’agit de la préservation illusoire de « l’économie », perçue par nos dirigeants comme une abstraction séparée de la société.
On dirait parfois que les auteurs du documentaire, et les personnes qu’ils interrogent, redécouvrent l’eau tiède. Oui, les gouvernements mentent et dissimulent. Il suffit de regarder le passé récent pour s’en rendre compte : Lubrizol, la pollution de la Seine au plomb après l’incendie de Notre-Dame, ou, un peu moins récemment, les prétendues armes de destruction massive en Irak ou encore le nuage de Tchernobyl. A la fois pour maintenir l’ordre, comme ils disent, se défausser de leurs responsabilités et échapper au discrédit, les dirigeants mentent, et mentent grossièrement, d’autant plus à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux où tout est vérifiable. Dommage que certains débusquent ces mensonges pour aussitôt nous resservir un discours trompeur, comme c’est le cas ici.
Ce qui frappe immédiatement au visionnage de ce documentaire prétendument iconoclaste, c’est le manque de « fraîcheur », de nouveauté, de la plupart des théories qu’il avance. Le mythe de l’efficacité de l’hydroxychloroquine, le faux scandale du Rivotril ou des tests PCR… Tous ces sujets mis sur le tapis depuis l’hiver dernier ont maintes fois été rigoureusement traités par des spécialistes de ces questions. Mais dans le monde merveilleux des « faits alternatifs », si chers à Donald Trump, les voilà qui renaissent et prospèrent.
Le Poing n’ayant pas vocation à faire du « débunkage » mais de l’analyse politique, nous nous contenterons de renvoyer le lecteur vers quelques sources, notamment des threads de Samuel Alexander, docteur en biologie bien connu (et jusque-là apprécié) des Gilets jaunes pour ses recherches sur la dangerosité des gaz lacrymogènes.
Incohérences et révélations farfelues
Même sans grandes connaissances scientifiques, il est facile de comprendre à quel point les « révélations » de ce documentaire sont au mieux farfelues, souvent dangereuses. Par exemple, l’une des preuves avancées pour expliquer que la pandémie actuelle a été fabriquée de toutes pièces, c’est que plusieurs scientifiques et politiques avaient annoncé par avance l’actuelle deuxième vague. « Hold-Up » sous-entend qu’il s’agit donc d’une construction machiavélique, organisée depuis des années, en s’appuyant notamment sur des simulations bâties pour l’OMS dans les années 2000 pour se préparer à de futures épidémies (le gouvernement Français en avait en outre fait de même, avant de liquider, pour des raisons budgétaires, tous les éléments de son « plan pandémie »). Il suffisait pourtant de se repencher sur l’histoire de la mal-nommée « grippe espagnole » du siècle dernier pour comprendre qu’une deuxième vague, et même une troisième et une quatrième, étaient, sinon inéluctables, au moins fort probables.
De manière surprenante, le documentaire aligne, contre le port du masque, une série d’arguments que ne renierait pas Sibeth Ndiaye, notamment sur leur mauvaise utilisation qui engendrerait de nouvelles contaminations, d’autant que beaucoup réutilisent des masques qu’ils auraient dû jeter à la poubelle. Certes, mais au lieu d’en tirer la conclusion qu’il ne faut donc pas porter le masque, les auteurs de « Hold-Up » pourraient plaider pour leur gratuité, afin de garantir qu’ils ne soient pas réutilisés, et pour une meilleure pédagogie sur la façon de les porter. Il est clair que les masques n’empêchent pas la transmission du virus, mais, ajoutés à d’autres gestes-barrières, ils permettent d’enrayer la diffusion de l’épidémie. Une utilisation raisonnée de cet outil est donc possible, en le cantonnant aux personnes symptomatiques et aux lieux publics fermés par exemple.
Le cas Raoult
Très présent dans le documentaire, le cas du Professeur Raoult mérite qu’on s’y arrête. Ce dernier serait un homme dévoué et héroïque qui se battrait, quasiment seul, contre l’horrible « Big Pharma ». Quand bien-même il a fait sa carrière entière grâce à Big Pharma (notamment Sanofi) et a été et est toujours soutenu par une grande partie du monde politique, surtout de droite (Douste-Blazy, Muselier, Estrosi…). Il a même reçu la visite de Macron et l’approbation, plus mesurée, de Mélenchon. L’antisystème logé, nourri, choyé au cœur de celui-ci aurait donc un remède miracle à sa portée. Etrangement, ce médicament, utilisé selon Raoult et ses aficionados par plus de la moitié de la planète pour traiter le Covid-19, n’a aucune étude rigoureuse à présenter pour faire la preuve de son efficacité. Les seules qui s’y risquent se trouvent dans des revues prédatrices, où il suffit d’aligner les biftons pour être publié.
Mais sans revenir sur la controverse médicale en elle-même, un élément du discours de Raoult et de ses groupies interroge l’esprit. D’un côté, le druide marseillais affirme que le Covid est une « grippette » sans grand danger, qu’il ne sert à rien d’en faire tout un foin. Elle passera d’elle-même. En un sens, on pourrait lui donner raison : hormis dans ses formes graves, le Covid-19 se traite avec du doliprane et quelques jours de repos (bien que les séquelles qu’il laisse soient encore en partie inconnues). Mais, d’un autre côté, Raoult explique que s’il n’a pas conduit de protocole en double-aveugle rigoureux pour démontrer l’efficacité de sa potion, c’est qu’en période d’épidémie, on n’a pas le temps d’attendre. Des gens meurent, il faut agir ! Curieux, non ? La grippette n’est pas assez grave pour s’inquiéter, mais trop grave pour respecter les formes et les traditions de l’épidémiologie. Le documentaire s’enfonce lui aussi dans ce même double-discours : l’épidémie est à la fois bénigne, voire imaginaire, et en même temps un nouvel holocauste, rien que ça !
Avec la chloroquine, « Hold-Up » ouvre une porte dangereuse, en partant d’un élément bien réel : les études médicales, même dans les revues reconnues, sont de plus en plus sujettes à caution, et depuis longtemps critiquées par des consciences de la profession, comme en atteste l’épisode rocambolesque de l’étude du Lancet, évoquée avec gourmandise dans le film. Mais la réponse apportée par le documentaire, fidèle à celle de Raoult, consiste à s’affranchir de toute rigueur et de nier l’intérêt des protocoles en double-aveugle ou des relectures par des pairs pour s’en remettre à l’autorité de tel ou tel, aux sentiments et aux sondages (dont Raoult raffole).
L’émergence de personnages comme Raoult, dans une période d’incertitude et de chaos, est de nature à déstabiliser durablement nos sociétés, et le documentaire « Hold-Up » en est une conséquence directe. Celui-ci a offert une histoire alternative de l’épidémie, et de nombreuses personnes s’y sont engouffrées, car le récit officiel était trop incertain et trop déprimant. Mieux vaut un bon complot machiavélique qu’un enchevêtrement de décisions plus ou moins autoritaires doublées souvent d’une incompétence crasse.
La responsabilité des “élites”
Il nous faut ajouter que les mal-nommées « élites », en pleine « crétinisation » collective selon le mot d’Emmanuel Todd, n’aident pas beaucoup à diffuser des positions claires et nuancées. On l’a dit, la classe dominante est là au titre d’un projet de société particulier, fondé sur la propriété privée des moyens de production et l’exploitation de l’homme et de la nature par une poignée de profiteurs. Ces « établis » (plus que des élites, les gouvernants forment un « établissement », c’est-à-dire qu’ils ont acquis des positions dans l’appareil d’Etat, productif et médiatique et exercent leur pouvoir depuis elles) ont en outre la sale manie d’être eux-mêmes complotistes. Il n’est pas rare de voir, par exemple, un fondé de pouvoir affirmer dans la presse que, derrière telle ou telle mobilisation sociale (comme les Gilets jaunes), c’est la main du gouvernement russe, ou d’un obscur groupe d’influence, qui agit.
Mais au-delà de ces délires fréquemment diffusés à des heures de grande écoute, le pouvoir le plus important aux mains de ces établis, notamment journalistiques, réside dans leur capacité à invisibiliser des sujets (les violences policières, notamment dans les quartiers, les souffrances des personnels soignants et enseignants, etc.) pour ne servir que la soupe gouvernementale, en boucle et sans distance critique. La propagande gouvernementale est relayée sans ciller, même quand les mensonges crèvent les yeux.
Quant aux journalistes d’investigation, qui travaillent par exemple sur les liens entre les pouvoirs et l’industrie pharmaceutique, ils sont peu audibles. De fait, les grands médias laissent un vide dans le débat et créent le malaise. Quelque chose n’est pas dit, de toute évidence. La nature ayant horreur du vide, c’est là que surgissent les opportunistes.
Les médias mainstream sont d’ailleurs largement responsables de l’émergence de personnages comme Didier Raoult, à qui ils accordent énormément de temps d’antenne en les plaçant généralement face à des « contradicteurs » hors de leur spécialité, incapables de leur donner la réplique. Dans une seule logique : faire de l’audience, quitte à contribuer à diffuser des discours dangereux et mensongers.
Il est enfin important de rappeler que le débat médical et scientifique ne peut pas être mené à la schlague, et il est normal que des citoyens fassent entendre leurs préoccupations sur tel ou tel sujet. Il ne sert à rien d’y répondre de manière dogmatique. Un des principaux problèmes du moment réside dans la difficulté à mener un débat audible, nuancé, qui accepte des opinions discordantes.
“A qui profite le crime ?” Un discours qui penche bien à droite
Derrière le propos critique envers les multinationales véreuses et les Etats autoritaires qui ne pensent qu’à s’enrichir dans une mondialisation effrénée, on pourrait presque y trouver une analyse anticapitaliste. Mais celle ci est plus romantique que matérialiste, et se base sur des abstractions métaphysiques niant toute la complexité des systèmes de dominations (c’est : élites contre les pauvres gens, le peuple éclairé contre une oligarchie corrompue). Et si on pousse l’analyse du discours plus loin, on y retrouve tous les éléments centraux des théories conspirationnistes d’extrême droite. Le raisonnement purement manichéen se poursuit dans une opposition claire entre science et nature : selon le film, le virus a été crée par l’homme -donc par la science-. C’est la nature qui nous a sauvé du virus car il serait lui-même devenu moins dangereux en mutant, se débarrassant des souches de malaria que l’institut pasteur lui aurait inoculé (ouioui, tout à fait, on a plus qu’à remercier le bon dieu de nous avoir sauvé la mise).
Même chose pour la critique de la 5G ou du transhumanisme : ce n’est ni l’impact environnemental que ces technologies pourraient avoir ou la question de qui possède les moyens de productions qui gênent les intervenants du film (questions qu’il faudrait pourtant se poser). La critique porte essentiellement sur une utilisation fantasmée de ces technologies qui seraient en rupture avec une éthique religieuse. Ce discours anti-science récurrent dans l’extrême droite se double d’un autre aspect bien connu des conspi de la fachosphère : le complot juif. En effet, Rockfeller et la CIA -cités comme acteurs du “great reset” dans le film- sont des cibles qui reviennent souvent dans les théories du complot dont la thèse est que les juifs sont une élite qui dominent le monde en secret. (On retrouve également cette rhétorique chez Soral, Dieudonné, ou plus récemment chez le rappeur Freeze Corleone que nous citions en introduction).
Là où le bat blesse, c’est quand des gens qu’on pense être des alliés viennent donner du crédit à ces thèses en comparant le COVID à l’holocauste (Oui Monique, on ne s’en remet pas). Ce discours produit un double effet : une minimisation du génocide juif au profit d’un autre, qui serait actuellement orchestré par nos élites (juives, du coup). Cet inversement des faits et des valeurs est au centre de la doctrine négationniste et néo-nazie. Attention, nous ne disons pas ici que Monique Pinçot-Charlot est une néo-nazie, mais cette assertion dans un film complotiste produit un discours qu’on peut clairement assimiler à de l’antisémitisme voilé.
Ne manquait à ça que des affabulations sur la pédophilie pour que le film réussisse à caser toute les fantasmes qui nourrissent les théories complotistes d’extrême-droite (les réseaux pédo-satanistes, c’est bien ça dont on parle ici).Quand une intervenante parle des effets néfastes du confinement elle évoque des chiffres surestimés sur les viols d’enfants en en évoquant “12 000 par jours”, soit près de 4 millions par ans. Or, les décomptes réalisés par des associations de protection de l’enfance parlent de 160 000 viols par an, bien que ces chiffres soient difficiles à établir.
Cette lubie de l’extrême droite pour la pédo-criminalité se retrouve récemment dans les théories et le mouvement Qanon. Né aux USA et importé en Europe pendant la crise du coronavirus, la thèse de cette théorie du complot serait que Donald Trump serait actuellement le dernier rempart contre un immense réseau pédo-sataniste contrôlé par la CIA et d’autres magnats de la finance et des nouvelles technologies (avec un fort relent de racisme et d’antisémitisme). Et Justement, Donald Trump est évoqué dans le film comme le seul qui n’adhérerait pas à la grande machination du“Great reset”. Bingo, ou plutôt… kamoulox.
En clair, ce film regorge de tous les éléments constituant la matrice de toutes les théories du complot d’extrême droite, Mais là où il fait fort, c’est que ces éléments sont savamment distillés au milieu de constats que partage tout un chacun. Pas étonnant, quand on se rappelle le pedigree des intervenants. Encore moins étonnant de voir l’Action française (groupuscule d’extrême droite royaliste et antisémite) partager la promo du film sur son site internet.
Un anticapitalisme qui s’ignore
Et pourtant, parfois, sous le complotisme (qui trouve plus de confort à s’imaginer un monde aux prises avec une élite dégénérée pédosataniste que de concevoir l’existence d’une bourgeoisie hors-sol qui pille et détruit la planète pour son propre compte et sabre le champagne en guettant l’apocalypse), affleure un discours anticapitaliste qui s’ignore. « Hold-Up » n’échappe pas à la règle, et s’il réinvente régulièrement l’eau tiède, il pourrait offrir à ses spectateurs quelques pistes plus fertiles que ses nombreux sous-entendus antisémites et la glorification de personnages loufoques.
Il pourrait par exemple signaler que le désastre que nous traversons actuellement est le fruit de dizaines d’années d’austérité. Que si la France n’avait pas bradé ses services publics, ses hôpitaux pourraient mieux faire face aux vagues de malades. Que nous avons besoin de personnels, dans les CHU, les écoles, les EHPAD, ainsi que de locaux et de moyens techniques pour affronter les épreuves diverses. Que la logique du flux tendu, de la tarification à l’acte, du moins-disant social est mortifère et proprement criminelle dans un pays aussi riche que le nôtre.
« Big Pharma », si souvent citée, n’est pourtant traitée que sous un angle quasi-mystique. On nous parle d’un monstre sans nom et sans visage aux multiples tentacules, qui gouverne déjà le monde en sous-main… Non ! Les actionnaires de l’industrie pharmaceutique ont des noms, des visages, des relais politiques. « Hold-Up » pourrait nous proposer de confisquer les brevets et les titres de propriété de ces grandes entreprises qui font de la maladie un business pour les mettre en gestion collective, plutôt que d’ouvrir des pistes absconses menant à des impasses. Rappelons qu’un Trump, érigé subtilement en héros par le documentaire, a largement accru le pouvoir et les bénéfices des grandes sociétés aux Etats-Unis en liquidant le peu d’impôts dont elles devaient s’acquitter et en supprimant toutes sortes de normes, notamment environnementales.
« Hold-Up » se vautre d’ailleurs allégrement dans le mythe du gouvernement mondial. Il serait absurde de nier qu’il existe, dans certains secteurs de la bourgeoisie, le fantasme de transcender toutes les frontières (commerciales) et de soumettre l’ensemble des travailleurs du monde à un joug unique, forme parfaitement aboutie de la division du travail. L’Union Européenne telle qu’elle est bâtie est une tentative allant dans cette direction. Or, il est clair que c’est un mirage. Les identités nationales et même régionales, les résistances étatiques (parfois égoïstes) à l’uniformisation et les multiples rivalités entre les pays y font nettement barrage. On ne gomme pas l’histoire d’un trait de plume, et celle du capitalisme est aussi traversée de luttes intestines pour la domination. Malheureusement, la réponse à ce genre de projets mortifères est bien souvent nationaliste et autoritaire, quand elle devrait être internationaliste et créatrice de possibles.
Voilà une réponse rationnelle aux dérives de nos dirigeants ! La démocratie réelle, active et directe, et l’autogestion populaire de tous les aspects de nos vies.
Pour conclure, qu’apporte un tel documentaire ? Que cherche-t-il à accomplir ? La réponse est évidente : faire du fric, avant toute chose. Il y a un business de la fausse dissidence, ouvert par des Soral et des Dieudonné. Ces flux de données, d’intervenants, de « on dit », nourrissent la confusion et, au fond, l’impuissance.
C’est un film qui désarme les gens, donc qui sert l’ordre social en place dans une sorte de fatalisme où tout est déjà joué d’avance. L’ennemi à abattre est trop opaque, trop puissant, trop ancré. Pourtant, à partir de certains constats justes apportés par « Hold-Up », il serait tout à fait possible, par une approche matérialiste, d’ouvrir une critique opérante. Cela nécessiterait évidemment une analyse concrète de la situation concrète, qui passe par la recherche des causes, aussi bien fortuites que structurelles (surtout structurelles), de la crise actuelle.
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