Interdiction du Carnaval antillais à Montpellier : un soupçon de racisme municipal ?

Le Poing Publié le 21 février 2025 à 18:36
Chaque année, le carnaval antillais de Montpellier rassemble des milliers de personnes, comme ici lors de l'édition 2020. (Photo de Virginie Ouhlen/DR)

Le carnaval antillais est-il aussi digne de compter parmi les traditions montpelliéraines que les processions de la Saint-Roch ? Cette question ahurissante, avec ses implicites racistes, apparaît clairement dans des propos tenus dans l’entourage de Michaël Delafosse. Officiellement on y soutient que seuls des problèmes de sécurité sur voirie, auraient conduit à interdire le “vidé” de ce samedi dans les rues de Montpellier

« Le carnaval antillais ne fait pas partie de la tradition de Montpellier » : cette citation tronquée figure dans la pétition (8 200 signatures, ce vendredi) qui proteste contre l’annulation du vidé, le populaire cortège carnavalesque antillais normalement prévu ce samedi. Elle est avancée comme ayant été donnée « par la mairie » pour « justifier cette interdiction ». C’est énorme. Mais c’est imprécis. Qui se trouve cité ainsi ? Ces matières sont si explosives qu’on ne peut se contenter de raccourcis, d’allusions, d’approximations.

Pour préparer son article paru jeudi à propos de cette affaire qui agite la ville, le journaliste du Poing a contacté Ludovic Adans, l’organisateur de cet événement. Cela via son numéro de téléphone figurant sur des documents officiels récents relatifs aux tractations en cours avec les autorités. Message laissé sur répondeur. Message laissé sans réponse depuis lors, de la part de cet organisateur. Sans possibilité de vérification, il a donc fallu s’en tenir à mentionner l’hyper-lien vers la pétition elle-même, dans l’article finalement publié. Sans plus d’insistance sur ce point.

Or voici une citation plus complète : « Le carnaval antillais ne fait pas partie des traditions de Montpellier, comme peut l’être la Saint-Roch. Le maire est défavorable à laisser à l’avenir un espace public pour ce type d’événement. » C’est beaucoup plus lourd de sens. Explicite. Et c’est grave. C’est dans La Gazette de Montpellier – n°1914, du 20 au 26 février 2025 – qu’on relève cette formulation. L’hebdomadaire indique : « En mars 2024, à l’issue du carnaval, un debrief s’est tenu entre organisateurs et mairie. Lors de cet échange dont nous avons écouté un enregistrement, un représentant de la Ville déclare [les propos rapportés ci-dessus|.

Les rapports de la Gazette de Montpellier avec tout pouvoir en place sont si connus (notamment pour capter les flux des budgets de communication) qu’on fait toute confiance à nos confrères pour que soit authentifié la citation qu’ils rapportent. Certes, à ce stade, on ne sait donc pas exactement qui est le « représentant de la Ville » cité. Mais, participant à cette réunion, celui-ci se sent en mesure de se prévaloir de la pensée de Michaël Delafosse. On est sûr qu’il ne s’agissait pas d’un agent d’entretien qui passait là par hasard.

La Gazette ne s’en émeut pas plus que ça. Et c’est Le Poing qui doit faire le taff. Car il s’agit d’une bombe. Déjà, les propos rapportés contredisent frontalement ceux que Sebastien Côte, l’adjoint chargé de la sécurité urbaine. Depuis le 12 février, date d’annonce de l’interdiction du carnaval, celui-ci répète inlassablement que seules des considérations de sécurité ont amené la mairie à prononcer l’interdiction de cet événement : « Ces organisateurs ne sont pas sérieux. Ils déposent un dossier mentionnant 3 000 à 4 000 participants. L’an passé, ce chiffre était de 11 000. Il y a eu des incidents. La police municipale, en sous nombre, a été débordée. Mais sans doute savent-ils que s’ils s’engageaient sur la vraie fréquentation, cela entraînerait des frais qu’ils cherchent à éviter ».

L’argument a pu faire mouche. Après tout, le Carnaval antillais de Montpellier, avec ses soirées privées et payantes, est aussi une opération lucrative. On peut se dire que sa logique rejoint alors celle des cadres réglementaires et légaux d’une production d’événements. Oui, mais selon les propos tenus en réunion par un « représentant de la Ville », propos rapportés par La Gazette sur la foi d’un enregistrement, ce qui fait problème, au fond, est bien d’octroyer l’espace public à un événement qui ne serait pas conforme à la tradition montpelliéraine. Un événement juvénile, populaire, diurne, gratuit, exubérant, et singulièrement métissé ; un débordement, qui n’est d’ailleurs pas sans tonalité queer, dont Montpellier manque terriblement.

C’est la manifestation d’un segment de population peu désirable qui est visé dans ces propos. Et on lui oppose une manifestation religieuse traditionaliste, rance à souhait, mais blanche et catholique sous tout rapport. A son propos, on évoque une « tradition montpelliéraine » parfaitement fumeuse. Saint-Roch est né à Montpellier au XIVe siecle. Il en est le saint-patron. Il fit des études de médécine. Ça colle pour l’histoire locale la plus officielle. Mais c’est en Italie qu’il fit carrière dans une variante de guérisseur miraculeux, où il mourut finalement de persécution. A Montpellier fut transféré l’un de ses tibias et sa crosse de pèlerin, du moins supposés. Car l’existence de ce personnage a été remise en question par l’historien Pierre Bolle, qui affirme « qu’on ne peut mettre en évidence la moindre trace de culte ancien à Montpellier qui se raccroche à la figure de Roch de Montpellier ».

Saint-Roch est resté très populaire dans la péninsule transalpine. Mais on serait en peine de croiser un.e montpélliérain.e que sa mémoire émeuve, hors des cercles traditionalistes très minoritaires, parmi les moins attirants politiquement. Avec son franc-parler confinant au cynisme, Georges Frêche, maire de Montpellier à la fin du siècle passé, expliquait qu’un pèlerinage à Saint-Roch, savamment promu en Italie, ferait un bon filon de fréquentation hôtelière d’Italiens à Montpellier. On appela ça le «  tourisme spirituel ». Par la même opération du Saint-Esprit mercantile, la gare de la ville fut baptisée Saint-Roch un beau matin. A la surprise générale. Voilà pour la tradition.

Depuis lors, chaque 16 août que le calendrier ramène, la Libre Pensée de l’Hérault, association de pure référence laïque, renouvelle ses dénonciations, parfois ses recours, pour dénoncer la présence d’élus montpelliérains à cette mascarade de religiosité, et l’octroi de subventions d’argent public de la ville (14 000 euros l’an dernier), alors que Michaël Delafosse se pose en héraut de la laïcité menacée (par un séparatisme islamique à bas bruit, ne cesse-t-il de répéter, à l’instar de tout ce que le pays compte d’identitaires et de réactionnaires). Laïcité à géométrie variable.

Retour à l’indésirable carnaval antillais. Sébastien Côte est un serviteur zélé des besognes policières du maire de Montpellier ; sûrement pas un visionnaire politique et sociétal. On s’étonnait que l’addiction sécuritaire obsessionnelle de Delafosse soit allée jusqu’à ne pas comprendre qu’une telle interdiction ne pourrait que choquer dans l’opinion. Des villes de la taille de Nîmes ou de Béziers ne sont-elles pas capables de canaliser et sécuriser en feria, plusieurs nuits durant, des foules dix ou quinze fois plus nombreuses que le carnaval antillais de Montpellier, dont un tiers sérieusement aviné, et un autre tiers très gravement aviné ? Tradition pure, entre gens bien du pays.

Et cette interdiction claque au moment où toute l’actualité ultra-marine, des événements de Kanaky à ceux de Mayotte, jusqu’aux révoltes antillaises, bruissent du legs post-colonial non soldé. Les réseaux sociaux, autant que les médias conventionnels, ont fait le boulot : aux Antilles, la décision montpelliéraine, attaquant ce fleuron culturel unanime qu’y est le carnaval, a été perçue, connue, répercutée comme marque évidente de mépris, entendue comme un racisme.

Mais au fait : pourquoi l’obsession sécuritaire est-elle l’apanage des politiciens les plus droitiers, extrême-droitiers ? Par pur opportunisme électoral ? Non. Ça joue plus au fond. Plutôt que combattre les ravages du capitalisme sur la société, il est tellement plus simple d’agiter l’épouvantail d’individus, et de communautés, non conformes, qui, par culture, ne parviendraient pas à se comporter selon les cadres qui assurent le maintien de l’ordre établi. Ce sont les communautés supposées indésirables, non conformes, par leurs traits sociaux, ethniques, culturels. Et pourquoi pas leur manière de faire la fête.

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