Irriguer la vigne pour sauver la viticulture ? Des syndicats agricoles répondent

Elian Barascud Publié le 24 janvier 2024 à 19:34

Cet article a initialement été publié dans le numéro 37 du Poing, dont le titre en une était “La guerre de l’eau est déclarée.” Le dossier central de ce numéro, dont le papier qui suit est issu, portait sur l’eau, son manque avec les sécheresses successives, sa répartition et son accaparement. En évoquant entre autres le projet de retenues d’eau dans le département, visant à stocker l’eau du Rhône pour soulager les cultures de vigne d’intenses périodes de stress hydrique autour de l’été.

Alors que les projets de bassines en cours dans le département serviront la viticulture à hauteur de 84 % selon le Conseil Départemental, « le Poing » a posé cette question à des syndicalistes du monde agricole. Car outre la question du partage de l’eau, c’est celle, sous-jacente, de l’avenir d’un secteur en crise, qui est en jeu.

Interrogé par nos confrères de « Hérault Tribune », Jérôme Despey, président de la Chambre d’agriculture de l’Hérault et premier vice-président de la FNSEA, se veut pragmatique au sujet des bassines : « Le changement climatique est une réalité et aujourd’hui, l’agriculture a besoin d’eau, même la viticulture : il s’agit donc de répondre au stress hydrique de la vigne, sinon elle va crever. […] Notre démarche, c’est de sauver une économie ! »

Un secteur en souffrance

« Cela fait maintenant trente ans que la viticulture n’en finit plus de mourir », souffle Dominique Soulié, ancien-porte parole et membre actif de la Confédération Paysanne 34, chargé des questions viticoles.

Les causes sont multiples : aléas météorologiques causés entre autres par le dérèglement climatique (gel, augmentation des sécheresses), baisse continue de la consommation de vin des ménages et destruction du vin par distillation car il ne se vend pas, contrôle des prix par des négociants, ce qui entraîne une activité peu rémunératrice pour les producteurs. « Quand tu prends un verre de vin au bistrot, moi je touche sept centimes dessus. », appuie Didier Gadea, viticulteur à Montagnac et président local du Modef, (mouvement de défense des exploitations familiaux).

Une fois le constat dressé, la question se pose : les bassines sont-elles la panacée pour sauver la vigne, comme le prétend la FNSEA ?

Didier Gadea est pour irriguer la vigne, « pas pour produire plus, mais pour ne pas qu’elle crève », à condition que les bassines ne pompent pas dans les nappes phréatiques et qu’elles ne soient pas construites en béton ou en plastique. Du côté de la Confédération paysanne, on est résolument contre : « Ces bassines sont une fuite en avant d’un secteur qui vit d’interventions de l’État. Les bassines sont là pour acheter la paix sociale. On va jouer les apprentis sorciers avec des bassins, alors que l’INRA indique qu’on aura entre 20 et 50 % d’évaporation sur l’eau du Rhône qu’on aura récupéré. Et cela risque de dégrader la biodiversité dans les bassins où l’on prend de l’eau », argue Dominique Soulié. « Et puis la vigne, en dessous de 250 mm d’eau par an, ça ne peut pas fonctionner, ce n’est pas les bassines qui vont compenser la pluie qui ne tombe pas… »

Question de monopole

Cependant, le projet porté par le Département ne convient pas au responsable local du MODEF : « La FNSEA et le Département veulent de l’irrigation pour faire profiter le marché ! Amener de l’eau et produire plus ne créera pas de surproduction, ça ne fera pas baisser le prix du vin, car le prix du vin est fixé par des monopoles de négociants qui rachètent nos productions, comme Castel par exemple. En France, on plante 8 000 hectares de vignes par an. Pourtant, en Gironde, premier producteur de vin avec beaucoup d’AOP et d’AOC, ils arrachent et distillent à fond, pourquoi ? Avant 2009, on avait des distillations obligatoires avec prix plancher rémunérateur, et un droit de stockage à court et moyen terme. Tout ça on ne l’a plus, ça va peser sur les finances, et aujourd’hui la distillation n’est plus rémunératrice, car si on ne fait pas des vins qui correspondent au marché, ils ne se vendent pas, et on ne peut plus les distiller au prix du marché. »

Pour garantir une activité rémunératrice, le Modef milite pour des prix planchers fixés par l’État qui garantissent un revenu rémunérateur aux paysans, un encadrement des marges réalisées par les intermédiaires et un retour des cépages résistants aux maladies, autant pour réduire les coûts de production liés à l’usage de phytosanitaires que pour l’aspect environnemental.

De son côté, la Confédération Paysanne souligne que ces revendications dérogent aux normes européennes de concurrence-libre et non-faussée. « Il faut que les viticulteurs prennent conscience de la surproduction, de ce qu’on détruit en distillant. Ce n’est pas le volume qui fait le prix, c’est le revenu qu’on en tire. Il faut imposer un rapport de force avec les négociants, par exemple en créant un négoce collectif de coopératives crée et géré par les vignerons eux-mêmes », précise Dominique Soulié.

Faire autre chose ?

La Confédération Paysanne réfléchit aussi à d’autres possibilités. « Avec le réchauffement climatique, si j’étais jeune paysan, je me lancerai dans l’élevage de chameau ou la plantation d’Arganier, là ,il y a peut-être de l’avenir…», ironise l’ex-porte-parole du syndicat. « Les questions que l’on doit se poser aujourd’hui, c’est : est-ce-que cet investissement hydrique en faveur de la vigne n’est pas de l’argent public gâché ? Est-ce qu’on doit privilégier l’eau pour un secteur en train de mourir, où est-ce qu’on la redirige vers d’autres activités nourricières ? La Confédération Paysanne ne demande pas la destruction de la viticulture et de ses viticulteurs, mais il va y avoir des plans sociaux. On doit réfléchir à comment accompagner vers la sortie du métier et bloquer la spéculation foncière, en redistribuant des parcelles et en installant des paysans qui font une activité nourricière. Pourquoi pas un Grenelle de l’agriculture sur l’axe Méditerranéen pour redéfinir complètement nos productions ? »

Là où les deux syndicalistes se rejoignent, c’est sur la notion de partage équitable de la ressource en eau. « Il en faut pour tous les agriculteurs, viticulteurs ou pas, et pas que pour les gros ! » s’exclame Didier Gadea. Même tonalité chez Dominique Soulié : « Engager trois millions d’euros d’argent public pour une toute petite minorité de bénéficiaires, surtout des viticulteurs, c’est non. Cela ne va aider que ceux qui auront l’argent pour acheminer les tuyaux, etc. Comment le Département va expliquer ces problèmes de non-équité ? J’ai peur que tout cela se finisse au fusil… »

Elian Barascud

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