La farce sinistre à 189 euros infligée à Yoann, invalide

Le Poing Publié le 17 février 2021 à 09:16
Yoann montre ses différents relevés et avis de paiement sur son smartphone

Comment une revalorisation de onze euros mensuels sur une pension d’invalidité se traduit par une perte de revenus de 15 % d’un coup

C’est kafkaïen. Mais tout simple. Ça tient en deux chiffres. D’un côté : le chiffre 11. De l’autre : 189. D’un côté les 11 euros de revalorisation de sa pension, que Yoann s’est fait une joie de relever, à partir d’octobre dernier ; non sans un joli effet rétroactif depuis le mois d’avril précédent, contexte de pandémie oblige. Yoann, 51 ans, est invalide de catégorie 2. Alors qu’il touchait tous les mois une allocation de 1191 euros, voici qu’elle vient d’être revalorisée de 0,9 %. Comme tout le monde.

Dorénavant, Yoann percevra 1202 euros. Soit 11 % d’augmentation. C’est minime. Mais pas totalement négligeable, lorsqu’on verse 440 euros mensuels de loyer charges comprises, puis qu’il faut régler les factures, les abonnements. Et avec le restant, se nourrir, se vêtir, se déplacer, se distraire – ça non, quand même pas. Or ce mieux a vite fait de tourner au cauchemar. En janvier, Yoann constate qu’on ne lui a pas versé son allocation logement. 137 euros mensuels de perdus. Par ailleurs, on lui retient le versement de la CSG-CRDS, dont il était jusque-là exonéré. 52 euros à régler chaque mois. Total de cette perte, aggravée de cette nouvelle ponction : 189 euros mensuels.

Mais que s’est-il passé ? En fait rien de scandaleux. Aucun tripatouillage. Ni d’incompétence bureaucratique. Pas plus de bug informatique. Rien qu’une désastreuse banalité, dont les exemples ne sont pas rares. Dans son petit appartement joliment tenu, qu’animent les paresseuses déambulations de deux matous, Yoann a sorti son smartphone, pour nous montrer ses relevés, ses avis de paiement, ses courriers. Il s’est démené : « J’ai appelé la C.A.F., la C.P.A.M., c’est sûr qu’il faut être patient au moment d’appuyer sur étoile et sur dièze, mais on m’a répondu. Des gens courtois au téléphone. De vrais échanges, d’une vingtaine de minutes ».

Tout ça pour s’entendre répondre : « Non monsieur, il n’y a aucune erreur. Simplement l’application des règles. Impossible de faire la moindre exception. Désolés. Vous ne pouvez que vous retourner vers le législateur ou le gouvernement ». En effet, revalorisé de onze euros par mois, le revenu annuel de Yoann a crevé le plafond des 14 000 euros. Celui au-delà duquel il perd son droit à l’allocation logement, et devient contributeur à la CSG. Un simple effet de seuil. Implacable. Bilan : 15 % de perte de revenus effectifs.

Catherine, travailleuse sociale, nous explique : « Oui c’est un grand classique. Les assistantes sociales s’arrachent les cheveux devant ces dossiers de familles au budget hyper serré, dont les revenus chutent d’un coup de deux cents ou trois cents euros ». Elle y voit l’illustration du « caractère froid et inatteignable de l’administration ». Elle suggère une solution toute simple pour y remédier : « supprimer les effets de seuils, et lisser les aides de façon proportionnelle. Ça paraît logique que certaines aides diminuent ou disparaissent en fonction d’une amélioration de revenus. Mais il n’y a qu’à la faire proportionnellement, avec un effet graduel, beaucoup moins douloureux ».

Bien que Le Poing ait eu connaissance de cette histoire via le groupe Montpellier révoltée, Yoann frappe par son ton mesuré, finalement sa douceur. « Mais j’ai la révolte intérieure, depuis toujours, et c’est quelque chose qui fait des dégâts en soi-même ». Il décrit sa vie où tout est contraint. « Jamais un voyage. Je ne suis pas parti en vacances depuis vingt ans. Avant, il me restait un peu en fin de mois. Ma vie est très simple. Pas de crédit. Un compte à la Poste. Maintenant, ce sera encore plus raide. Voilà la vie ».

Il se ressaisit. « Je sais qu’il y a des situations bien pires que la mienne ». Mais écœuré quand même. « Je n’ai rien volé. J’ai commencé à travailler à dix-sept ans, et dès cet âge je me débrouillais et me logeais complètement moi-même. Avec mon état de santé, à 51 ans, j’aimerais seulement un peu de tranquillité. Mais là, je me sens racketté ». Il note aussi : « On ne t’avertit même pas. Tout d’un coup tu remarques, presque par hasard, sur un relevé ce compte bancaire qu’il te manque l’alloc logement. A toi d’aller sur Internet, fouiller dans ton état de situation, trouver l’onglet, et constater que tu as été rayé ».

Archivées sur son smartphone, les réclamations de Yoann sont toutes factuelles, sobres et sans emphases. Il signale qu’on vient de le mettre en situation de grande difficulté. De manière absurde. Il a écrit tout ça à son député Patrick Vignal (sans réponse), à Emmanuel Macron (on lui répondra), à Emmanuelle Wargon, ministre du logement. « Bon, je le fais par principe, alors que je sais que j’aurais plus de chance d’obtenir quoique ce soit en jouant au loto ». Il n’en perd pas son sens politique : « Il y a tellement de gens dans la merde, et bien non, il faut encore en mettre d’autres ». De quoi bouillir : « J’entendais ce matin que les quinze premières fortunes de France ont planqué en douce 100 milliards d’euros en évasion fiscale au Luxembourg ».

Conclusion : « J’avais voté non au Traité de Maastricht parce que je suis pour l’Europe, mais pas cette Europe des financiers. Le non ayant gagné au référendum, ils ont remis en place toutes ses dispositions avec un nouveau traité, mais en catimini, surtout sans référendum. C’est là que j’ai cessé de voter. Car ce serait les cautionner. Avec mon histoire de pension, les urnes sont encore moins prêtes de me revoir ».

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