“La honte doit changer de camp” : rassemblement féministe à Montpellier

Le Poing Publié le 15 septembre 2024 à 11:36 (mis à jour le 15 septembre 2024 à 12:24)
Environ 600 personnes se sont réunies à Montpellier le 14 septembre pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles. (Photo de Mathieu Le Coz/Hans Lucas)

À l’initiative de collectifs et d’associations féministes, 600 personnes se sont rassemblées sur la place de la Comédie ce samedi 14 septembre en soutien à Gisèle Pélicot et à toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles

Le silence pèse lourd, trop lourd, lors des prises de paroles successives. Les mots sont justes et nécessaires : “Il faut briser le silence” affirme NousToutes34 (NT34). Nommer les violences sexistes et sexuelles est indispensable pour les dénoncer. Mais entre les discours et les applaudissements, les larmes coulent d’elles-mêmes pour de nombreuses personnes présentes sur la place de la Comédie. 

L’affaire dite Pélicot est difficile : “On a envie de vomir […] ça remue, ça fait jaillir énormément d’émotions, de colère, de tristesse” ajoute Emy de NousToutes. 51. C’est le nombre de co-accusés dans ce procès. Âgés de 26 à 74 ans, ils sont pompiers, retraités, journalistes, boulangers, infirmiers, chauffeurs routiers…Plus que de l’appeler « l’affaire Mazan » ou « affaire Pélicot », ce procès est surtout le procès de la banalité du mal. “Le procès d’un système” pour Laetitia et son amie Manon : “Ce procès-là est médiatisé, et il y en a tellement qui ne le sont pas”, constatent avec dépit et colère les deux amies. 

L’ampleur de cette affaire choque et horrifie, mais ne surprend que peu de personnes que nous avons interrogées lors du rassemblement : ”Ça réveille des souvenirs en chacune de nous, des choses qu’on a nous même banalisées” explique Alexia, 19 ans, venue soutenir les victimes accompagnée de ses amies. Elle ajoute : “Toutes les femmes de notre entourage ont subi au moins une agression de la part de leur père, de leur oncle, de leur patron, d’un ami, de leur voisin…“ Un procès qui cristallise les violences intrafamiliales et met en lumière la culture du viol qui imprègne notre société, ce qui est dénoncé dans chacune des prises de parole des collectifs. 

En bon père de famille

L’ambiance place de la Comédie se mêle de tristesse et de colère. “Le violeur n’est pas un monstre. Les violeurs, c’est monsieur tout-le-monde”, affirme Emy, de NT34. La culture du viol véhicule de nombreux mythes, dont celui de différencier les agresseurs du reste de la société pour “l’essentialiser à son acte” ajoute-t-elle. “Chaque homme qu’on croise, on ne sait pas s’il serait capable de quelconque violence, psychologique, physique”, confie Laetitia. Cette peur habite chacune des femmes interrogées, qui adaptent leur comportement au quotidien. “Je m’habille large quand je sors le soir, pour qu’on ne voit pas mes formes,” décrit Margha, 17 ans. “J’ai toujours peur que ce que je dis soit mal interprété et que ce soit considéré comme une avance”, soupire Alexia, 19 ans. Des comportements dont la liste est trop longue pour les énumérer et les résumer. 

Le rassemblement se poursuit avec la lecture du texte de la bédéaste Cécile Cée, qui rappelle le grand oublié de cette affaire : l’inceste. Un “mode d’organisation sociale dans lequel le corps et les psychés des femmes et des enfants appartiennent au clan, et en dernier ressort au chef du clan, le patriarche, le bon père de famille”, selon l’autrice. Car Gisèle Pélicot n’est pas la seule victime, ses filles et petits-enfants témoignent d’actes abusifs du patriarche et de la peur de se retrouver en la présence de Dominique Pélicot. 

“La honte doit changer de camp” 

Et ce sont justement les hommes, et leur silence qui est dénoncé : “Il y a trop peu d’hommes aujourd’hui. Ce qui me rend dingue, c’est le nombre de femmes qui témoigne au quotidien…”, fulmine Laetitia. “Mettez vos petites émotions de côté et prenez conscience de cette société qui vous donne le droit d’être des prédateurs”, ajoute-t-elle. Une colère qui gronde et qui ne cesse de croître pour de nombreuses femmes. L’expression qui revient dans chaque intervention, chaque réponse à nos questions résume à elle-seule ces deux heures d’interventions et est presque prononcée d’une seule et même voix : “La honte doit changer de camp”.

Parmi les centaines de personnes présentes, il y a aussi une part d’hommes. Simon, 38 ans, explique être là en soutien : “A chaque fois que l’on prend connaissance de ces violences, c’est une surprise et ça parait toujours improbable.” Il dénonce le manque de femmes dans les postes à responsabilité dans son milieu professionnel, affirme discuter avec ses proches et ami.e.s de ces violences sexistes et sexuelles. Hésitant, il ajoute : “Il y a une forme de crainte, en tant qu’homme, d’être toujours mis dans le même panier.” À la question : “Êtes-vous partisan de la phrase “pas tous les hommes ?”, sa réponse est oui : “Il y a un cadre omniprésent. Mais les hommes, on est aussi victimes de ce système.” Ou quand les discussions en non-mixité d’hommes blancs sur les plateaux télé se retrouvent en manifestation…

En tant qu’homme, Arthur est engagé dans la lutte, et dénonce quant à lui le “not all men” : “C’est difficile à entendre que tous les hommes sont des potentiels violeurs. C’est difficile de se remettre en question sur ce que l’on a fait par le passé, mais il faut savoir se poser les bonnes questions.” Il confie que dans son entourage : “Le dialogue entre hommes n’est pas évident sur ces sujets-là.”

C’est dans l’optique de créer un espace sécurisant que le bar Quartier Généreux a coorganisé ce rassemblement et a accueilli à 17 h 30 un espace de libre parole pour que des victimes puissent témoigner si iels le souhaitent. Un bar qui se veut inclusif selon Arthur, bénévole de ce lieu associatif : “Dans une société où le viol est commun, admis, accepté, il faut un cadre plus sécurisant.”

Une fin de rassemblement tendue

Briser le silence, voilà l’objectif de ce rassemblement. Un moment de cohésion et de sororité qui se termine sur de longs applaudissements. Des groupes se forment et des discussions s’entament lorsqu’un groupe se revendiquant de la “Bridage Anti-Pédophile”, munie de drapeaux français et de gilets jaunes, s’installe sur la place de l’Opéra. Sur leurs drapeaux, on peut voir le logo de la “France du Peuple”, un groupe conspirationniste qui en appellent à l’armée pour pour “sauver l’indépendance et la souveraineté de la France”, et pour “rendre justice face aux crimes de pédo-criminalité”.

L’incompréhension règne et la tension s’installe. Les nouveaux arrivants sont qualifiés de “fachos”, et une militante féministe restée sur place arrache alors les affiches scotchées sur les marches en dénonçant “une instrumentalisation de l’extrême-droite”, ce que nie la porte-parole de cette action. Enfin, l’une des femmes présentes témoigne que son enfant a été victime de viol et un conflit verbal s’engage entre les partisans du rassemblement féministe et ceux de la « brigade anti-pédo ».  Des membres de NousToutes 34 finiront par appeler la police pour qu’elle intervienne afin d’éloigner la “Brigade-anti-pédophile”.

* Certains prénoms ont été modifiés pour des raisons d’anonymat

Justine Rouillard

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