La marchandise – Synthèse du Capital de Karl Marx (livre I, chapitre 1, partie 1/3)

Le Poing Publié le 1 décembre 2017 à 18:30 (mis à jour le 28 février 2019 à 20:52)

« La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une “immense accumulation de marchandises” ». Cette phrase qui ouvre le Capital implique trois choses essentielles :
1) La marchandise est une forme de la richesse sociale bien particulière, propre à la modernité capitaliste ; cette marchandise est un produit du travail dont les déterminations sont spécifiques ;
2) Cette richesse progresse, elle est un processus en mouvement : on ne parle pas simplement d’une production de marchandises, mais bien d’un processus d’accumulation ;
3) On verra également que ce processus d’accumulation se développe à travers une série de métamorphoses ; l’accumulation des marchandises renvoie à la dynamique de la valorisation de la valeur, qui se développe au fil de la métamorphose des marchandises en argent, et de l’argent en capital.

La marchandise est un produit du travail humain

Tout d’abord, la marchandise est un objet extérieur, qui satisfait des besoins humains en général. Il n’est pas nécessaire de connaître la nature singulière de ces besoins pour savoir qu’on a affaire à une marchandise ; on retiendra simplement que cette marchandise satisfait des besoins humains, de façon générique. En outre, la marchandise est essentiellement un produit du travail humain.

La marchandise comme valeur d’usage

La marchandise est une valeur d’usage au sens où elle a une utilité socialement admise. Cette utilité est déterminée par le corps de la marchandise : le matériau, les diverses propriétés du corps de la marchandise, fondent l’utilité de cette marchandise. Ainsi, la valeur d’usage de la marchandise est indissociable de son corps physique concret. La valeur d’usage de la marchandise forme la matière de la richesse. En outre, la valeur d’usage est le soutien matériel de la valeur d’échange. Avec le terme de « soutien », Marx veut indiquer une chose importante : une marchandise ne devient échangeable que si elle a su faire reconnaître son utilité, sur le plan de la richesse matérielle. Si la marchandise n’a pas d’utilité socialement reconnue, elle ne saurait s’échanger contre d’autres marchandises, elle ne saurait devenir valeur d’échange.

La marchandise comme valeur d’échange, ou valeur

La valeur d’échange est la proportion dans laquelle deux valeurs d’usage peuvent s’échanger l’une contre l’autre. Elle est un rapport quantitatif. A priori, deux valeurs d’usage différentes représentent deux qualités différentes, et à ce titre elles sont incomparables. A priori, deux valeurs d’usage ne peuvent pas s’équivaloir, ni même s’échanger : leur dimension concrète et qualitative, en effet, les distingue. Mais la valeur d’échange dépasse cette impossibilité de principe. Par quel moyen ?

Lorsqu’on considère qu’une marchandise A peut s’échanger contre une marchandise B, ou « vaut » une marchandise B, on considère qu’elles doivent avoir quelque chose de commun. Or, ce qu’elles ont en commun, c’est d’abord le fait d’être toutes les deux des produits du travail humain. Mais ce qui garantit l’équivalence des marchandises, ce ne sont pas les travaux concrets et spécifiques, mais plutôt une détermination abstraite du travail. Ce qu’ont en commun deux marchandises, et qui permet leur échange, sera le fait d’être issues d’un travail « tout court », d’un travail indistinct, ou d’une pure dépense de force de travail humain, sans considération pour la forme particulière de ce travail. Le travail humain indistinct, comme substance sociale commune des marchandises, fonde la valeur des marchandises. A ce titre, le troisième terme que les marchandises ont en commun (après le travail humain et la valeur d’usage), et qui fonde leur échangeabilité, sera la valeur.

Il ne faut pas confondre valeur d’échange et valeur : la valeur d’échange est un rapport quantitatif, qui opère dans les échanges « dans la vraie vie ». La valeur, quant à elle, comme substance commune aux marchandises, est le troisième terme (après le travail humain et la valeur d’usage) qui permet l’équivalence entre deux marchandises ; à ce titre elle détermine a priori tout rapport d’échange, de façon transcendantale (transcendantale signifie ici que la valeur est la condition de possibilité a priori de toutes les formes de l’échange). La valeur est une catégorie de base du capitalisme, là où la valeur d’échange est une catégorie dérivée. Marx a donc dévoilé la substance de la valeur des marchandises : il s’agit du travail indistinct, du travail « tout court », qu’on peut également nommer travail abstrait.

Il s’agit maintenant de dévoiler la manière dont on mesure la grandeur de la valeur. Marx explique que c’est la quantité de travail abstrait qui fonde la grandeur de la valeur. C’est la quantité de temps de travail qui est nécessaire pour produire une marchandise qui fonde cette valeur. Ici, le travail est une pure abstraction quantitative, sans considération pour son contenu concret. Mais cette quantité de temps de travail n’est pas celle qui est employée « dans la vraie vie » par un travailleur isolé. Elle est plutôt une moyenne sociale, qui est relative au développement des forces productives de la société. Autrement dit, la quantité de temps de travail qui fonde la valeur d’une marchandise est la quantité moyenne de travail qui est nécessaire, dans une société donnée, pour produire cette marchandise. Cette quantité moyenne variera en fonction, par exemple, du développement des technologies dans la production, susceptible de faire varier la productivité du travail. Marx appelle cette moyenne sociale, qui fonde la grandeur de la valeur des marchandises, le temps de travail socialement nécessaire.

Marx explique ainsi que l’introduction du tissage à vapeur en Angleterre a dû diminuer de moitié le temps de travail socialement nécessaire pour la transformation du tissu, et que la valeur du tissu a donc diminué de moitié. Le tisserand ne disposant pas de cette nouvelle technique mettait toujours le même temps pour transformer le tissu, mais la valeur de son produit avait baissé de moitié. La dynamique de la valeur, qui est liée au développement des techniques dans la production, peut ressembler à une dynamique d’appauvrissement ou d’exclusion pour bon nombre de travailleurs.

Double caractère du travail présenté par la marchandise

La valeur d’usage des marchandises renferme un travail utile, ou concret. Ce travail, comme qualité, n’est pas immédiatement comparable aux autres travaux, de même que les valeurs d’usage sont, a priori, incomparables. Le travail concret, ou travail utile, s’insère dans une division du travail déterminée, qui détermine sa disposition et son développement. Mais il existe une autre dimension du travail, de même que la marchandise a deux dimensions. Si la valeur d’usage renferme un travail concret, la valeur, quant à elle, renferme du travail abstrait. Le travail abstrait est un travail indistinct, un travail « tout court », sans considération pour son contenu particulier et concret.

Pour expliciter davantage les déterminations du travail abstrait, Marx explique qu’il renvoie d’abord à une réduction. On réduit le travail à n’être qu’une pure dépense de force humaine, en général. Qu’on produise de la toile, ou qu’on produise un habit, dans les deux cas, on peut considérer que le travail producteur de marchandises est une simple dépense de cerveau, de muscles, de nerfs, indépendamment de la forme concrète que prend ce travail. La détermination d’un travail « en général », ou d’un travail « tout court », qui permet la valorisation des produits, dépend de cette réduction : c’est parce qu’on peut ramener tous les travaux particuliers à une même dépense énergétique de travail que l’abstraction du travail « en général » peut émerger, et la détermination d’une substance commune des marchandises devient possible.

Le travail abstrait est la substance de la valeur. La condition de possibilité du travail abstrait est sa réduction à une simple dépense énergétique de force humaine, indifférenciée. C’est seulement sur la base de cette réduction qu’on peut ensuite considérer le travail humain comme une forme homogène susceptible d’être quantifiée ou comptabilisée. La quantification du travail abstrait, et donc la mesure de la grandeur de la valeur, supposent a priori le fait de réduire le travail humain à une dépense énergétique indifférenciée.

Benoit (retrouvez plus d’articles sur son blog)

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