La psychiatrie au temps du covid
On pourrait parler longtemps de la régression des conditions de soin avec une croissance exponentielle des contentions, des services fermés, des prescriptions médicamenteuses sans accompagnement psychothérapique venant témoigner d’une invalidation progressive de la liberté de circuler. La dimension relationnelle est au cœur de tout processus de prévention et de soin alors quand la liberté de penser, de circuler et de débattre est mise à mal, quelle hospitalité reste-t-il pour la folie ? Comment protéger les personnes vulnérables, aller à leur rencontre et ne surtout pas les incarcérer ? Une ancienne intervenante en psychiatrie s’est renseignée auprès de soignant·e·s de La Colombière et d’autres hôpitaux.
Article publié dans le numéro 34 du Poing, imprimé en avril 2021
Sans liberté de penser pas de créativité
Sans liberté de circuler pas de découvertes, pas de connaissances
Sans liberté de débattre conflictuellement pas de démocratie
Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire
La situation provoquée par le premier confinement a eu des effets contradictoires voire paradoxaux. De façon générale, l’hôpital La Colombière, à Montpellier, mais également toutes les autres unités d’hospitalisation, ont réaménagé totalement leurs activités dès le 15 mars 2020. Toute l’activité extrahospitalière que sont les hôpitaux de jour, le suivi, l’accueil, l’activité, la relation thérapeutique – ce qu’on appelle le travail de secteur –, s’est arrêtée pour se recentrer, quand c’était possible, sur l’intrahospitalier. Les activités thérapeutiques de groupe, de pratiques artistiques ou de socialisation qui sont la colonne vertébrale du soin psychiatrique ont été drastiquement réduites voire suspendues pour réintégrer l’intrahospitalier, patient·e·s et soignant·e·s confondus. Seul le travail de consultations s’est maintenu avec une ventilation des présences et des rendez-vous en distanciel par internet ce qui n’est pas franchement évident pour des troubles psychiques.
Une mise en boîte
Il y a eu très peu de cas de covid à La Colombière, une vingtaine de cas positifs, patient·e·s et soignant·e·s confondu·e·s, très peu de personnes hospitalisées dans l’unité dédiée « psycovid » mise en place par l’administration avec des soignants volontaires. Le taux d’hospitalisations est resté identique ainsi que les suivis à domicile. Tout le monde s’est donc retrouvé à l’intérieur, dans l’hôpital, dans les services, dans les pavillons. Ce repli a permis un réaménagement à l’intérieur de l’hôpital dans chaque service : tous dans la même boîte. Cette politique du vase clos avec plus de présence, notamment des soignant·e·s, plus de partage, plus de solidarité entre l’équipe médicale et les patient·e·s, même si c’était autour de la peur, a permis de recentrer la pratique du soin, de la requestionner. Les patient·e·s allaient mieux, bien entouré·e·s, la focale centrée sur eux développait une forme de tranquillisation ! Personne ne sortait mais tout le monde était là et on avait même le droit de rester dans sa chambre la journée ce qui dans le monde d’avant était interdit.
Tout le monde développait du lien, se soutenait calmement, sans visite et sans permission ; l’humain avait repris sa place. Comme dans la vie citadine les sorties du pavillon dans les allées de l’hôpital étaient autorisées une heure par jour en petits groupes accompagnés de soignant·e·s. En fait, toute la vie des personnes hospitalisées dépendaient de l’équipe soignante pour tout acte de la vie quotidienne comme l’achat des cigarettes. Quant à l’équipe de soins elle était plus sereine, plus posée, moins prise par le temps car tout était suspendu, sans rendez-vous, sans extérieur, ça a posé tout le monde ! Même les soignant·e·s ont été exemplaires et ne se sont pas révolté·e·s !
Sans urgence et sans liberté
Au regard de cet enfermement où la question de « l’autre », du dehors, du déplacement, de la vie était court-circuitée, éludée, c’est bien la liberté qui a été attaquée. Cette soumission, cette docilité absolue a entériné une perte de désir, d’autonomie et quand il a été question de déconfiner, la liberté retrouvée a mis bien longtemps à se vivre. Les choses s’étaient figées et les mesures de confinement qui se sont prolongées plus longtemps qu’ailleurs, suite à la réserve de l’administratif et du médical pour la réouverture, ont provoqué ce que l’on appelle « une vague de décompensation », une augmentation des hospitalisations et une grande fatigue des soignants, tout ça pendant l’été.
Tout a explosé dans des logiques de « tout ou rien » et d’opposition entre les différent·e·s acteurs et actrices de cette situation. Des équipes épuisées et frileuses pour réaccueillir et des patient·e·s revendiquant, à juste titre, « le monde d’avant ». Un déconfinement délicat, très délicat chacun se réaménageant à sa façon, selon ses règles et ses revendications : la guerre était finie ! Les modalités carcérales qui avaient permis que le temps du premier confinement se passe avaient semé les graines de la dépression qui s’est accentuée quand il s’est agit du deuxième confinement !
Des dépressions massives
La succession des périodes, confinement / déconfinement / semi-confinement, etc., a accentué les phénomènes de persécution, d’interprétations en provoquant une recrudescence massive des dépressions et des admissions en fait depuis l’été et surtout pendant la période de Noël. Les service se sont remplis, il y avait de nouveau des urgences, il fallait faire sortir rapidement, orienter pour faire rentrer d’autres personnes, depuis l’été personne n’avait soufflé cinq minutes. La persécution du virus a nourri des thèses complotistes, des incompréhensions : pourquoi encore, pourquoi nous ? Parfois un brutal arrêt du traitement à l’extérieur, et surtout un investissement massif du médical.
Alors maintenant c’est nécessaire pour se remettre en route de sortir du régime de la peur qui fige, qui bloque, qui soumet et qui rigidifie nos raisonnements et nos actes. Retrouver du collectif et réanimer des pratiques autour d’activités de groupe. La peur a pris le pouvoir en renforçant toutes les défenses paranoïaques, on a perdu les repères de la pensée. Il n’y a pas eu de pathologies spécifiques liées à la période mais vraiment un renforcement des fonctionnements psychiques qui se sont durcies et surtout « cette dépression » dont on peut dire qu’elle a touché toute la population.
Déconfiner notre pensée
Tout le monde se jette sur le somatique, l’administration se débrouille pour faire passer des restrictions, des économies, du tri dans le domaine psychiatrique en oubliant que le temps psychique a son rythme, sa valeur et que celui ci n’est pas rentable. C’est une attaque confirmée du travail de secteur, des hôpitaux de jour comme lieux de socialisation et de transition. On va vers le chacun·e chez soi, dans sa filière, des circulations ordonnées qui empêchent la circulation des corps et de la pensée. Même le travail infirmier trouve une organisation des soins administrative spécifique dont la gestion est le maître mot. Tout était en place, le contexte du covid a été l’occasion, il a permis cette attaque des pratiques, non annoncée mais possible grâce à une situation favorable, comme dans bien d’autres secteurs professionnels d’ailleurs ! Le covid serait il passé par dessus la psychiatrie ? Où sont les petits îlots – essentiels ! – où restent une qualité d’échanges vivants ?
« Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparaît »
François Tosquelles psychiatre catalan fondateur de la psychothérapie institutionnelle.
La psychiatrie intérimaire
En rédigeant cet article, les professionnel·les m’ont confirmé une information troublante, que j’avais connue en travaillant à l’hôpital de Saint Alban mais que j’avais oubliée. La meilleure façon de « couler » puis sans doute de fermer les petits hôpitaux psychiatriques de province c’est d’y faire travailler des soignant·e·s intérimaires : embaucher un·e psychiatre pour deux jours, une semaine, des infirmier·e·s l’été ou les vacances pour un mois en les payant très cher, bien plus que sur un poste en CDI mais en invalidant totalement la cohérence du soin, d’une relation thérapeutique voire d’un travail en équipe. Une gestion intérimaire de deux jours en deux jours où personne n’a le temps de se connaître, voire de se comprendre quand ce n’est pas une embauche de psychiatre qui ne parle pas la langue du patient ; tout est désorganisé c’est du bricolage que l’arrivée du covid n’a pas amélioré. Les équipes deviennent blasées, dans l’enchaînement de nouvelles hospitalisations où tout le monde travaille contre l’autre, c’est un boulevard pour le non-sens.
Lire aussi notre article : « Le CHU de Montpellier a falsifié un document pour forcer un internement en psychiatrie »
« La psychiatrie publique va mal ou plutôt ne va pas. Depuis près de vingt ans elle tangue dans une indifférence des pouvoirs publics. On ferme des lits à tour de bras alors que le nombre de patients se multiplie et surtout, signe d’une évidente tension, le nombre d’hospitalisations contre la volonté de la personne ne fait qu’augmenter. La honte française, nous sommes à la limite de la maltraitance sur ce paquebot ivre où seule l’industrie pharmaceutique bénéficie de moyens… Les maladies chroniques sont le futur de l’humanité mais ont été mises de côté car elles consomment moins de technologie. »
Didier Sicard, médecin et professeur, ancien président du comité consultatif national d’éthique
Les Murs d’Aurelle
Inventer et construire des espaces de liberté dans le champ institutionnel, c’est un moyen de tenir pour agir sans tenir pour subir. C’est pour cela que l’association “Les murs d’Aurelle” a été créée en 1992, proposant, dans les espaces psychiatriques, des pratiques artistiques de création, avec des personnes ayant ou ayant eu recours à des soins psychiatriques. Pendant une vingtaine d’années, l’association a animé des ateliers à l’hôpital montpelliérain La Colombière, l’hôpital de Saint-Alban en Lozère ou bien encore les services de psychiatrie de l’hôpital de Narbonne. Deux cent artistes, autant de patient·e·s, des stagiaires de l’université ou de différents cursus médico-sociaux, des philosophes, des soignant·e·s ont participé à l’aventure.
C’est devenu un collectif inédit composé d’ancien·ne·s patient·e·s, soignant·e·s et administrateurs et administratrices qui se voient régulièrement sur Montpellier. Il participera aux 32e “Journées Vidéo-Psy”, reportées en présentiel en 2022.
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