Le CHU de Montpellier a falsifié un document pour forcer un internement en psychiatrie

Le Poing Publié le 8 décembre 2020 à 11:57 (mis à jour le 8 décembre 2020 à 19:20)
Bâtiment principal de l'hôpital La Colombière (anciennement Font d'Aurelle) à Montpellier

Un médecin du CHU de Montpellier a truqué un formulaire d’admission en psychiatrie pour contraindre l’hospitalisation d’un patient souffrant d’une crise délirante. Une situation complexe qui met en lumière l’inhumanité de la bureaucratie.

Les faits se sont produits pendant le premier confinement. Adam, atteint de troubles de la bipolarité, souffre d’une crise délirante. Un ami, Léo, le convainc d’aller ensemble aux urgences du CHU Lapeyronie. Adam réclame d’être interné face à une psychiatre, qui incite tout de même Léo à signer un formulaire d’hospitalisation sans consentement. Il refuse. La psy insiste : il ne s’agirait que d’une formalité permettant de retenir Adam s’il décidait soudainement de fuir, applicable uniquement sur décision ultérieure de Léo. Il finit par accepter après s’être fait reconfirmer que la contrainte ne pourrait être déclenchée sans son accord. « Bien sûr » répond la psy, évoquant sa responsabilité pénale et morale. Adam est librement interné, ses proches sont rassurés. Le consentement permet en effet à un patient d’être actif dans le soin, à la différence de la contrainte, qui entraine logiquement un refus de la prise en charge.

Le lendemain, la mère d’Adam reçoit un message : son fils est hospitalisé sous contrainte à la Colombière et placé à l’isolement, un régime défini par un rapporteur de l’ONU comme « une forme de torture ». Léo n’a pas été consulté, en violation de la loi.

En théorie, l’hospitalisation libre est la règle et la contrainte n’est employée qu’à « titre exceptionnel » en cas de péril imminent, sur décision du préfet pour protéger la sécurité publique ou à la demande d’un tiers (avec plusieurs subtilités que nous ne développerons pas ici). L’isolement et la contention, encadrés depuis seulement 2016, sont « des pratiques de dernier recours […] pour prévenir un dommage immédiat ». Une disposition abrogée par le Conseil constitutionnel à partir de 2021, le législateur n’ayant pas prévu « les conditions dans lesquelles, au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge ».

Après d’interminables appels, des médecins reconnaissent à Léo « une faute », « une procédure anormale » mais justifient l’isolement par le coronavirus et la nécessité d’absence de stimulation sensorielle, sans lien évident donc avec la prévention d’un « dommage immédiat ».

L’hospitalisation sous contrainte ne pouvant se poursuivre au-delà de douze jours sans l’accord d’un juge des libertés et de la détention, une audience se tient au CHU. Léo en est informé uniquement parce qu’il connait une amie de l’avocate d’Adam, alors qu’en tant que tiers, il aurait dû être prévenu. L’avocate d’Adam, Solène Passet, produit une photocopie du formulaire d’admission. Surprise : la date a été grossièrement modifiée et le nom du médecin ne correspond pas à celui vu aux urgences.

Un autre chiffre a été écrit sur un bout de papier placé devant le second chiffre de la date originelle et le document trafiqué a été photocopié.

Pire encore : le certificat se contente de mentionner « admis aux urgences » sans justifier la nécessité de la contrainte. La juge Sabine Leclercq ordonne la libération d’Adam. Une décision relativement rare, le taux de libération à l’issue de ces audiences étant de 10% selon ce rapport parlementaire daté de 2017. Adam est réhospitalisé sous contrainte peu de temps après dans son intérêt, même s’il eut été préférable que son souhait clairement formulé d’être librement interné soit respecté depuis le début.

« Si chaque vice de procédure donnait lieu à une libération, il n’y aurait presque plus personne en psychiatrie constate maître Passet, ce qui n’est pas le but recherché du point de vue de la santé. Mais nous, les avocats, on n’est pas médecins, notre rôle c’est d’assister la décision du client. Encore faut-il qu’il connaisse ses droits. En théorie, le patient doit être informé de ses droits, mais en pratique, il faut avoir un bac +8 pour les comprendre et quand on est en détresse c’est encore plus compliqué. Certains CHU prennent le temps d’expliquer les choses aux patients, d’autres se contentent de notifier officiellement les droits pour se dédouaner de toute responsabilité. La relation entre le judiciaire et le médical est encore très ambigu. Les médecins n’ont toujours pas digéré qu’on puisse s’ingérer dans “leurs” affaires, espérons que ça finisse par évoluer. »

Alors que l’on note une hausse constante des patients pris en charge sans consentement en psychiatrie (95 600 en 2018 !), combien de cas similaires à Adam ? Un professionnel de santé mentale d’Occitanie nous éclaire : « Ces situations peuvent arriver. Aux urgences, les médecins ne veulent pas se prendre la tête avec les procédures, ce n’est pas leur vocation, mais dans le cas d’Adam, le médecin de secteur aurait dû réagir et prévenir le tiers. C’est complexe : d’une part, c’est normal que la société nous impose des règles pour éviter toute privation abusive de liberté au nom de la santé et ce d’autant plus que nous autres, les soignants, on n’aime pas quand on se mêle de “nos” patients, mais d’une autre, on se retrouve à libérer des gens qui sont un danger pour eux-mêmes et pour les autres, juste parce que la direction a peur de se mettre dans l’illégalité, avec des réhospitalisations dans la foulée qui sont souvent plus difficiles à gérer. Et dans tout ça, l’intérêt du patient, ce n’est malheureusement pas toujours la priorité. »

Contacté, le CHU de Montpellier « ne souhaite pas commenter une décision de justice, ni la situation spécifique d’un patient dont la prise en charge relève du secret médical » et assure que « l’alliance thérapeutique est toujours recherchée avec le patient admis aux urgences psychiatriques, afin de nouer une relation de confiance et d’obtenir l’adhésion de celui-ci à la prise en charge personnalisée proposée par le médecin psychiatre. » Circulez, il n’y a rien à voir.

On dit qu’on juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite celle et ceux qui souffrent de pathologies mentales. Le constat est peu reluisant. On ne s’honore à tolérer le ballotement administratif impersonnel de personnes déjà sentimentalement et professionnellement marginalisées. Personne ne peut vraiment vivre heureux dans un océan de malheurs.

Les prénoms d’Adam et Léo ont été modifiés. Ce-dernier est un membre de la rédaction du Poing.

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