Les droits des réfugiés mis à mal par l’urgence sanitaire | Entretien avec Céline Coupard

Le Poing Publié le 7 décembre 2020 à 15:18
Centre de rétention du Canet, à Marseille, dessiné par Benoit Guillaume

L’activité de la justice a été considérablement ralentie par la pandémie de covid-19, créant de nouvelles problématiques pour les droits des étrangers en France. Céline Coupard, avocate spécialiste en droit des étrangers au barreau de Montpellier et membre du Syndicat des Avocats de France, décrypte ces nouveaux enjeux juridiques nés de la crise sanitaire.

Céline Coupard (DR)

Le Poing : Quelles sont les conséquences du ralentissement des tribunaux pour les étrangers ?

Céline Coupard : Contrairement au premier confinement, où les tribunaux étaient complètement fermés à part sur le volet pénal, l’activité de la justice s’est maintenue lors du second confinement dans les tribunaux administratifs et à la Cour nationale du droit d’asile. La vraie difficulté est au niveau de l’accès à la préfecture pour les demandes d’asile. Les rendez-vous sur internet compliquent la tâche pour mes clients qui n’ont pas forcément accès à une connexion. Il y a eu des rendez-vous qui ont été reportés ou annulés pendant le premier confinement, donc la préfecture a pris beaucoup de retard dans les dossiers. Et pour raison sanitaire, les personnes ne peuvent plus être accompagnées par un conjoint français ou un membre d’une association ce qui entraine de grandes difficultés, notamment quand les personnes ne parlent pas bien le français.

Les audiences en visioconférence sont-elles toujours d’actualité ?

Oui, ça arrive en Cour d’appel et c’est absolument catastrophique. En droit des étrangers, on est très mal équipés. Pour qu’une téléaudience soit valable, il faut que des deux côtés de la caméra, on soit dans une salle d’audience accessible au public et dépendante du ministère de la Justice. Or, dans les centres de rétention administrative [CRA], il n’y a pas de salle d’audience mais un local d’entretien OFPRA [Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides]. Normalement, ce n’est pas un lieu recevable pour une audience, mais avec l’urgence sanitaire, on est dans du droit d’exception, donc tout est possible. Nous, les avocats, on est censé pouvoir réaliser un entretien confidentiel avec notre client, mais en visioconférence, c’est compliqué voire impossible.

Quelles sont les conditions sanitaires dans les CRA ?

À Sète, la capacité d’accueil a été réduite de moitié, un examen médical est fait à la personne retenue quand elle arrive, les gestes barrières sont respectés et il y a des masques et du gel hydroalcoolique. Mais c’est catastrophique dans d’autres CRA, comme celui de Vincennes, qui est un véritable foyer cluster. Les gens ne sont pas isolés quand ils déclenchent des symptômes mais uniquement quand leur test est positif, donc il y a des contaminations.

La fermeture des frontières a-t-elle impacté les regroupements familiaux et les expulsions ?

Oui. La France reste butée dans ses politiques d’enfermement des étrangers alors qu’avec la fermeture des frontières, il n’y a évidemment pas d’éloignement possible. Et il y a un autre obstacle : plusieurs pays demandent un test PCR négatif au covid-19 soixante-douze heures avant pour accepter une personne sur leur territoire. Mais le test est un acte médical invasif et des gens font valoir leur droit de le refuser. Sauf que le tribunal peut alors considérer qu’il s’agit d’une infraction – la soustraction volontaire à la procédure d’éloignement –, et donc sanctionner le retenu en prolongeant sa durée d’éloignement du territoire français, bien que ce soit contraire au droit de la santé et non-prévu par les textes.

Les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ont-elles accès aux soins en cas de covid ?

L’aide médicale d’État prend en charge les soins en cas de covid car ça relève de la médecine générale. Le vrai problème, c’est plus la détection du covid, la réalisation des tests n’étant pas toujours évidente.

Lire aussi :
« Les centres de rétention se vident, mais l’État refuse de les fermer officiellement en dépit du bon sens », avril 2020
« Enfermés au centre de rétention administrative de Sète, ils racontent leurs galères », juillet 2018

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Jean-Marc Aubert du Métropolitain condamné à 6 mois de sursis pour accès frauduleux d’un système de données