La sale guerre d’Erdogan : la guérilla kurde sous pression en Irak
Depuis le printemps, l’armée turque mène une opération militaire terrestre et aérienne contre la guérilla kurde du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), qui trouve refuge depuis 25 ans dans les zones montagneuses du nord de l’Irak. Le Président turc Recep Tayyip Erdoğan n’a pas encore réussi à empêcher la circulation des combattant·e·s, mais la situation reste fragile.
Article initialement paru dans le journal papier numéro 43 du Poing, sur le thème “Choc des savoirs, éducation liquidée… : la rentrée des crasses”, publié en septembre 2024 et toujours disponible sur notre boutique en ligne
Au début de l’année 2024, le gouvernement turc d’Erdoğan, réélu en 2023 grâce à une coalition entre l’AKP (parti de la Justice et du développement, islamo-nationaliste) et le MHP (parti d’action nationaliste, d’extrême droite), annonçait une intensification des bombardements sur la guérilla du PKK au nord de l’Irak. Depuis 25 ans, l’armée turque mène régulièrement des frappes aériennes et des incursions dans le Kurdistan irakien (région autonome au nord de l’Irak), où elle a fait construire des dizaines de bases militaires. Pour rappel, le PKK, largement présent dans l’est de la Turquie, mais aussi dans certaines régions de l’Irak, de l’Iran et de la Syrie, prône l’autodétermination du peuple kurde via le confédéralisme démocratique, mêlant féminisme, écologie et démocratie directe. Cette nouvelle salve d’attaques turques répond à un attentat perpétré en octobre 2023 contre le siège de la police à Ankara, attribué au PKK, classé comme terroriste par l’Union Européenne et les États-Unis. À partir d’avril 2024, les attaques se sont intensifiées, débouchant sur l’envoi de troupes terrestres. Dans un communiqué de presse du 1er juillet, le Congrès National du Kurdistan (KNK), composée de différentes organisations kurdes, faisait état d’un bilan de la chaîne kurde irakienne Channel 8 évoquant « 300 chars et véhicules blindés [déployés] dans le Kurdistan irakien » et constatant la présence d’environ « 1 000 militaires turcs », et de « véhicules blindés ». La même source comptait « 110 bases militaires établies jusqu’à 35 km à l’intérieur du territoire irakien » et « 800 attaques aériennes ». Le régime turc ne cache pas son intention, depuis la guerre civile syrienne, d’établir un corridor de sécurité d’une largeur de trente kilomètres le long des frontières partagées entre la Turquie, l’Irak et la Syrie. La campagne de solidarité internationale « Rise Up For Rojava » évoque des centaines de villages évacués et des incendies de terres agricoles, avec une stratégie proche de celle menée contre la guérilla au Kurdistan turc dans les années 1990.
Complaisance irakienne
Si les précédentes opérations militaires turques sur le Rojava (Kurdistan syrien, région de 8 millions de personnes administrée par un parti proche du PKK à la faveur de sa lutte victorieuse contre l’État islamique) ont mené à des annexions, elles n’ont jamais empêché la guérilla de circuler entre les différentes régions du Kurdistan et de poursuivre son activité. Mais le contrôle turc s’intensifie au Kurdistan irakien. Le journaliste kurde Pîrdogan Kemal affirme que la stratégie de l’armée turque, basée sur un important développement technologique, reste en partie inefficace contre une guérilla qui s’est elle aussi modernisée, avec l’utilisation de drones et des efforts pour contrôler les airs. L’armée turque peut compter sur la coopération du PDK, le parti kurde qui administre le Kurdistan irakien, historiquement opposé au PKK et quasiment allié au régime turc depuis les années 1990, avec un projet de société articulé autour des pouvoirs tribaux et d’une économie capitaliste. Le gouvernement central du Kurdistan irakien, bien qu’entretenant une ambiguïté sur la violation de son intégrité territoriale, a donné sa bénédiction à l’opération, saluant la lutte contre le terrorisme du PKK. Une position dénoncée par une autre force politique du Kurdistan irakien, l’UPK (Union des Patriotes du Kurdistan), scission du PDK de sensibilité anti-impérialiste, hostile aux manœuvres militaires turques. Mais sa zone d’influence est limitée au sud du Kurdistan irakien, loin des conflits. Autre feu vert tacite aux manœuvres militaires turcs, celui des États-Unis. Alors qu’Hakan Fidan, ministre des affaires étrangères turc s’était entretenu avec Anthony Blinken, le Secrétaire d’État américain à l’occasion d’une rencontre de l’OTAN fin mai, le porte-parole adjoint principal du département d’État américain Vedant Patel a appelé, lors d’une réunion d’information, à la coopération des gouvernements turcs, irakiens et du Kurdistan irakien. Une position qui peut inquiéter, alors que la présence américaine au Rojava depuis la coalition internationale contre Daesh était en partie maintenue et pouvait être un élément de dissuasion du régime turc pour d’autres agressions armées. Bien que le président Erdogan ait, en début d’année 2024, promis de nouvelles opérations militaires d’ampleur comparable à celles menées au Kurdistan irakien, le Rojava reste pour le moment relativement épargné, malgré un harcèlement constant de certaines régions.
Julien Servent
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