L’agent orange tue encore : entretien avec le Collectif Vietnam Dioxine

Le Poing Publié le 2 octobre 2022 à 17:50
Tran To Nga, militante franco-vietnamienne victime de l’Agent Orange ©Mai Nguyen

Keo est militante au Collectif Vietnam Dioxine. Ce collectif entend lutter pour que justice soit rendue à toutes les victimes de l’Agent Orange et soutient particulièrement le procès de Tran To Nga, victime et journaliste franco-vietnamienne de 81 ans, contre les fabricants de cette arme chimique. A l’occasion de la diffusion-débat à venir du documentaire “Agent Orange : Bombe à Retardement”, nous lui avons posé quelques questions.

  • Le combat pour rendre justice aux victimes de l’agent orange est peu connu en France, peux-tu nous en dire plus ?

En France, la guerre du Vietnam est davantage connue à travers les atroces images de bombardement et d’attaques au napalm. Pourtant l’attaque à l’Agent Orange constitue le premier cas mondial qualifié d’écocide. La notion d’écocide a été inventée par Arthur Galston en 1970, et définie comme : « La destruction intentionnelle et permanente de l’environnement dans lequel un peuple peut vivre de la façon qu’il a choisie”.

L’Agent Orange est un herbicide contenant de la dioxine. Il a été déversé par l’aviation américaine sur les forêts et la végétation du sud du Vietnam pour débusquer les résistant-e-s du Front National de Libération pendant la guerre. Les épandages ont duré environ 10 ans, de 1961 à 1971. Une étude de l’Université de Columbia datant de 2002 a conclu qu’il suffisait de 80 g de dioxine pure appliquée dans l’eau d’une ville pour tuer jusqu’à 8 millions d’habitants (à peu près la population de New York). Au Vietnam, ce sont 366 kg de dioxine pure qui ont été épandus parmi les 80 millions de litres d’agents chimiques. Les conséquences humaines et environnementales sont désastreuses : empoisonnement des terres mais surtout maladies, cancers et handicaps se transmettent sur plusieurs générations au Vietnam, mais aussi au Laos et au Cambodge. 20% des forêts du sud du Vietnam ont disparu et environ 400 000 ha de terres agricoles ont été détruites ou toujours empoisonnées.

  • Pourquoi ce combat reste encore aujourd’hui d’actualité et que peut-on faire alors que toutes les responsabilités semble-être du côté des États-Unis et de multinationales étasuniennes ?

A la quatrième génération post-guerre, on estime à plus de 3 millions de personnes souffrant encore de cet herbicide toxique au Vietnam. Les 14 industriels encore florissants ayant produit ou livré de l’Agent Orange (Bayer-Monsanto, Dow Chemical, Hecules, etc) nient toujours leur responsabilité et les victimes vietnamiennes n’ont reçu aucun dédommagement. L’Agent Orange est donc encore d’actualité car il continue à tuer et en toute impunité pour ses responsables.

Pour défaire cette injustice, madame Tran To Nga a décidé au printemps 2014 de se livrer au dernier combat de sa vie : poursuivre ces multinationales ayant produit et/ou commercialisé l’Agent Orange dont elle est aussi victime. En mai 2021, après plus de 7 ans de procédures dans le procès historique de l’Agent orange intenté à 14 multinationales, le tribunal d’Evry a rendu sa décision. Il a déclaré que ses demandes étaient “irrecevables” sous prétexte d’une “immunité de juridiction”. Les entreprises auraient obéi au gouvernement des Etats-Unis dans le cadre d’une politique de défense. En réalité, elles avaient répondu à un appel d’offres. Ce procès dorénavant en attente à la Cour d’Appel , même s’il ne concerne que Tran To Nga pourrait permettre en cas de victoire une jurisprudence, une vraie base juridique, pour toute victime de l’agent orange qui souhaiterait attaquer les fabricants de l’Agent Orange.

  • Le Collectif Vietnam Dioxine parle souvent de racisme environnemental dans le combat mené avec Tran To Nga, Est-ce que tu considères que cette lutte fait partie de ce qu’on appelle l’écologie décoloniale ?

Notre lutte peut s’inscrire dans l’écologie décoloniale car elle évoque la question du racisme environnemental : l’intersection entre une domination basée sur la “race” et sur la “nature”. les personnes racisées (celles qui vivent le racisme dit systémique) sont dans de nombreux cas plus touchées que les personnes blanches par des inégalités écologiques (accès aux ressources) et environnementales (pollutions et autres conséquences environnementales). Il ne faut pas oublier que les vétérans américains ont été dédommagés à hauteur de 180 millions de dollars par les firmes américaines, alors même que les victimes vietnamiennes ont été déboutées et n’ont même pas pu obtenir de procès.

Le crime d’écocide que nous cherchons en ce moment à faire reconnaître comme crime contre l’humanité nous relie aussi aux autres revendications réclamant une justice environnementale reconnaissant les droits pour tou-te-s à habiter la Terre et d’exiger réparation pour les crimes de guerre, impérialistes ou coloniaux passés et présents.

  • Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?

Le procès contre des multinationales comme Bayer-Monsanto constitue un vrai combat de David contre Goliath. Ce n’est que par un soutien financier et celui de l’opinion populaire que nous vaincrons. Alors n’hésitez pas à suivre le Collectif Vietnam Dioxine sur les réseaux, à nous faire un don et à vous rendre à la projection de “L’Agent Orange : une bombe à retardement” en présence de sa co-réalisatrice Thuy Tien Ho, le 25 octobre à 20h au cinéma Utopia de Montpellier et à l’Utopia Toulouse – Borderouge le 27 octobre !

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