Le préfet de l’Hérault interdit les free-parties pour tout 2025 : “Cela ne fait que déplacer le problème”
Le préfet de l’Hérault, François-Xavier Lauch, a publié en ce début 2025 un arrêté interdisant les soirées techno illégales sur le département pour toute l’année, notamment pour prévenir des risques de nuisances sonores ou pour préserver les zones classées Natura 2000. Certains acteurs du mouvement s’interrogent sur la légalité de ce texte et militent pour un dialogue entre organisateurs de ces évènements et les collectivités
Après avoir pris un arrêté similaire l’an dernier, le préfet de l’Hérault, François-Xavier Lauch, réédite, et cette fois-ci, pour toute l’année 2025. Il a interdit toute free-partie (soirée techno qui se tient généralement dans la nature) sur tout le département de l’Hérault. L’arrêté s’étend également au transport de matériel sonore, (enceintes, amplis, table de mixage…) sur les réseaux routiers du département, et leur saisie est facilitée.
A noter que les saisies de matériel sonore dans les free-parties sont autorisées depuis 2001 via l’amendement Mariani de la loi de sécurité quotidienne, votée après les attentats du 11 septembre. Le texte prévoit que “les rassemblements exclusivement festifs à caractère musical (…) doivent faire l’objet par les organisateurs d’une déclaration auprès du préfet du département dans lequel le rassemblement doit se tenir”. Il s’agit en fait d’une demande d’autorisation puisqu’il est précisé plus loin que “le préfet peut interdire le rassemblement projeté, si celui-ci est de nature à troubler gravement l’ordre public ou si, en dépit d’une mise en demeure préalable adressée à l’organisateur, les mesures prises par celui-ci pour assurer le bon déroulement du rassemblement sont insuffisantes”.
Mais de fait, les free-parties ne sont jamais autorisées par l’État et les collectifs organisent donc ces soirées dans l’illégalité, souvent sans faire de demande. Certains ne le font pas, par conviction issue de la pensée libertaire et pour prouver que la fête peut s’auto-organiser sans l’État, en s’inspirant du principe de “zone d’autonomie temporaire” théorisée par le penseur anarchiste Hakim Bey. Dans tous les cas, cet arrêté pris par le préfet de l’Hérault relève plus du message politique adressé à la jeunesse que d’un texte règlementaire, puisqu’une loi encadrant ces évènements existe déjà. François-Xavier Lauch justifie sa décision par le fait que ces évènements se déroulent régulièrement dans des zones sensibles (sites classés en zone Natura 2000) et sont préjudiciables pour l’environnement. Il évoque également les nuisances sonores et la consommation excessive de drogue et d’alcool.
Par cet arrêté, le préfet répond aussi à des attentes de maires et de riverains de certaines communes de l’Hérault, comme Joncels, près de Lodève, dont le plateau éolien était ces dernières années devenu un site de choix pour ces fêtes (entre juillet et août 2023, six free-parties y ont eu lieu). Dans ce village de 300 habitants, un collectif s’était monté pour se plaindre de nuisances sonores, mais également de dégradations, notamment de terres agricoles.
“La jeunesse a le droit de faire la fête”
Dans un communiqué paru le lundi 13 janvier, l’association la Libre Pensée, qui lutte pour le respect de la loi de 1905 et de manière générale pour le respect des libertés fondamentales, revendique le fait que “la jeunesse a le droit de faire la fête” et souligne un “deux poids deux mesures” de la part du préfet de l’Hérault : “L’insistance du préfet à vouloir interdire ces rassemblements au titre de loi tranche totalement avec l’attitude totalement permissive en direction, par exemple, du maire de Béziers Robert Ménard, qui peut à loisir déclarer qu’il ne souhaite pas respecter la loi, en particulier la loi de 1905 ; les récentes crèches placées dans les bâtiments de la République, par exemple n’ont entrainé aucune réaction du Préfet.”
La Libre Pensée dénonce “la politique très répressive en direction des organisateurs de free-parties” . Politique qui se traduit notamment par le déploiement d’agents des renseignements généraux pour surveiller les organisateurs, l’envoi de policiers qui mutilent des fêtards (comme à Redon en 2019, où un jeune homme a eu la main arraché par une grenade) ou qui causent des morts, comme celle de Steve, retrouvé noyé après l’intervention de la police lors de la fête de la musique à Nantes en 2020.
L’association souligne également que “Il n’y a pas plus de risques dans les raves-parties que dans toutes les fêtes où beaucoup de gens se rassemblent et font la fête, comme cela a été démontré.” Concernant l’usage de drogues particulièrement, la sociologue Emmanuelle Hoareau avait comparé les espaces festifs techno légaux et encadrés (clubs, boîtes de nuit) aux free-parties. Elle soulignait dans son article, paru en 2007, que l’invisibilisation du trafic et de la drogue dans les espaces encadrés légaux (de par la peur des vigiles et l’illégalité de la chose) tendait à accentuer les risques -overdose, mauvais mélanges, bad trip-. Alors qu’en free-partie, où la drogue n’est pas taboue, l’usager échange plus avec ses pairs et les associations de réduction des risques présentes sur place, limitant ainsi les abus.
Les acteurs de la réduction des risques en free-parties (présents sur des stands qui distribuent préservatifs, bouchons d’oreilles, éthylotests et prodiguent des conseils…) sont d’ailleurs les premiers à déplorer cette répression. Plusieurs des ces associations spécialisées signaient en en 2020 une tribune où elles déclaraient : “La gestion répressive de ces événements majore les risques auxquels sont soumis les participants : les soirées se font toujours plus loin dans des zones reculées, compliquant l’accès de secours, que les organisateurs hésitent parfois à appeler tant les risques judiciaires sont importants pour eux.” L’organisation de free-parties peut en effet être punie d’amendes, voire de prison avec sursis dans certains cas.
Un arrêté qui pose question sur sa légalité
Parmi les acteurs du secteur, Freeform est une association qui fait de la médiation entre l’État et les organisateurs de ces événements festifs. Samuel Raymond, son directeur, constate : “L’Hérault est le département de France où il y a le plus de freee-parties, et on a jamais vu d’arrêté aussi extensif jusqu’alors ailleurs dans le pays.”
L’association se dit étonnée de la position de la préfecture. “Au niveau national, des échanges ont lieu entre le ministère de l’Intérieur et la Coordination nationale des sons, qui regroupe les organisateurs de free-parties. Dans cette coordination, il y a un groupe de travail qui s’interroge sur la légalité de cet arrêté. Normalement, un arrêté préfectoral se prend dans des circonstances particulières dans un temps donné, par exemple pour des motifs de risques incendies en période de canicule, pas pour toute une année. De plus, l’arrêt interdit aussi le transport de matériel sonore, ça pose une question de libertés qui va au-delà des free-parties. Cela veut dire que des gens qui organisent une soirée sound-system reggae légale peuvent se faire contrôler sur les routes de l’Hérault parce qu’ils transportent du matériel sonore.”
Pour Samuel Raymond, ces arrêtés ne font que déplacer le problème : “On constate que les sound-systems héraultais vont juste plus loin pour organiser leurs fêtes, dans le Tarn et l’Aveyron, par exemple qui ont du eux aussi prendre des arrêtés préfectoraux pour interdire les free-parties. On l’a déjà vu en Angleterre en 1994 quand Tatcher a interdit les free-parties, les organisateurs sont venus essaimer le mouvement en France. Plus récemment, en Italie, le gouvernement de Giorgia Meloni a interdit ces évènements, donc les italiens viennent poser des teufs chez nous. La seule solution, c’est le dialogue et la co-construction avec les autorités. Surtout dans un territoire pauvre avec un gros vote RN comme le nord de l’Hérault, les jeunes qui ont peu d’argent veulent juste faire la fête et s’amuser pour pas cher, donc c’est important qu’il y ait ce dialogue.”
Dialogue difficile
Mais le dialogue entre les maires, les services de l’État et les organisateurs peut parfois être compliqué. Henri Cabanel, sénateur de l’Hérault, a essayé à partir de 2015 et pendant huit ans de réunir tout le monde autour de la table. “Je pense qu’on peut tout à fait organiser ces soirées en bonne et due forme. J’avais réussi à faire se rencontrer des maires et des organisateurs de free-parties, c’était la première fois qu’ils rencontraient des élus. L’idée était d’établir une charte où chacun note ses besoins et ses devoirs. Au début, la préfecture ne me prenait pas au sérieux, mais le sous-préfet de Lodève m’avait soutenu. On avait fait une réunion avec toutes les parties-prenantes, y compris la gendarmerie et les services de secours, et un maire était prêt à céder un terrain pour faire un évènement légal. Mais la gendarmerie et le Sdis ont refusé et ne voulaient pas prendre cette responsabilité. Ce que l’on constate, c’est que ça n’a pas empêché que ces évènements aient lieu. Quand Mr Lauch est arrivé, il y a eu une visio avec les maires et les parlementaires, et beaucoup d’élus locaux parlaient de ce problème. J’étais le seul à être dans une volonté de co-construction.”
Aujourd’hui, il considère que ce dialogue est au point mort. “Je regrette, parce qu’on y était presque. Moi, j’arrête de faire le Don Quichotte, s’il n’y a pas une volonté locale de s’écouter et de se comprendre, j’abandonne.”
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