Le rappeur espagnol emprisonné cite le mouvement social français
L’incarcération de Pablo Hasél, a déclenché plus d’une semaine d’affrontements dans les rues de Barcelona (et ailleurs). Il est le premier à demander aux protestataires ne ne pas s’en tenir au seul thème de la liberté d’expression, ni à son seul cas.
En Catalogne, les manifestants ont soumis une facture extrêmement salée aux autorités, à la suite de l’incarcération, le 16 février dernier, du rappeur Pablo Hasél. Près de quatre cents containers ont brûlé sur la voie publique. Plus de cent cinquante édifices ont été pris d’assaut au fil de huit jours d’affrontements dans les rues de Barcelona, comme d’autres villes moyennes catalanes et plus largement dans l’État espagnol. Parfois très déterminés, les saccages ont affecté, classiquement, des agences bancaires, de grandes enseignes de fast-food, mais aussi des hôtels de luxe, et même un certain nombre de commissariats de police, dont les agents furent pris au dépourvu par la rage animant ce soulèvement.
Pablo Hasél doit purger une peine de neuf mois de prison, pour des propos tenus à l’encontre de la monarchie espagnole et ses turpitudes financières (cela alors que poursuivi par la justice, l’ancien souverain Juan Carlos vit lamentablement réfugié dans les émirats du golfe). Également mis en cause, ses propos à l’encontre de la police espagnole, au sein de laquelle se multiplient les cas patents d’affiliation active à l’extrême-droite ; non sans réveiller les pires souvenirs du franquisme (le régime tortionnaire fasciste qui s’est imposé dans la péninsule à l’issue de la Guerre civile des années 30 et s’y est maintenu jusqu’au milieu des années 70, générant d’importantes lignées d’héritiers nostalgiques toujours très actifs dans l’appareil répressif actuel).
L’exaspération suscitée par une telle condamnation d’un artiste est à son comble, alors que l’actuel gouvernement espagnol repose sur une alliance théoriquement de gauche, entre les socialistes et la nouvelle gauche de Unidas Podemos, laquelle se voudrait radicale, étant née du “mouvement des places” (version espagnole, beaucoup plus populaire et offensive, de nos sympathiques “nuits debout”). Oui mais, gouvernement ou pas, l’ancrage ultra-réactionnaire des tribunaux espagnols est le fruit venimeux des compromis sans nombre, acceptés dès l’institution de la nouvelle “démocratie” espagnole, par les partis de la gauche gestionnaire, avide d’occuper les places.
Au-delà du seul cas Hasél, les divers appels à manifester, les slogans entonnés, ont vite débordé sur tous les thèmes qui exaspèrent la société espagnole, que l’épidémie de Covid précipite encore un peu plus dans la misère, tandis que la question du logement, avec les expulsions d’appartements par les fonds vautours, est un cancer qui pourrit la vie des habitants d’une métropole telle que Barcelone. Laquelle, même gouvernée par la Alenka Doulain du cru, est globalement en proie à une gentrification extrémiste, au rythme d’un néo-libéralisme effréné, de métropole globalisée de l’affairisme et du tourisme mondialisés. Sans parler de la colère spécifiquement indépendantiste, dont les élus sont plus que jamais majoritaires dans les urnes, mais pour certains incarcérés depuis des années.
Encore ce samedi 6 mars, une nouvelle manifestation avait lieu à Barcelona, cette fois sans débordement. Un moment fort du rassemblement, sur la place Tetuan, fut la diffusion d’un enregistrement réalisé par le détenu, le 2 mars dernier, depuis sa prison de Lleidà (Catalogne). En voici le texte, récupéré, décrypté et traduit à partir d’un enregistrement de qualité incertaine, par le correspondant du Poing à Barcelona :
” Ce n’est pas qu’à cause du manque de liberté d’expression. Ce qui me paraît très intéressant, et nécessaire, est ce qui se passe en divers lieux, qui consiste à lier la question de la liberté d’expression à l’absence d’autres droits et libertés ; à faire le lien avec les manifestations et les campagnes de mobilisation. C’est à cause de la négation de droits tels que le travail digne, le logement accessible, que nous nous trouvons obligés de manifester, et que donc nous sommes réprimés pour cela, et que nous créons nos chansons, nous exprimons sur les réseaux sociaux, et faisons grève.
“Unir nos luttes nous renforce. Grâce à cela nous trouvons d’autres voies pour avancer, et gagner. Par exemple, récemment en France, le mouvement étudiant a été un acteur puissant dans la lutte contre la réforme du travail, conscients qu’ils sont d’être les travailleurs du futur. Leur unité avec d’autres secteurs a contribué à relever le niveau de combattivité, et à empêcher que l’âge de la retraite soit repoussé. Tout cela a occasionné des millions (d’euros) de pertes, avec des désordres, des grèves, des sabotages, à l’oligarchie française qui dirige l’État, obligée de céder, à travers son gouvernement.
“Nous sommes l’immense majorité, qui souffre du manque de libertés et de droits. S’ils peuvent nous piller, c’est parce qu’ils sont parfaitement organisés pour nous écraser, sans écarter aucun moyen pour cela. A cause de ça, ceux qui n’hésitent pas à exercer la violence pour nier nos droits, deviennent extrêmement nerveux quand on parvient à remettre en question leur monopole de la violence, qui leur assure de si bons résultats.
“C’est pour cela aussi que leurs organes de manipulation consacrent autant d’efforts à occulter les causes des désordres, leur violence provoque cette réaction. Ils occultent aussi le fait que ces affrontements de ne se produiraient pas si n’étaient pas niés nos droits et libertés fondamentaux. Les oppresseurs sont les premiers à être conscients de la façon dont sont obtenues les avancées, historiquement [enregistrement coupé ici].
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