Le tribunal ordonne la réintégration d’un prof soupçonné de harcèlement à l’école d’architecture de Montpellier

Le Poing Publié le 2 juin 2021 à 09:51
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Le média montpelliérain Métropolitain révèle, après avoir pu consulté l’ordonnance du juge des référés, que le tribunal administratif de Montpellier ordonne la réintégration de Jacques Brion, ancien professeur de l’Ecole Nationale d’Architecture de Montpellier, sous le coup d’une enquête judiciaire et soupçonné de harcèlement. Le Poing vous propose un petit retour sur cette histoire où se mêlent conditions de travail dégradées, pressions diverses et harcèlement moral et sexuel.

Printemps 2018 : un rapport sur les risques psycho-sociaux à l’ENSAM

Fin mai, le journal d’investigation montpelliérain Le D’Oc révèle les résultats d’un pré-rapport sur les risques psycho-sociaux encourus par les enseignants, personnels et étudiants de l’ ENSAM (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier.) Celui-ci, diligenté par la direction, fait suite à des signalements à répétition de la médecine préventive sur des situations de souffrance au travail. Management défaillant, personnel stressé, pressions au non-renouvellement de contrat, déficit de communication, démocratie tronquée dans les conseils représentatifs et les élections, relations interprofessionnelles construites sur la suspicion, défiance envers les instances : la situation semble assez noire depuis des années maintenant. Certains enseignants ont entamé des démarches judiciaires, avec l’appui du témoignage de deux étudiantes, pour des faits de harcèlement sexuel et d’abus de pouvoir.

Déjà en septembre 2018 l’école avait défrayée la chronique en recrutant Stéphanie Jannin, alors adjointe au maire Philippe Saurel et tout juste condamnée pour conflit d’intérêt, ce qui avait provoqué des procès en cooptation douteuse de la part de plusieurs autres enseignants de l’établissement.

Deux mois plus tard sort la version définitive de ce même rapport. Scandale : les plus hauts responsables de l’école, accusés de « violences verbales récurrentes », ont tout simplement disparu du rapport. Les comportements de harcèlement sexuel dénoncés sont mis au conditionnel…

Le ministère de la Culture, qui a la tutelle des écoles d’architecture, déclenche une inspection générale des affaires culturelles dès le mois de septembre.

Automne 2018 : la parole se libère

Fin octobre, une série de tags fleurissent sur la façade de l’établissement, rue de l’Espérou. Ils accusent de harcèlement et de complicité plusieurs professeurs, notamment Laurent Duport, Jacques Brion, qui présidait la commission des formations et de la vie étudiante et la commission pédagogique et scientifique jusqu’en 2018, Mme Elodie Nourrigat, compagne de M. Brion directrice du nouveau GRF (Groupe de Recherche et Formation) HITLab (controversé pour accueillir plus de contractuels que de chercheurs titulaires). Et l’ancien directeur de l’école, Alain Derey, qui annonce son départ au mois d’août, dès que l’affaire enfle, et passe Président Directeur Général des librairies Sauramps début octobre. Un compte instagram, « Ensamafia », ouvert aux témoignages de violences et pressions au sein de l’école d’archi est en ligne.

La parole se libère : « J’ai quitté l’école au bout du premier semestre de cinquième année. […] En sortant de l’école d’archi de Montpellier, je n’ai plus du tout eu confiance en moi suite aux menaces et humiliations. », témoigne une ancienne étudiante de l’ENSAM sur le fameux compte Instagram. Un autre : « J’ai pu subir des menaces, du type « Si tu fais pas ça, je vais te retrouver dans le trombinoscope et te faire virer de l’école » » Ou encore : « Les plus talentueux à la sortie de l’école se voyaient proposer un stage, non payé la plupart du temps, ou embauchés (c’est-à-dire en salariat déguisé, bonjour les auto-entrepreneurs ), à des prix si bas que la plupart arrêtaient l’architecture dans les trois ans. »

Une lettre diffusée début novembre par 170 étudiants parle d’une « ambiance de travail polluée », d’un « climat de tension », et d’un « silence écrasant qui empêche d’étudier sereinement. » Le procureur de Montpellier ouvre une enquête préliminaire.

Au mois de décembre le ministère stoppe le recrutement d’un nouveau directeur au sein même de l’école, préférant qu’un nouveau dirigeant soit provisoirement sélectionné hors de l’école, avec pour mission d’y ramener un climat d’études et de travail plus serein. Il faut dire qu’après le départ en octobre d’Alain Derey,, le Conseil d’Administration de l’école lui avait choisi comme successeur… la compagne de Jacques Brion, Elodie Nourrigat. Jacques Brion est quant à lui suspendu pour une période quatre mois.

En Février 2021, Anne Matheron est placée à titre provisoire par le ministère au poste de nouvelle directrice de l’école. Au même moment Jean-Marc Aubert, du média Métroplitain, tente sans beaucoup d’éléments de blanchir l’image du professeur Jacques Brion.

Le 8 avril, la section disciplinaire nationale du ministère de la Culture rend une nouvelle décision, après que le professeur Brion ait été entendu par l’Inspection Générale des Affaires Culturelles (IGAC), et que celle-ci ait rendu son rapport. Brion, pour lequel le conseil de discipline a été saisi pour des faits de harcèlement moral et d’abus de pouvoir verra sa suspension prolongée de neuf mois. Le conseil écarte les accusations d’abus de pouvoir, et juge les faits de harcèlement moral non entièrement caractérisés, préférant parler de « comportements problématiques réguliers ». Aucune sanction administrative ne peut être prise contre l’ancien directeur Alain Derey, qui est passé dans le privé.

Sanction administrative annulée pour Jacques Brion

Jacques Brion et son avocate Maryse Péchevis lancent un recours auprès du tribunal administratif. Contestant l’impartialité de l’enquête du ministère, ils accusent ce dernier de se servir de cette affaire pour montrer patte blanche face aux mécontentements liés à des problèmes récurrents de fonctionnement dans toutes les écoles d’architecture du pays. Et dénoncent une « minorité de personnes internes et externes désireuse de déstabiliser l’ENSAM »

Le 28 mai le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier rend son ordonnance : il ordonne la réintégration à l’Ecole Nationale d’Architecture de Montpellier de Jacques Brion, d’ici à la fin du mois de juin, et ordonne à l’Etat de lui verser 1000 euros au titre des frais de justice engagés. En attendant l’examen au fond de cette affaire, toujours sur un plan administratif, qui couramment dans ce type d’affaires intervient sous quatre mois.

J. Brion et son avocate ont relevé que le signataire de l’arrêté, le secrétaire général du ministère de la Culture, n’est pas compétent pour prendre une telle décision, tout comme la section disciplinaire du conseil national des enseignants chercheurs des écoles nationales supérieures d’architecture, que seuls trois membres sur quatre ont siégé en violation du texte officiel, que la section disciplinaire du conseil pédagogique et scientifique de l’Ensam n’a pas été saisie, ce qui est illégal, et que les droits de la défense et la procédure contradictoire ont été méconnus.

Le Poing a pu contacter Maryse Péchevis, l’avocate de M. Brion : « Le rapport de l’IGAC que nous avons pu avoir entre les mains est rayé de noir, sur tous les éléments qui ne concernent pas M. Brion. Une trentaine d’auditions réalisées par l’IGAC sont versées au dossier. Or je sais qu’une cinquantaine d’auditions ont été réalisées au total. Et que la vingtaine mises de côté sont plutôt favorables à M. Brion. Les auditions sont partiellement occultées elles aussi, sur les même critères… Des témoignages, anonymes, ont été versés au dossier, et eux aussi sont rayés de noir. Or une commission disciplinaire comme celle-ci est tenue de communiquer l’ensemble du rapport à une personne sous le coup de mesure disciplinaires… » 

Le juge, dans son ordonnance, en plus de valider l’illégalité présumée de la décision du Ministère de la Culture, argue de l’état d’urgence économique dans lequel se trouverait M. Brion : « L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif, lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public. M. Brion privé de son traitement de professeur pour neuf mois justifie d’une situation d’urgence, même s’il dispose à titre accessoire de revenus comme gérant d’une agence d’architectes »

En attendant les résultats de l’examen au fond de cette affaire sur son versant administratif, et ceux de l’enquête judiciaire, qui concernant M. Brion ne porte pas sur les harcèlements sexuels, Mme Péchevis voit dans cette agitation une forme de procès politique : « Vraisemblablement, l’acharnement contre M. Brion relève plus de l’action de quelques profs d’ultra gauche qui reprochent à mon client d’être trop libéral, de tenter de préparer au mieux ses élèves à un monde très concurrentiel qu’ils rejettent. »

Sophie Mazas, avocate des plaignants qui ont déposé une plainte au pénal, pense quant à elle que le ministère n’en restera pas là. Lui reste la possibilité de relancer une procédure, expurgée de ses vices de forme.

D’après une source proche de l’enquête, les enquêteurs de la police se montreraient très dubitatifs sur l’ensemble des faits dont le Parquet a été saisi, y compris les faits de harcèlement sexuel.

Pourtant de nombreux témoignages caractérisent les faits. Il est de notoriété publique parmi les pénalistes que les faits de harcèlement sexuel ont peu de chance d’être poursuivis en justice : culture du viol, difficultés légales dans la caractérisation des délits. Pour autant, tout n’est pas joué : le nouveau procureur général de Montpellier, Fabrice Bélargent, semble avoir fait de la lutte contre les violences de genre son image de marque. Qu’on se rappelle de la caractérisation en « délit pour des motifs liés au genre », circonstance aggravante, dans l’affaire du chauffard qui avait tenté de renverser des colleuses féministes pendant l’été 2020 à Montpellier.

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