Les anti-Décathlon entre évidence écologique, arguties juridiques et méandres politiques
Le projet Oxylane est archi indéfendable. C’est l’évidence. Mais rien ne colle avec le réel, dans les décisions de justice et les atermoiements des autorités.
C’est massif. C’est carré. C’est définitif. La création d’une nouvelle zone commerciale, en prolongement du monstrueux capharnaüm urbain d’Euromédecine, du rond-point de la Lyre et du Carrefour de Saint-Clément, constituerait une négation violente de tout ce qu’on croit comprendre de l’urgence climatique. Il n’est qu’à s’en tenir à l’objectif de stopper l’artificialisation des sols, et donc les zones d’activités commerciales, qui figure parmi les priorités issues de la fameuse Convention citoyenne sur le climat.
Rappelons que sur vingt-quatre hectares de bois et zones agricoles miraculeusement préservés au ras de la route de Ganges à la sortie de Montpellier, le groupe Decathlon porte le projet Oxylane. Outre sa propre enseigne, s’y rajouteraient des magasins aux marques Truffaut, O’Terra, une salle de sports, des bâtiments de bureau. Dans une agglomération déjà saturée à cet égard, c’est l’exemple même d’un projet qui tue le foncier agricole, noie la terre sous l’asphalte des parkings, accentue les déplacements automobiles, saccage les paysages, asservit l’urbain et modélise une conception aliénante des usages sociaux et des loisirs dans l’optique de la surconsommation.
C’est massif. C’est carré. C’est définitif. C’est l’urgence écologique. Certain·es se plairont à évoquer quelque « monde d’après ». Mais bon. Il y a surtout la permanence du monde du profit, de l’écrasement de nos vies et de la destruction du vivant. Avant, après, et en tout cas toujours maintenant. C’est un monde qui a pour lui la loi, les représentations, les rouages institutionnels : tout ce qui fait un État de droit, très rarement synonyme d’un état de reconnaissance des droits.
Ainsi la dernière audience survenue devant le Conseil d’État, le 23 novembre dernier. L’attaque y est portée par Non au béton, active depuis 2015 sur le dossier. Deux questions sont donc parvenues au sommet de la pyramide judiciaire administrative. La contestation porte sur une possible illégalité de la commercialisation des lots alors que les travaux d’équipements ne sont pas terminés. Et par ailleurs sur l’insuffisance du nombre d’emplacements de stationnement prévu.
À vrai dire, sur le fond, moins les parkings s’étendent, plus on se réjouit. Mais bon, à moins d’être un naïf fanatique de l’État de droit, on mise sur de tels recours dans l’espoir d’empêcher la réalisation d’un projet, sinon en ralentir l’avancée, comme autant de gagné pour la lutte de terrain. C’est de bonne guerre. Sans se passionner sur les questions pointées, relevons vite que le rapporteur sur ce dossier – dont l’avis est généralement suivi au moment du délibéré – a conclu en la défaveur des anti-Oxylane.
Il y aurait assez de parkings. Et la commercialisation sans les équipements nécessaires ne serait que « souplesse qui permet d’anticiper les travaux sans purger les délais d’instruction ». C’est dire la valeur que la Justice elle-même accorde, par a priori, aux recours intentés contre un projet. Voilà donc une bataille de perdue (très probablement). Non au béton se bat encore sur le permis d’aménager modificatif. Un autre groupe d’opposants, le collectif Oxygène, avec son noyau constitué d’habitants du secteur, agit par ailleurs au Tribunal administratif avec une demande d’annulation partielle du Schéma de cohérence territoriale (Scot) du Grand Pic Saint-Loup, et en appel administratif à propos de la loi sur l’eau.
Mais comment dire ? Quel sentiment inspire l’examen des arguties juridiques, la mesure du fossé entre les dispositions de l’État de droit, et l’aveuglante inadéquation de la vision du monde qu’elles prétendent encadrer, quand tout rend évident que le projet Oxylane est mort, nul, aberrant et enterré, au regard de l’urgence climatique ? Faut-il alors se fier à la clairvoyance des autorités ? La Communauté de communes du Grand Pic Saint-Loup, avec son président Alain Barbe, maire des Matelles, continue de défendre ce projet, essentiellement au nom de l’emploi, quand il faudrait réfléchir en projet de monde, de société et de vie, contre un autre projet de monde, de société et de vie.
Le confinement n’a pas permis d’y voir encore très clair sur une évolution de la tendance parmi les élus de toutes ces communes, avec le renouvellement des équipes municipales lors du scrutin dernier. Le collectif Oxygène entend multiplier les contacts de ce côté-là. Pour l’instant, on retient la schizophrénie d’une Communauté de communes qui vient par ailleurs de noircir les pages du quotidien régional avec la désignation de son dispositif de sentiers de grande randonnée comme étant soit-disant le préféré des Français. Le Pic Saint-Loup, ce miracle de la nature, cerné de voies rapides, de lotissements et centres commerciaux…
Il y a bien le délicieux Michaël Delafosse, farouche opposant à Oxylane, mais bien heureusement situé sur un territoire communal qui ne le concerne pas, ce qui lui laisse le loisir de bétonner à tout va de l’autre côté de l’agglomération. Reste le Préfet de l’Hérault, dont les anti-Decathlon aimeraient parvenir à sonder les intentions. Déjà en septembre 1998, son prédécesseur avait demandé aux communes le retrait du projet Oxylane du Scot du Pic Saint-Loup, au nom du péril de réduction des terres agricoles et des espaces biologiques.
On pensait qu’un cran supplémentaire avait été franchi, dans le cadre de la Convention citoyenne sur le climat. Le chef de gouvernement a très clairement donné aux préfets l’instruction d’ utiliser « toutes les possibilités de recours visant à empêcher les projets de centres commerciaux qui accentuent l’artificialisation des sols ». Cela en vue d’un moratoire général qui serait officialisé en début d’année prochaine, dans la perspective de la loi climat à discuter au printemps, pour une entrée en vigueur possible en fin d’année 2021.
Les anti-Oxylane sortent de tout ce maquis en traduisant clairement : il faut prononcer le gel immédiat du projet.
Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :