Les anti-pass de Montpellier : encore un effort de clarification
Il n’est pas trop tôt pour tirer quelques leçons de l’impressionnant mouvement montpelliérain de dénonciation du pass sanitaire ; et son parcours parfois tortueux.
« La liberté toute seule, ça peut être le libéralisme. La liberté ne va pas sans solidarité. Le vrai problème aujourd’hui, c’est la solidarité. Justice sociale ! Justice fiscale ! Justice climatique ! Le reste en découle ! » : ces quelques phrases ont résonné très fort samedi, au début du septième rassemblement montpelliérain contre le pass sanitaire. Ces quelques phrases étaient prononcées par une Gilet jaune de Gignac, parmi les discours précédant la manifestation. On avait déjà beaucoup entendu chanter “On est là – On est là” ces dernières semaines. Mais ce chant n’a pas à devenir un folklore. Ce chant poursuit un moment capital de l’histoire des mouvements sociaux à Montpellier (et ailleurs).
Si des discours divers, et ouverts, ont été entendus ce samedi 28 août à Montpellier, cela allait de pair avec la levée d’une hypothèque pesant lourdement sur le mouvement : soit l’éviction de son leader jusqu’alors, Christophe Derouch, et ses accompagnateurs de la Ligue du Midi, groupe aux méthodes ultra-violentes, sur des bases idéologiques ouvertement fascistes, identitaires, racistes, sexistes et homophobes. Des formations directement néo-nazies se sont encore distinguées ce samedi. Les antifascistes ont dû à nouveau leur imposer la dispersion, plus clairement victorieux que jamais. Ce risque est-il pour autant anéanti ? Nous y reviendrons dans un prochain article.
Lors des premières actions antifas dans les cortèges début août, Le Poing avait salué une « amorce de clarification » salutaire au sein du mouvement anti-pass sanitaire. De manière affligeante, cela nous avait valu d’être accusés de passion groupusculaire pour la division, notamment par les Gilets jaunes du Rond-Point de Prés d’Arènes, fussent-ils de fibre “progressiste”. Nous n’aurons pas varié d’un iota : aucune tolérance ne peut être concédée à la présence violente de militants fascistes pratiquant l’agression et l’intimidation au sein d’un mouvement social (et encore moins à la tête même de ce mouvement). L’histoire a tranché.
Et de l’histoire, il est déjà temps de tirer quelques leçons. Au moins les soumettre au débat. Par exemple il en va de l’illusion qu’un mouvement l’emportera par la seule force de conviction du nombre. Le nombre seul ne fait pas peur au pouvoir, mais la puissance d’initiative, la force et l’audace des actions, le refus qu’elles soient ritualisées, répétitives, seulement ordonnées et prévisibles en tout point.
Cela passe aussi par la discussion ouverte, contradictoire, directe, qui élargit le sens des combats, qui aiguise le sens politique, et ne se soumet pas au monologue de leaders autoproclamés. Même non victorieux dans leur objectif annoncé, les mouvements sociaux grandissent par la richesse de leur expérience, la maturation des prises de conscience. Cela passe par le débat.
Quand il tendait le micro de son mégaphone à celle qu’on tenait alors pour son bras droit, Christophe Derouch semblait dans le ton, la présenter comme une sympathique mascotte, plutôt inoffensive. On n’en est pas si sûr, par tout ce qu’on peut remarquer sur les fils de discussion où échangent les acteurs du mouvement montpelliérain antipass. La jeune (trentenaire) Khawla Maroc, signant d’un seul “K” use de la première personne du singulier d’autorité, pour énoncer ce qu’elle a décidé. Maintenant qu’elle s’est substituée à Christophe Derouch, il ne faut pas considérer qu’elle en constitue une alternative. C’est toujours le modèle du leader qui se présente ainsi, contre la diversité éruptive du mouvement social.
Du passé politique de Khawla Maroc, on ne relève guère, sur les réseaux sociaux, qu’une propension à “liker” des publications de l’UDI du Gard. Cela peut faire sourire quand on sait comment cette formation de la droite républicaine soutient globalement la politique d’Emmanuel Macron dans la gestion de la pandémie. Mais passons. Khawla Maroc a le droit d’évoluer et de se prononcer en nom propre. A vrai dire c’est surtout l’influence d’Yvan Lachaud, le leader gardois de cette formation, qu’on craint dans cette affaire.
Khawla Maroc a suivi la formation de l’Institut d’Alzon, établissement privé que dirige le politicien nîmois. Lequel confond strictement sa vision du monde avec les tripatouillages de sa guerre d’influence menée contre Jean-Paul Fournier, maire de Nîmes (quoique du même bord). En 2013, Yvan Lachaud soutenait ardemment la Manif pour tous. Investi par LREM aux municipales de 2019, il se contente de “regretter” cet engagement, non sans préparer une rocambolesque alliance avec EELV au second tour. Peut-on espérer que ce bain politicard n’ait pas trop déteint sur la jeune et entreprenante Kahwla Maroc ?
Plus alarmant à pésent : son alignement aveugle et obstiné au cours des dernières semaines, quand elle n’a jamais un message pour s’inquiéter des actions violentes effectives de la Ligue du Midi, dans la proximité de son “patron” d’alors, Christophe Derouch. En revanche, elle n’a de cesse d’accabler les antifascistes qui tentent de jouer les lanceurs d’alerte au sein des groupes de discussion anti-pass. La jeune femme paraît spontanément pencher pour le parti de l’ordre.
Elle ne trouve guère à redire aux injonctions du Préfet sur le tracé des parcours (surtout pas de débordements, surtout pas de violence). Quant aux dissensions au sein même des cortèges, elle s’inquiète des foulards noirs des antifas, taxés de “zadistes”, mais pas des coups et blessures infligées par les gants coqués de la Ligue du Midi. Le procès de la Fac de droit n’a-t-il pas montré toute une caste régionale séduite par l’ordre d’extrême-droite s’il faut contenir la contestation ?
Des nombreux messages de Khawla Maroc, on restituera le ton juste à travers un exemple, s’adressant à une interlocutrice : « J’ai une vidéo de toi et ta bande en train de créer tensions et embrouilles pendant la manifestation. Une liste de noms et visages a été établie ». Elle évoque encore « une vingtaine d’ex Gilets jaunes et communistes énervés », et avertit : « Ce n’est pas une petite bande recyclée d’adorateurs de Satan (sic) qui nous ferons peur » (reprenant la phraséologie des groupes complotistes les plus obscurs).
Et de sombrer dans la manipulation confusionniste en dénonçant, de la part des antifascistes, « des discours jouant avec la peur en assurant avoir été témoins de violences durant les manifestations [violences d’extrême-droite, partout documentées, qu’elle retourne comme organisées par les antifascistes eux-mêmes (!!!)] « afin de discréditer le mouvement et continuer dans la division et la peur ».
Les allocutions publiques de Khawla Maroc, très lyriques, la montrent sincèrement soucieuses des libertés individuelles, adhérant aussi à une large vision d’un peuple uni dans l’expérience, sans divisions. On y décèle l’influence des réseaux sociaux, qui mélangent dans une seule et même phrase solidaire « les soignants, les forces de l’ordre » (comme si ces fonctions sociales, partant les implications politiques, s’équivalaient), le mythe d’un peuple pur et rédempteur par-delà toutes contradictions (pourtant effectives), l’insistance sur la protection de « nos enfants » (c’est devenu un thème où l’on craint un travail souterrain de Q-Anon, ce mouvement de l’extrême-droite trumpiste, influent aussi en France, qui dénonce un réseau satanique de violeurs pédophiles). On aimerait aussi que l’appel insistant au “Grand Réveil” ne fasse écho aux thèses du “Great Reset”, quasi explicitement antisémite. Ces confusions prennent le dessus sur toute compréhension sociale des phénomènes… sociaux. Et cela tisse l’essentiel de la toile, à l’heure qu’il est.
On reconnaîtra à Khawla Maroc l’habileté de donner l’impression que la sombre page Derouch/Ligue du Midi est tournée, presque sans qu’on s’en rende compte. Au comble de l’inculture politique (plutôt que du cynisme, espère-t-on) on a vu la jeune nouvelle leader envisager de partager son service d’ordre entre les fascistes de la Ligue du Midi et les… antifascistes ! On préfèrerait en rire si le bruit de fond de ces confusions ne débouchait sur la description ahurissante, faite du dernier cortège, par France-bleu Hérault. En ces termes : « Pompiers et soignants étaient en tête du cortège. Des Gilets jaunes, des militants fascistes et antifascistes étaient présents ». Tout pareil. Tout s’équivalant. Puisque par ailleurs, il y avait aussi des fleuristes et des charcutiers.
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