Les bienfaits du blocage pour faire décoller une lutte étudiante : l’exemple de la faculté Paul-Valéry

Le Poing Publié le 7 avril 2018 à 14:40 (mis à jour le 27 février 2019 à 13:12)
Assemblée générale à la faculté Paul-Valéry, le 27 mars 2018

La lutte, c’est du taff : tractages, collages, organisations d’assemblées générales (AG) et de manifestations, rédactions de communiqués, etc. Parfois, tout ce travail militant ne sert à rien, ou presque. D’autres fois, cela finit par mettre le feu à la plaine. À Montpellier, les AG de lutte contre la loi ORE sont passées de 100 à… 2500 personnes. Le Poing vous livre un témoignage partiel et partial sur ce processus de lutte qui, pour le moment, ne fait que se renforcer.

La persévérance, une nécessité

La mobilisation a débuté en novembre 2017 à l’initiative du syndicat Solidaires Étudiant·e·s et d’un noyau de militants qui se sont rencontrés au cours de la mobilisation contre la loi travail, au printemps 2016. Malgré de nombreux tractages et des prises de paroles dans les amphithéâtres, les AG rassemblent péniblement une centaine de personnes entre novembre et février. Le 1er février, suite à un appel syndical national, 200 étudiants manifestent contre la loi ORE. Le 12 février, une quarantaine de militants décident de perturber une réunion organisée par la présidence et se réunissent dans la foulée en AG dans l’amphi principal, alors que les dernières AG avaient lieu dans des amphis « secondaires ». Lors de cet AG, les étudiants votent le blocage de la faculté pour le 15 février, dans le but d’informer le plus de monde possible sur les conséquences destructrices de la loi ORE.

Le blocage, une stratégie gagnante

Alors que les précédentes AG réunissaient au maximum 200 personnes, celle du 15 février, jour de blocage, rassemble plus de 1 000 étudiants. Beaucoup d’entre eux étaient principalement venus dans l’idée de débloquer l’université, mais après un long point d’information sur la nature de la loi ORE et trois heures de débats, la majorité des étudiants présents votent le blocage pour les jours de mobilisation, et pour le 16 et le 26 février (les étudiants étant en vacances du 17 au 25 février). Le 26 février, la faculté est donc bloquée et une nouvelle AG réunit près de 800 personnes, dont des membres du personnel de la faculté. Lors de cette AG, une nette majorité s’oppose à la loi ORE mais des divergences éclatent sur les modalités d’action. Les propositions d’occuper l’amphi et de bloquer la faculté jusqu’au 2 mars sont tout de même votées. Le comité de mobilisation qui se tient juste après l’AG réunit une centaine de personnes. De nombreuses commissions fleurissent et des contacts sont établis avec d’autres universités en lutte.

L’engagement des profs et des membres du personnel, un atout décisif

Le 8 mars, environ 150 membres du personnel, dont une majorité de professeurs, se réunissent pour discuter du plan ORE. Presque tous les intervenants s’y opposent. Soucieux de ne pas déléguer aux seuls étudiants la lutte pour la défense du service public, ils votent à l’unanimité moins trois voix la grève pour le 15 mars et appellent leurs collègues à se réunir par département et par composante. Dans la foulée de l’AG des personnels, environ 1 200 étudiants se rassemblent pour une AG flamboyante qui dure près de cinq heures. Le débat se cristallise autour de trois camps : ceux qui considèrent que seul le blocage permet d’instaurer un rapport de force capable de faire plier le gouvernement ; ceux qui sont contre la loi ORE mais qui considèrent que le blocage divise et pénalise les étudiants ; et ceux qui sont contre le blocage et contre toute forme de mobilisation sociale. L’AG vote contre le blocage et l’occupation de la faculté jusqu’au 15 mars (600 contres, 487 pour), mais pour perturber les réunions de la direction. Rebelote le 15 mars : une nouvelle AG des membres du personnel reconduit l’appel à la grève pour le 22 mars et une nouvelle AG étudiante d’environ 1 000 personnes a lieu dans la foulée. Cet AG vote cette fois-ci en faveur du blocage et de l’occupation de la faculté et pour la mise en place d’un emploi du temps substitutif. L’AG vote aussi pour la démission du président de la faculté, Patrick Gilli, qui ne cesse d’envoyer des mails aux étudiants pour les dissuader de lutter. Le 16 mars, plus de 300 étudiants et lycéens viennent grossir les rangs d’une manifestation des retraités et des personnels des EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).

L’occupation active, une force

L’occupation de la faculté entre le 15 et le 22 mars a été un moment décisif pour l’intensification de la lutte. L’ouverture des locaux et la mise en place d’un emploi du temps substitutif ont permis d’accueillir et d’amener à la lutte de nombreux étudiants, professeurs, lycéens et personnes extérieures au monde universitaire. Ce foisonnement militant explique la création de dizaines de commissions au sein du comité de mobilisation. Entre le 19 mars et le 5 avril, il y a eu des cours ouverts à tous sur la démasculinisation de la philosophie, le rôle du divertissement dans nos sociétés, les luttes viticoles dans les années 1970 ou bien encore la place du post-humanisme dans l’art. Un avant-goût de l’université gratuite, critique, populaire et émancipatrice pour laquelle les étudiants mobilisés se battent.

La question de l’antifascisme

Lors de la mobilisation du 22 mars pour la défense des services publics, on compte plus de 2000 étudiants et lycéens parmi les 8000 manifestants. Après la dissolution officielle de la manifestation, près d’un millier d’étudiants et lycéens investissent un amphi de la faculté de droit pour y tenir une AG. Les étudiant votent l’occupation pour la nuit, qui se termine, comme chacun le sait, dans la violence. Le combat antifasciste s’ajoute alors naturellement aux revendications sociales portées par le mouvement contre la loi ORE. C’est d’ailleurs le comité de mobilisation qui prend l’initative d’organiser une manifestation le 25 mars pour barrer la route à la Ligue du Midi. Parallèlement à l’action de rue, une commission « juridique » se crée pour s’assurer que les responsables du commando ne dorment pas tranquillement.

L’AG du 27 mars, la flamboyance

Le 27 mars, des milliers de personnes se massent dans l’amphi prévu pour l’AG. Il est finalement décidé de faire l’AG en plein air tant il y a de monde. Après le déploiement d’un vidéoprojecteur, d’un barnum, d’un écran et la libération d’allées de sécurité, l’AG peut enfin débuter. Plus de 2 500 personnes sont présentes. Devant les caméras et les micros de la plupart des médias nationaux, les collégiens, lycéens, étudiants et membres du personnel de l’université votent à une écrasante majorité pour le blocage et l’occupation illimitée de la faculté et pour la démission de Macron. À la fin de l’AG, 1 000 manifestants partent en direction du commissariat pour dénoncer les policiers qui avaient refusé quelques heures plus tôt de recevoir les témoignages d’étudiants victimes du commando armé de la faculté de droit.

Et maintenant ? La lutte ou l’enlisement ?

Le 3 avril, les étudiants et les lycéens manifestent dès 11h contre la loi ORE et son monde. Certains téméraires envoient des bombes de peinture sur les CRS. Les vitres du Monoprix explosent. À 14h, le cortège de la jeunesse rejoint celui de la CGT. La dissolution « officielle » de la manifestation ne convient pas aux étudiants et aux lycéens, qui font durer le plaisir en partant vers la faculté de droit, bloquée par les policiers, puis vers le site Saint-Charles, pour y tenir une AG interprofessionnelle, qui décide de refaire des AG interprofessionnelles. Le lendemain, le 4 avril, 500 étudiants se réunissent en AG. Ils décident de négocier avec la direction de la faculté et de restructurer le comité de mobilisation autour des commissions principales pour éviter de tomber dans le piège de la parlotte à outrance qui avait gangréné le mouvement Nuit Debout. Dans la même journée, les membres du personnel réunis en AG votent pour donner le semestre à tous les étudiants, afin de ne pas pénaliser ceux qui luttent, comme cela était réclamé depuis longtemps par les étudiants mobilisés.

La seule question qui se pose désormais, c’est celle de savoir ce qui sortira de cette lutte. Sommes-nous prêts à nous battre jusqu’au bout contre ce gouvernement qui veut chasser les pauvres des universités ? Serons-nous capables de faire preuve d’intelligence collective pour éviter de nous diviser et contourner les pièges des fascistes et de la police ? Allons-nous réussir à tisser des liens avec les autres secteurs en lutte ? Patrick Gilli va-t-il s’exiler sur une île déserte ? La suite, camarade, c’est toi qui l’écris !

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