Les gilets jaunes s’enlisent-ils ? – Entretiens avec des manifestants de Montpellier

Le Poing Publié le 4 mars 2019 à 15:20 (mis à jour le 4 mars 2019 à 18:17)
Depuis le 17 novembre, le Poing vous livre les récits des journées des manifestations des gilets jaunes sur Montpellier et ses alentours. Mais pour vous dire la vérité, l’exercice est devenu de moins en moins plaisant au fil du temps : marre d’écrire qu’on a gueulé « Macron tête de con », qu’on s’est fait gazer devant la préfecture avant de se faire pourchasser par la BAC. Il faut se le dire : les samedis se répètent et se ressemblent. L’irruption populaire de masse s’est finalement ritualisée et banalisée, provoquant un sentiment d’enlisement. « Est-ce vraiment utile de se faire gazer tous les samedis sans voir la prochaine étape ? », « Quel est l’issue du mouvement ? »… : c’est avec ce genre de questions que j’ai abordé quelques gilets jaunes parmi les deux milles manifestants présents à Montpellier samedi dernier lors de l’acte XVI. Extraits.

« Une autre stratégie est possible »

« C’est toujours la même chose mais on est toujours là ! » me répond une dame déterminée. Son amie nuance le propos : « Alors, il y a la moitié des gilets jaunes qui pensent comme toi, et d’autres qui continuent à venir le samedi, moi-même je vais te le dire, je viens prendre ma dose de gazage ! Après c’est sûr, il fallait qu’on garde nos blocages – que ce soit la raffinerie ou les ronds points –, mais ça n’a pas marché. Du coup on se retrouve là pour manifester le samedi. On est là ! »

« Une issue politique ? » répète un homme d’une cinquantaine d’années après ma question. « L’issue, c’est un grand bordel sans nom si le seize mars, à la fin du grand débat, les mesures qui sont demandées par les gilets jaunes ne sont pas prises en compte. Je crains que mai 68 ne soit qu’une rigolade dans l’histoire de France. C’est encore utile d’être là tous les samedis, de battre le fer tant qu’il est chaud. Il n’y a aucun avantage qui a été gagné dans l’histoire sans qu’on sorte dans la rue. Le blocage, c’était bien quand on était sur les ronds points, mais on ne peut plus le faire parce qu’il y a une nouvelle loi qui est passée concernant le trouble et l’entrave à la circulation. C’est une loi qui existait déjà, mais elle a été renforcée : maintenant, dès qu’il y a un blocage, le préfet envoie les forces de l’ordre. Maintenant on est hors-la-loi à partir du moment où on bloque ou on filtre les voitures, donc on est plus sur les ronds points mais en manif’. »

Le cortège se perd dans l’Écusson, et Françoise, la cinquantaine, accepte de me donner son avis : « Je pense qu’une autre stratégie est possible. Il faut réfléchir à des actions sur la durée pour faire peur à Macron. Des actions un peu moins prévisibles, un peu moins ordonnées, comme au début du mouvement parce que c’est ça qui lui fichait la trouille à Macron. La manif’, c’est visible, mais on voit bien comment ils font là-haut : ils truquent les chiffres… Et quitte à fatiguer les forces de l’ordre, il faut les fatiguer aussi le dimanche et la semaine ! »

« Maintenant il faut faire quelque chose qui impulse la révolution »

« Le gouvernement est têtu, mais le mouvement aussi m’affirme Mila, la vingtaine, alors qu’on se dirige vers Albert Ier. Il ne faut pas dire que le mouvement a perdu parce qu’il a déjà gagné quelque chose de plus fort que mille vitrines pétées ou mille flics à l’hôpital : on a déjà gagné le fait que la politisation et la conscientisation reprennent dans la population et sortent des cercles gauchistes habituels, et ça c’est déjà une grosse victoire ! Maintenant, il faut faire quelque chose qui impulse la révolution, parce qu’au point où en est le mouvement, il n’y aura pas de RIC ou de réformes à la con. Le mouvement ne peut que mourir ou devenir la révolution. »

Deux royalistes avec un drapeau fleur de lys semblent s’être perdu dans la manifestation et se font huer par une partie du cortège qui gueule : « royalistes cassez-vous » ! Je poursuis mes entretiens avec une trentenaire : « Alors, aujourd’hui on est moins nombreux mais c’est parce qu’il y a un appel à manifester à Alès. Mais oui, j’aimerais bien faire d’autre chose que des manifs, mais quoi ? Elle est là la question. Retourner sur les ronds points ? Bloquer ? Moi, je ne voulais pas bloquer parce que je trouve que ce n’est pas s’attirer l’opinion favorable des gens. Je me suis imaginée bloquée avec mon gamin de quatre ans dans la bagnole, et ça m’aurait juste fait péter une durite en fait. Donc non, moi j’allais plus ouvrir les péages, mais maintenant même les ronds-points on ne peut plus les bloquer parce qu’on a une répression de ouf. On ne peut rien faire en fait, donc à part manifester le samedi, je ne vois pas quoi faire… »

Félix, gilet jaune depuis le début, prend le relais : « Quand il y a des milliers de gens dans la rue à l’échelle du territoire entier ça signifie quelque chose, ça montre bien qu’il y a une détermination et une volonté de montrer cette opposition à Macron. Après, effectivement, je pense qu’il faut avoir une discussion un peu plus stratégique sur comment être le plus efficace possible, comment on élargit les rangs des manifestations pour devenir encore plus nombreux dans les rues et se lier à certains secteurs, aux travailleurs, aux grandes corporations qui ne sont pas encore dans le mouvement, alors que Macron, malgré les manifs tous les samedis, il est en train de réaliser son programme, il se sert du grand débat pour ça, il va aller plus loin dans la casse du service public en supprimant des fonctionnaires et en touchant à leur statut, plus une réforme des retraites qui va plonger tous les retraités dans la misère, et justement le mouvement des gilets jaunes ça signifie ça, c’est un mouvement contre la vie chère ! Donc je pense qu’il y a une nécessité de prendre conscience que le programme de Macron est en train de se développer, et il faut formaliser une réelle opposition au gouvernement, pas juste ‘‘Macron démission’’. Il faut combattre les directions syndicales qui, malgré tout, savent ce qui est en train de se passer mais continuent d’aller discuter avec le gouvernement. À partir du moment où ces directions syndicales diront ‘‘stop ça suffit maintenant on répond tous ensemble’’, ça posera les bases d’une convergence qui permettra d’affronter le gouvernement. Si on n’arrive pas à dépasser ces samedis d’entre-soi et à se fédérer autour d’une opposition au gouvernement avec les syndicalistes de base contre les directions syndicales, on arrivera peut-être à une démoralisation. Après, ce n’est pas rien d’être toujours des milliers à sortir le samedi, être là à se faire gazer, flashballer… C’est une détermination qui est incroyable ! Je dis que c’est peut être juste le moment de regarder ce qui est en train de se passer politiquement, et de réfléchir des axes stratégiques efficaces pour affronter Macron et surtout, pour élargir le mouvement à d’autres secteurs. »

Crédits photos : Nathanaël Dahan

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