Les youtubeurs français, paillasson de Macron ?

Le Poing Publié le 1 mars 2021 à 20:34
Capture d'écran d'une vidéo de Mcfly et Carlito

Naïveté ou compromission ? Hier EnjoyPhoenix ou Tibo InShape, aujourd’hui McFly et Carlito : les influenceurs les plus en vue sur Youtube sont utilisés par un gouvernement peu aimé des jeunes pour redorer son image. Petit décryptage de la communication du pouvoir en place.

Concours d’anecdotes et suicides d’étudiants

Que les hommes politiques instrumentalisent des personnalités populaires pour leur com’, cela n’a rien de nouveau. On se souvient des derniers présidents français allant chercher le soutien de sportifs, de chanteuses ou de stars diverses. Mais ce mois de février a été particulièrement riche dans le domaine.

Emmanuel Macron a directement « défié » le duo de youtubeurs McFly et Carlito : s’ils produisaient une vidéo sur les « gestes barrières » dépassant les dix millions de vue, le président s’engageait à les inviter à l’Elysée pour un concours d’anecdotes. Bingo. En trois jours, et bien aidés par leurs six millions d’abonnés, les deux stars de Youtube engrangent les vues demandées avec un clip musical humoristique.

La même semaine, Gabriel Attal lance l’émission #SansFiltre. Cela se passe sur Twitch et le porte-parole du gouvernement y discute des problèmes de la jeunesse avec un panel de jeunes stars des réseaux. En réponse à cette initiative indécente, le hashtag #étudiantspasinfluenceurs fleurit sur Twitter pour rappeler que des influenceurs richissimes représentent assez mal une jeunesse sombrant dans la misère et le désespoir…

La Cinquième république sur TiktTok

Ces exemples récents suivent de près d’autres opérations de communication du même genre. Parmi celles-ci, la très gênante vidéo d’EnjoyPhoenix suivant Brune Poirson dans une journée de travail mise en scène, des vidéos « vérité » du même style, réalisés par Ludovic B avec Gabriel Attal, ou encore la promotion par Tibo InShape du Service National Universel – dans ce dernier cas, Tibo a au moins été payé par le contribuable, l’honneur est sauf.

Mais comment en est-on arrivé là ? Pourquoi ne sommes-nous plus choqués de voir le président s’agiter sur TikTok ou des jeunes stars des réseaux suivre d’obscurs technocrates ? Du côté du pouvoir, la réponse est simple. Cette communication permet de court-circuiter les canaux traditionnels – télévisions, radios et journaux – que les jeunes générations suivent de moins en moins. Elle donne l’image une élite cool, branchée, populaire, authentique. Avec au bout du compte quelques voix en plus aux prochaines élections.

Pour les jeunes stars d’Internet qui se prêtent (gratuitement) au jeu, l’explication est peut être encore plus désolante. Certaines d’entre elles espèrent sans doute cyniquement gagner en popularité en traitant de sujets immanquablement repris dans les médias. D’autres semblent particulièrement naïves et désarmées face au pouvoir. N’ayant pas conscience d’être facilement manipulables, par arrogance ou par bêtise, l’éclat du pouvoir les attire. Ces personnes dont la vie est régie par les algorithmes des réseaux pensent peut être qu’une vidéo live suffit à montrer sans parti-pris le « vrai visage » de dirigeants rôdés aux techniques de communication.

Dangers de l’addiction aux influenceurs

Mais le recours aux influenceurs témoigne aussi d’une fuite en avant. Et ce pour trois raisons. Premièrement, cette stratégie démontre la perte de légitimité croissante du gouvernement, et plus largement de la classe politique. Imaginez seulement l’ampleur du déficit de légitimité dont souffre Emmanuel Macron dans la jeunesse pour en être réduit à accepter de réaliser une vidéo sur TikTok ou un défi Youtube.

Deuxièmement, la conséquence de cette faiblesse est qu’elle pose immédiatement la question : jusqu’où iront-ils ? Faudra-t-il que Jean Castex se soumette à un « scalp popping challenge », ou que Marlène Schiappa lise un best of de ses  écrits érotiques sur Twitch ? Plus sérieusement, la politique n’est pas un jeu à somme nul : adopter les codes des réseaux sociaux pour tenter de gratter quelques miettes de popularité conduit à une dégradation symbolique du pouvoir, à un abaissement des institutions pouvant durement affaiblir la légitimité des gouvernants.

Troisièmement, ce risque est accentué par la nature hautement volatile des réseaux sociaux. Ceux-ci ont plus contribué à la popularité de mobilisations contre les violences policières ou pour l’environnement qu’à partager le message de la République en Marche.  Répondre directement aux critiques sur le plateau de Brut contribue à installer des pratiques très différentes des routines protocolaires des précédents gouvernements, un faux pas communicationnel devient de plus en plus probable, et ces transformations pourraient conduire Emmanuel Macron à sa perte… Du moins symboliquement. Le spectacle médiatique de la critique doit plus que jamais être remplacé par la critique du spectacle médiatique.

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