L’impressionnant foyer réquisitionné d’Euromédecine

Le Poing Publié le 15 mai 2019 à 12:45 (mis à jour le 17 mai 2019 à 18:39)
En arrière-plan, un bâtiment du squat d'Euromédecine

Le moins connu, mais non le moins important des squats sociaux de Montpellier a toujours besoin de soutiens concrets

Fin de matinée d’un dimanche de fin avril, au bord de l’une des voies désertées d’Euromédecine. On jardine sur un vaste, un magnifique terrain. On bêche. On retourne la terre. On dresse des tuteurs. On plante des boutures. Le printemps bruisse. La plupart des jardiniers résident dans le bâtiment impressionnant, de style Grande-Motte, qui trône au milieu de cette lande. Ils sont réfugiés, demandeurs d’asile, accueillis dans ces locaux réquisitionnés, sur lesquels veille l’association Solidarité partagée.

Même si l’ennui est l’un des tourments qui rongent les sans papiers, interdits de toute activité professionnelle, soumis à de kafkaïennes attentes de procédures qui leur restent essentiellement opaques, le jardinage n’est pas qu’un aimable passe-temps, entre matches de foot et cours de français dispensés par des bénévoles. L’urgence alimentaire est l’un des problèmes qu’affronte le lieu, malgré l’appui de quelques associations, tel le Secours Populaire, qui atteignent elles aussi leurs limites. Les produits maison de l’horticulture seront une réponse à ce problème.

Ces rendez-vous du dimanche matin sont également ouverts à quiconque veut prêter le coup de main. L’enjeu n’est pas mince. Tout ici permet de relier les questions du développement durable, de l’autonomie alimentaire, en même temps que la solidarité concrète à l’endroit des migrants laissés en détresse. Or jusqu’à ce jour, le foyer réquisitionné d’Euromédecine reste isolé, trop isolé sur la carte des squats montpelliérains en vue, lui tout là-bas en périphérie. Sans qu’il s’agisse d’un quelconque concours, il paraît être pourtant le plus important en ce moment à Montpellier, quant au nombre de personnes accueillies. Elles sont deux cents, dont quelques femmes à qui est réservé un sleeping. Ils sont pour la plupart originaires d’Afrique sub-saharienne.

Samuel et Lilian ont pris l’initiative de cette réquisition survenue fin janvier. Eux pratiquent « l’engagement complet », et Samuel ne cache pas la lassitude et la déception qu’il a pu sentir « seul à devoir abattre un boulot concret phénoménal, quand d’autres se satisfont de visiter leur filleul migrant, et tenir plein de discours en réunion ». Il faut rappeler cette situation révoltante : la réglementation prévoit que l’État prend en charge l’hébergement des demandeurs d’asile tant que leur dossier est à l’instruction. Or il n’en fait rien, et pire « ce sont les bénévoles qu’on poursuit ».

Par exemple à l’heure actuelle, la justice a considéré que Solidarité partagée devait s’acquitter tous les mois d’une indemnité d’occupation de six cents euros auprès de l’Institut Bouisson-Bertrand, propriétaire de cet équipement laissé vide depuis de longues années. Voilà certes une somme modeste en comparaison des milliers et milliers d’euros que celui-ci réclamait, tandis qu’on voit bien que ces espaces sont voués à de fabuleux profits immobiliers un jour ou l’autre.

Oui mais six cents euros c’est déjà une somme énorme pour des bénévoles eux-mêmes désargentés, pour qui c’est un combat chaque jour recommencé d’assurer le repas de résidents eux-mêmes laissés sans un euro : « Il leur est interdit de travailler, ce qui signifie une condamnation à ne pas pouvoir se nourrir, je trouve ça complètement fou » proteste Samuel. De très longues semaines, jusqu’à deux mois peuvent s’écouler avant de percevoir le maigre pécule de deux cents euros mensuels avec lequel sont censés se loger et se nourrir les seuls individus dont l’enregistrement de procédure de régularisation a été accepté.

Pour faire face à l’urgence de la rue, le squat du Château avait été investi, sur le boulevard Vieussens, derrière la gare, et a tenu l’année 2018. C’est là que le chantier fut colossal, tant il était dans un état infect, donnant un argument rêvé à la SNCF pour appuyer sa demande d’expulsion. D’où le transport jusqu’au bâtiment d’Euromédecine : « Franchement ici, tout est différent. C’est propre, il y a l’eau, l’électricité, on peut s’organiser, on peut même inviter, recevoir. On y voit enfin un peu clair » se réjouit Youssef.

Lilian remarque : « Ici on peut parler de vraies chambres, qui ferment à clé. On n’imagine pas qu’une grande partie des personnes n’ont jamais eu accès à cette intimité minimum depuis des années et des années sur les routes, dans le désert, avec la précarité, à la rue, etc ». Ce site d’Euromédecine permet le retour dans une logique de stabilisation. Un psy vient chaque semaine, « ça peut sauver des situations désespérées, certains sont au bout du rouleau ». Médecins sans frontières est aussi de la partie, la CMU étant souvent longue et difficile à obtenir. Deux cas de tuberculose s’étaient déclarés à l’ancien Château, que décidément personne ne regrette.

Une base se reconstitue, « on fait du cousu main, avec beaucoup d’attention personnelle et une certaine durée, alors que les organismes institués traitent à la chaîne, chacun dans son ultra-spécialité, qui saucissonne les gens et les situations, renforçant le sentiment d’être perdu, renvoyé de bureau en bureau sans comprendre, selon des délais et des arcanes jamais expliqués, qui semblent arbitraires ». Les procédures, encore durcies et raccourcies par les dernières lois, visent à l’affaiblissement social et moral, autant que matériel, des demandeurs.

Un certain mieux-être constitue une parade non négligeable. Certes adepte de l’action concrète, Samuel n’en met pas moins en avant le cadre offert par l’association Solidarité partagée, avec insistance. Avec toute représentativité légale, celle-ci précise les objectifs d’accueil de personnes en grande nécessité, leur accompagnement dans les démarches nécessaires, et l’offre d’activités qui renforcent leur autonomie.

Nicole est l’une des bénévoles qui s’y engagent, en appréciant : « Personnellement, je ne pourrais pas faire de l’assistanat humanitaire, où je sens des relents paternalistes d’un système de domination colonialiste. Ici, même si une charte des résidents est fixée, bien entendu, pour rendre possible la vie de deux cents personnes en commun, je ressens une attitude impeccable de respect de la personne ». Mais dans d’autres cercles en ville, qui se présentent experts, plus institués, on sent bien le retrait condescendant opposé à ces « autonomes » peu contrôlables d’Euromédecine ; quelque soit le travail de dingues qu’ils accomplissent.

A la sortie, on croise l’un des deux résidents qui ont pris part à la dernière édition du Marathon de Montpellier, le terminant parmi les premiers. Logiquement, il demande : « Est-ce qu’il y a une fédération sportive que je pourrais contacter ? » Par là un espoir de reconnaissance ? Logique. On se regarde. Il faudrait se renseigner. Mais on sait bien que dans les labyrinthes de la grande “tradition française de l’accueil”, ça ne pourra être qu’un nouveau parcours d’obstacles semé d’embûches.

                                                                                               G. M.

– Les rendez-vous solidaires de jardinage partagé avec les résidents d’Euromédecine (ex institut Bouisson-Bertrand) sont fixés les dimanches à partir de 11h. Amener des outils, et le repas à tirer du sac.

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