Festival gilets jaunes de Grabels : une belle fête bien inoffensive.

Le Poing Publié le 13 mai 2019 à 23:06 (mis à jour le 17 mai 2019 à 18:38)

Ce week-end s’est déroulé le « festival jaune » à Grabels, près de Montpellier, sur un terrain communal prêté pour l’occasion par le maire René Revol, affilié à la France insoumise. C’est dans ce cadre champêtre que se sont déroulés concerts, ateliers et débats dans une ambiance bienveillante, y compris à l’égard… de la police ! Après six mois de luttes, le but premier du festival était, selon les mots des organisateurs, de créer un cadre agréable, loin des gaz lacrymogènes, pour débattre et échanger des analyses sur un mouvement social qui cherche à se renouveler. Les concerts de groupes locaux se sont succédé aux ateliers-débats proposés par les collectifs à l’origine de l’événement, notamment Alternatiba, Le nouveau monde et I-boycott – des organisations politiques ancrés à gauche et convaincus de la nécessité de multiplier des actions individuelles et collectives non-violentes pour faire pression sur les gouvernants et faire émerger des alternatives écologistes –, ainsi que la web-radio Gi Ne. La Ligue des droits de l’Homme disposait également d’un stand lors du festival pour exposer les photos des victimes de violences policières et distribuer des tracts sur les droits des gardés à vue. Les débats ont-ils permis d’ouvrir de nouvelles perspectives pour faire triompher les revendications des gilets jaunes ? Clairement pas.

Stand de la ligue des droits de l’Homme.

Un atelier sur le rapport de la police à la population

Les noms qui sont revenus le plus souvent pendant les débats sur le municipalisme, la désobéissance civile ou bien encore le « pouvoir citoyen pour réduire la pauvreté » sont le député François Ruffin, l’idéologue Étienne Chouard (qui a récemment déclaré qu’il devrait « avoir le droit d’être antisémite »), l’avocat Juan Branco ou bien Pierre Rabhi, le conférencier des « Colibris », qui développe un discours spirituel autour de la pseudo-science de la biodynamie. Loin de l’atmosphère souvent émeutière des manifestations montpelliéraines, les débats promouvaient plutôt des actions non-violentes et symboliques, comme des die-in (simuler une mort devant un lieu précis et tracer les contours des corps allongés à la craie) ou des détournements (s’habiller comme des bourgeois pour créer une parodie), ainsi que des actions individuelles (réduire son « empreinte » écologique). En évoquant ces actions, beaucoup de gens ont exprimé leur crainte de finir en garde à vue, signe que l’intense répression policière porte ses fruits. Il s’est également tenu un atelier sur « le rapport des citoyens à la police », où l’on a notamment pu entendre que les policiers ne sont pas les adversaires des gilets jaunes, mais des citoyens comme les autres, victimes des ordres de leur hiérarchie, et qui seraient de potentiels alliés des gilets jaunes. Ces paroles ont été prononcées alors que se baladait non loin de là Dylan, manifestant éborgné par un policier à Montpellier lors de l’acte XXIV, et qui s’est fait entendre dire samedi dernier par un autre policier : « bientôt, on va te crever l’autre œil ». Quelques voix se sont élevés pour rappeler le rôle structurel de la police – protéger le capitalisme – et dénoncer le caractère profondément raciste et meurtrier de cette institution étatique, mais ces paroles sont restées largement minoritaires.

Quelles perspectives ?

Au moment de partir, nous avons croisé un clown avec un poireau à la main et un casque bleu, qui nous a interpellé en nous disant : « je vous laisse tranquille si vous me dites où est la prise ». « De quelle prise nous parles-tu » lui a-t-on répondu. « De la prise de conscience » a-t-il conclu en rigolant. Si la scène paraissait surréaliste, le propos, lui, ne l’était pas, et résumait à lui seul ce festival des gilets jaunes. L’invitation, maintes fois exprimée par différents intervenants, à « faire chacun sa part » est la triste conséquence d’un système capitaliste qui nous pousse à entrevoir le monde qu’au prisme de notre individualité, y compris lors des luttes, en gommant l’existence des classes sociales. Et cette volonté de changer d’une manière douce les institutions en tentant d’apparaître comme des interlocuteurs crédibles aux yeux d’un État qui ne cesse pourtant de s’enliser dans l’autoritarisme pose de nombreuses questions – faut-il détruire ou conquérir l’État ?, est-il possible de changer le système par un somme d’actions individuelles ? – qui, malheureusement, n’ont pas été creusées lors des débats. Pendant ce temps-là, à Sète, plusieurs collectifs en lutte contre la répression, dont l’assemblée de Montpellier contre les violences d’État et pour les libertés (devenue la commission juridique de l’assemblée des gilets jaunes), s’interrogeaient sur la manière dont il est possible de renforcer le principe d’une défense collective face à la répression, pour que le slogan « Révolution ! », régulièrement chantée lors des manifestations, ne soit pas qu’un espoir vain, mais un objectif à portée de main.


Crédits photos; Johann.

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